François Galarneau est né dans une famille
dysfonctionnelle : ses parents sont en quelque sorte séparés même s’ils
vivent sous le même toit. Le père fuit la maison et se réfugie sur son bateau avec
ses maîtresses alors que la mère vit la nuit. C’est le grand-père Aldéric qui s’occupe
de François et de ses deux frères, Jacques et Arthur. C’est lui qui les pousse à
étudier. Les deux aînés se tailleront une place importante dans la société,
mais non François qui abandonne l’école après ses Belles-Lettres (secondaire V)
et qui végète.
Pour moi, il s’agit d’une relecture quelque 40 années plus tard. Le roman, qui fait une large part au langage oral, se lit encore très bien. Il me semble même en avance sur son temps (hormis quelques passages qui ne passeraient pas aujourd’hui). J’y lis une critique féroce de la société de la performance, une société où les gens ne sont plus formatés par la religion mais par la publicité et le dieu argent.
Extrait
J'ai des visions comme ça, des tas de visions, des rêves qui
se bousculent dans le grenier. Je sais bien que de deux choses l'une : ou tu
vis, ou tu écris. Moi je veux vécrire
; L'avantage, quand tu vécris, c’est que c’est toi le patron, tu te mets en
chômage quand ça te plaît, tu te réembauches, tu élimines les pensées tristes
ou tu t'y complais, tu te laisses mourir de faim ou tu te payes de mots, mais c’est
voulu. Les mots, de toute manière, valent plus que toutes les monnaies. Et ils
sont là, cordés comme du bois, dans le dictionnaire, tu n'as qu’à ouvrir au hasard
:
DOMINER : avoir une puissance absolue. fig. l'ambition
domine dans son cœur. Se trouver plus haut. Le château domine sur la plaine.
Dominer sa colère. S’élever au-dessus de. La citadelle domine la ville ; se
dominer, se rendre maître de soi…
Tu voyages, tu t’instruis, chaque mot, c’est une histoire
qui surgit, comme un enfant masqué, dans ton dos, un soir d’halloween; j’y
passe des heures, de surprise en surprise. Quant à moi, Jacques peut bien
garder ma femme, la bichonner, la dorloter, lui faire des enfants blonds, les
élever, écrire pour la télévision, faire de l'argent, il ne sait pas ce que c’est
qu'un cahier dans lequel on s’étale comme en tombant sur la glace, dans lequel
on se roule comme sur du gazon frais planté.
Ce midi dix-huit octobre, toutes les feuilles des arbres
alentour sont tombées, et celles du salon aussi. Happy Birthday ! faut naître
un jour ou l’autre.
Le soleil d'automne se lève plus tard maintenant, il se
couche plus tôt, mais il monte droit devant la maison, comme une perdrix
effarouchée. Il s'assied sur le mur, le soleil, il réchauffe notre carré de
sol, il me regarde dans les yeux, il s'inquiétait peut-être de me voir lui
préférer l'ombre. On ne s’était pas vus vraiment, depuis le départ de Marise
Doucet, je le fuyais, mais plus maintenant, je ne le fuirai plus. Je reviendrai
m'asseoir ici, à la table d'acajou, pour écrire d'autres cahiers, je vais en
acheter dix chez Henault's, on sera deux à se lire, tu peux continuer ton tour
de terre, cela va beaucoup mieux, merci (réchauffe Martyr en passant il doit
être transi) je te verrai demain, j’emprunte l’échelle de Dugas, je fais un
saut à l'hôtel Canada, et je m'en vais porter mon livre en ville pour que
Jacques, Arthur, Marise, Aldéric, maman, Louise et tous les Gagnon de la terre
le lisent... À demain vieille boule, salut Galarneau ! Stie. (p. 154-155)
Jacques Godbout sur Laurentiana
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