30 décembre 2010

LE PREMIER DE L'AN

C'est le premier de l'an! Allégresse partout!
On s'aime, on se caresse, on s'embrasse, on se choie...
Mais le premier de l'an, pour les petits surtout,
Est un jour d'ineffable joie.

Pour les enfants la vie est un céleste accord;
Chaque nouvelle année au bonheur les invite :
À cet âge naïf on ne sait pas encor
Combien le temps s'envole vite.

Pour eux point de soucis, nul chagrin n'est profond :
Ces coeurs que rien ne blesse ont en eux leur dictame;
Et pourtant qui dira ce qui se passe au fond,
Quelquefois de la petite âme?

Je connais des parents qui, sur leur seuil joyeux,
Ayant vu s'arrêter le spectre au front livide, -
Des sanglots plein la voix, des larmes plein les yeux,
Se penchent sur un berceau vide.

Le pauvre ange est parti, par la mort emporté;
- Pères qui m'entendez, Dieu vous garde les vôtres! -
Ils ne blasphèment pas, non, car en sa bonté
Le ciel leur en a donné d'autres.

Tous trois sont là, groupés au milieu de monceaux
De cadeaux radieux, - bonbons, tambours, épées,
Chevaux de bois, soldats de plomb, frêles berceaux
Où dorment de roses poupées.

Oh! les bons cris de joie! oh! la franche gaîté!...
Doux échappés du ciel, qui donc pourrait décrire
Ce timbre d'innocence et de sérénité
Qui sonne en votre éclat de rire!

Le coeur gonflé, le père ose à peine parler;
Et, tandis qu'autour d'eux le frais essaim se joue,
La pauvre mère est là, triste, et qui sent couler
Deux grosses larmes sur sa joue.

- Allons, dit le brave homme, en couvrant de baisers
Les petits innocents à la voix de mésanges,
Ces jouets sont à vous; prenez et divisez
Entre vous trois, mes petits anges...

Or, comme l'on faisait quatre parts, étonné :
- Pour qui, dit le papa, cette autre part entière?
Et, levant ses grands yeux : - C'est, répondit l'aîné,
Pour petit frère au cimetière!

(Louis Fréchette, Feuilles volantes, Montréal, Granger frères, 1891, p. 173-176)

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