17 mai 2025

Les petits chevals amoureux

Michel Garneau, Les petits chevals amoureux, Montréal, VLB éditeur, 1977, n. p.

Il y a chez Michel Garneau une belle urgence de vivre. Comme si la chose n’allait pas de soi, il s’exhorte à ne rien laisser passer, plaisirs des mots, plaisirs des autres, plaisirs de la table, plaisirs des saisons, plaisirs de l’amour, plaisirs sexuels.

Il l’a déjà dit et il le répète : la clef de voûte d’une vie heureuse, c’est l’amour.

et les saisons mes quatr'incomparables
et tout ce qui se mange et nous mange et le feu
les animaux le vent d'automne et les amis

ne sont rien ne sont rien ne sont rien
à côté de l'incandescence des amours
qui nous mènent qui nous mènent
en haut de la vie même

L’amour, l’amour physique, l'amour chaleur, l'amour paysage, l’amour tendresse :

il y a deux seins de chaleur ronde
comme des nuages cueillis par un lac
en plein sur ta poitrine mon amour
et ton ventre est une baie des chaleurs
et ton sexe un courant chaleureux respirant
et tu es pleine de coussins de coussinets
de racoins duveteux de recoins soyeux
de petits coins précieux sans angle
de creux arrondis de profondeurs apprivoisables

On comprend que la recherche du bonheur est une bataille au quotidien, d’abord avec soi-même :

et j’ai mes jours de taupe taponne
et de rat tremblant de bison ravagé
de crocodile menteur de cochon vantard
de fausse hyène de pou lyrique
d’araignée achalante de lynx opprimant
de butor culpabilisant de buse obscène
de cloporte prétentieux
et je suis bien sûr un renard naïf
un grand codinde

Comme on vient de le lire dans ce qui précède, Garneau met en place tout un bestiaire pour parler de lui, chaque animal présentant une caractéristique à laquelle il s’identifie ou non. Ainsi en est-il des « petits chevals » du titre : « les chevals sont des animaux doux et calmes »; ainsi, de ses accointances avec les lièvres : « nous sommes toi et moi des fragilités »; ainsi, de l’écureuil qui ne cesse de s’agiter : « j’aperçois vraiment / des écureuils dans les arbres du néant ».

Le recueil se termine, par un long poème-bestiaire, dans lequel une trentaine d’animaux sont nommés, pour représenter la vie riche, grouillante, inépuisable, si bonne à vivre : « les ptits oiseaux transportent l’éternité ».

Recueil admirable, sans doute l’un des plus agréables à lire des années 1970-1980. Au point de vue du contenu, il n’ajoute rien aux précédents, mais stylistiquement parlant, Garneau a trouvé sa voix, dans un heureux mélange d’oralité et de littérature, en contraignant le souffle qui avait tendance à déborder dans ses premiers œuvres.

notre amour n'est plus naïf
et il a ses racines noires

notre amour a dépassé
le fragile des images

notre amour va quotidien
car il vit dans l'évidence

notre amour n'est plus à part
il a un nom qui nous ressemble

mais dans la rage que j'ai
de travailler dans mon pays

vers la liberté de tous
à travers les eaux du langage

et dans la lutte à dompter
les habitudes du désespoir

à force de chanter haut
de chanter fort dans la bataille

j'oublie parfois souvent
la tendresse de la promenade

Michel Garneau sur Laurentiana

Lan ga ge, 1962
Langage I : vous pouvez m'acheter pour 69 cents,1972
Langage II : blues des élections, 1972
Langage III : l'animal humain, 1972
Moments, 1973
Langage IV : j'aime la littérature, elle est utile, 1974
Langage V : politique, 1974.
La plus belle île, 1975
Les petits chevals amoureux, 1977
Élégie au génocide des nasopodes, 1975, 1979

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