André-Pierre Boucher, Matin sur l’Amérique, Montréal, Éditions d'Orphée, 1958, 51 pages.
Le
passage d’André-Pierre Boucher dans le champ littéraire québécois dure tout au
plus dix ans. Il publie d’abord Fuites
intérieures (1956), puis Matin sur l’Amérique
(1958) et Chant poétique pour un pays idéal. Bilan de poésie 1956-1966
(1966), dans lequel il reprend, modifiés, ses deux premiers recueils, auxquels
il ajoute : Le Jour interdit et Chant poétique pour un pays idéal.
Matin sur l’Amérique s’ouvre sur un
poème d’amour : « Par toi, le sommeil tranquille amarré sur nos
fronts / petites vagues précises de nos songes identiques / à notre amour que
j’aime... / cet amour qu’on souligne / dans les yeux des enfants / ou soudain
d’un rire à la hauteur du silence / une chevelure défaite aux parfums des iris
/ combinés de l’odeur sombre des conifères / à la racine des bras
emprisonnés ».
Le
reste du recueil n’est pas aussi lumineux. L’amour ne semble plus possible : « Puisses-tu
revenir / avant le revirement des oiseaux froids dans ma tête / tellement folle
qui ne saura plus rien comprendre // Remous incessant des appels anciens / toi
mêlé à toutes les herbes et des lacs / à peine une différence de couleur / et
qu'est-ce que la couleur après le départ des saisons ? » Beaucoup de
poèmes soulignent la douleur de cet amour perdu : « A quoi sont-elles
bonnes mes mains / à présent qu’elles n’ont plus de visages à aimer ».
La
perte amoureuse débouche sur un état de détresse. Il en vient à désespérer
d’avoir vingt ans : « Quand il pleut dans la tête des
enfants-monstres / alcool-blasphème des poèmes interdits / le beau désastre
d’avoir vingt ans / pierre flambante noire aux cratères des yeux / habits
troués de souvenirs ». Le désir s’est envolé, sa vie n’est que désert et
solitude : « Je suis terre stérile inattentive au souffle d’avril / …
/ Je suis arbre mort à toute saison ». Cet état de déréliction conduit au
désespoir le plus total et à l’idée de suicide : « Nuit de
catastrophe / jaillissait le sang noir de tes veines / ta tête engluée de
jeunesse tourmente ».
Mais
il y aussi un élargissement du drame personnel, comme si la ville contribuait à
son désespoir : « Sale vile béton calcinée / roule un enfer de nuages
enchainés / Humidité rompue de nos mains pétrifie / La ville au béton crucifie
ses dépravés. » Et finalement, son mal-être devient un peu celui de ses congénères, pour
ne pas dire de son pays : « Hommes de ma race : usine à sacrifice / dans
la forêt inhospitalière des villes / avaleurs de bière : marchands de bonheur
simple / l’amour qu’on leur donne n’a jamais de retour / éternels vagabonds en
quête de libertés / ils ont inscrit à leur front l’inlassable aventure / vers
les clairières enluminées des grandes forêts vierges. » Comme ce dernier
extrait le mentionne, l’ouverture perçue, c’est l’ailleurs : départ et
fuite et surtout aventure, libération : « Nos bras de proue font
cercle-lumière / la roue du monde : le monde sur lui-même / Rêve de départ
prend racine dans la tête renversée / vers quel pays va notre rêve... » Le
dernier poème, qui donne son titre au recueil, est une exploration jubilatoire
du territoire américain : « Une Amérique à l’infinie Présence /
Bouleversante de couleurs, d’asphalte et de plaines mouvantes-or / Du Nord
Boréal aux Hommes de Flammes-Sud / Matin sur l’Amérique / en un long feu de
joie. »
Très
beau recueil de poésie, en prise sur la sensibilité de son époque. Bien sûr, il
est tentant de lire Matin sur l’Amérique comme
une reconnaissance de notre américanité, thème discuté à l’époque, et dont le
recueil de Michel Van Schendel, Poèmes de l'Amérique étrangère
(1958), publié la même année, semble être le point de référence. Quant à moi,
j’y vois davantage un recueil intimiste.
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