Robert de Roquebrune, La Seigneuresse, Montréal, Fides, Club canadien du livre, 1960, 270 pages.
Robert de Roquebrune présente cette histoire, comme si c’était un grand-oncle qui lui avait narrée : «… mon grand-oncle qui était né en 1820, avait connu des gens qui, eux, étaient nés en 1750. » Je ne saurais dire s’il s’agit d’un simple procédé littéraire pour accréditer le récit.
Louise de Normanville est l’unique héritière de la seigneurie du même nom, qui borde le Richelieu, tout près de la frontière américaine (colonies anglaises à l’époque). La jeune fille, poursuivie par Anselme Racicot, un petit-cousin, qui veut la forcer à l’épouser, est partie chercher époux en France. Elle fréquente le Versailles de Louis XV. À la cour, elle a deux amoureux qu’elle aime également, un Gascon sans fortune, Armand de Fortisson, et un Écossais en exil, Sir James Gordon. Ne sachant qui choisir, elle leur propose un duel pour trancher la question. Ce duel n’aura pas lieu, Gordon devant suivre le prince Charles-Edouard Stuart qui veut reprendre le trône d’Angleterre (1745-1746). Louise de Normanville épouse Armand de Fortisson et revient en Nouvelle-France.
Pendant le voyage, Louise apprend à son nouvel époux quels sont les défis qu’il devra surmonter. Leur seigneurie tire ses principaux revenus de la traite des fourrures avec les Iroquois. Elle doit en partager l'usufruit avec son petit-cousin Anselme Racicot, mais c’est ce dernier qui gère le tout. Repoussée par Louise, il pourrait vouloir se venger. Elle lui parle aussi de Pakouita, son ami d’enfance, amoureux d’elle lui aussi.
Une bonne partie du roman est consacrée aux tentatives d’Anselme Racicot pour se débarrasser d’Armand et Louise. Mais c'est un épisode historique qui permet à l'auteur de dénouer ses intrigues amoureuses. La Guerre de succession d’Autriche (1747) relance les hostilités entre les Anglais et les Français. Les Seigneurs de Normanville, avertis pas des amis iroquois, découvrent qu’Anselme Racicot a dévoilé les plans des environs aux Anglais qui s’apprêtent à envahir le pays. On organise la défense : un corps de miliciens du fort Chambly, dirigé par les Seigneurs des environs, s’installe dans la seigneurie de Normanville. Plutôt que d’attendre l’attaque anglaise, les Français vont à leur rencontre et remportent une éclatante victoire. Pakouita, profitant de la mêlée, essaie d’assassiner Armand, mais c’est lui qui périt. Anselme, lui, est fusillé.
Quand on lit Roquebrune, on a toujours l’impression qu’il veut réhabiliter la mémoire des anciens Seigneurs dont l’action sous le régime anglais a souvent été critiquée. Encore une fois hommage est rendu aux Sabrevois, Bleury, Normandville, Hertel, Legardeur, La Corne de Saint-Luc. Roquebrune veut nous faire comprendre que cette petite noblesse campagnarde n’avait rien à voir avec la noblesse de Versailles. Ces hommes n’hésitaient pas à mettre la main à la pâte, ce qui n’empêche pas qu’ils avaient développé un mode de vie qui n’était pas sans raffinement.
« Les officiers canadiens étaient réunis au salon lorsque la seigneuresse de Normanville y entra. Ceux qui étaient assis se levèrent, ceux qui fumaient déposèrent leurs pipes dans des assiettes de porcelaine sur les tables et les guéridons. La jeune femme fit une révérence, révérence qui s'adressait au plus vieux d'entre eux, le capitaine La Corne de Saint-Luc.Elle avança de trois pas et fit une seconde révérence dédiée aux autres officiers.Ils saluèrent d'une profonde inclination de tête. Tous la regardaient avec admiration car la jeune femme qui venait de leur apparaître à la porte du salon était d'une beauté charmante. Elle avait revêtu une de ses robes de Versailles, une des robes de « petite réception », en soie bleue brodée de fleurs jaunes et ornée de dentelles au col et aux manches. La jupe à panier s'arrondissait largement autour de sa taille et la queue traînait sur le tapis comme si Louise de Normanville eût laissé derrière elle le sillage de sa marche. Ses cheveux étaient poudrés et cette blanche coiffure donnait un accent un peu irréel à la figure que le fard avivait. »
Un autre intérêt de ce roman, c’est qu’il décrit cette période fastueuse, juste avant les événements qui vont mener à la défaite des plaines d’Abraham, période dans laquelle la Nouvelle-France atteint son apogée. Des routes ont été construites, des seigneuries se côtoient le long du Saint-Laurent et des principaux cours d’eau (comme le Richelieu), des paroisses émergent ici et là, les Canadiens et les Autochtones semblent vivre en harmonie, l’agriculture assure à tous et chacun une certaine aisance. À Québec, l’intendant Hocquart et le gouverneur de Beauharnois sont vieillissants et vont être remplacés par l’intendant François Bigot et le comte de La Galissonnière.
Une coquille : la guerre de succession d'Autriche (1747). D'un lecteur assidu.
RépondreEffacerMerci. Je corrige!
RépondreEffacerUn lecteur assidu. Sans coquille.
RépondreEffacerMerci! Vous savez les coquilles, j'en ai sûrement ici et là. Il m'arrive de relire un vieux blogue et d'en trouver. On n'en finit jamais! Alors, si vous en trouvez, ne vous gênez surtout pas de me les signaler.
RépondreEffacerLe personnage Pacquia, ce n'est pas plutôt Pakouita?
RépondreEffacerMerci je corrige.
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