Claude Jasmin, Délivrez-nous du mal, Montréal, Éditions à la page, 1961, 187 p.
André Dastous et Georges Langis vivent une amitié assez tortueuse. Ils ne se l’avouent pas, mais d’une certaine façon, ils forment un couple. Georges est un véritable tortionnaire pour André qui n’en finit plus de se remettre en question. L’été venu, ils partent ensemble en vacances à Hampton beach. Après une dispute, Georges disparaît. André pleure et pense au suicide.
De retour à Montréal, André doit se rendre à Saint-Hilaire pour consoler sa sœur. On apprend qu’elle aussi est amoureuse de Georges Langis, qu’elle a déjà eu une liaison avec lui, bien qu’elle soit mariée et qu’elle ait des enfants. Elle n’est plus qu’un passe-temps pour Georges, ce qui irrite son frère. Bienveillance ou jalousie, on ne saurait dire.
Prenant conscience de la médiocrité de sa vie, Georges veut fonder une revue, mais a besoin de l’argent d’André qui le lui refuse. Se tournant rapidement de bord, il trouve une riche héritière et l’épouse. Du moins, c’est ce qu’il laisse croire. C’en est trop pour André! Il contacte des membres de la pègre pour le faire assassiner. Au moment venu, il l’attire chez lui, le pousse par-dessus la rampe. Les deux mafieux qui le cueillent en bas doivent le faire disparaître. Les policiers, qui les surveillaient déjà, ont tôt fait de les appréhender. André ne tente rien pour se disculper.
Claude Jasmin sur Laurentiana
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Délivrez-nous du mal
Critique
André Dastous est un faible, sans aucune estime de soi, qui ne fait rien de sa vie. Il faut dire que son copain Georges ne se gêne pas pour le dénigrer, pour le manipuler. Il est issu d’une famille dysfonctionnelle. Il n’est même pas sûr que son père soit son père. Tout le dernier chapitre essaie d’établir que son comportement est lié à son milieu familial. De toute évidence, il est homosexuel, bien que le mot ne soit jamais prononcé. Quant à Georges, on pourrait penser qu’il est bi-sexuel, bien que ce ne soit pas dit dans le roman. Il possède un charme naturel et il s’en sert comme d’une arme. C’est un pervers narcissique. Avec André et sa sœur, il forme un triangle amoureux plutôt tordu.
Toute l’histoire nous parvient d’André. Claude Jasmin manie le monologue intérieur avec beaucoup de naturel. Il n’empêche que ce roman est plutôt terne : les divagations religieuses d’André, ses nombreux passages d’auto-dénigrement, ses atermoiements, son amour indéfectible du « beau salaud », tout cela devient insupportable. Et la fin est un peu facile. Le long avant-dernier chapitre, dans lequel on accompagne André dans un rêve de procès complètement dejanté, outre le fait de démontrer le talent de Jasmin, ne nous apprend rien qu’on ne sache déjà. Selon moi, Jasmin n’a fait qu’effleurer le sujet de son roman : l’identité sexuelle. Difficile d’aborder un sujet quand il est impossible de nommer les choses.
Extrait
Maintenant
je suis dans une nuit noire. Je suis comme un noyé flottant à la dérive, sur
une mer d’encre. J’écris... A Georges, c’est évident, que voulez-vous savoir?
Je vous dirais bien tout. Je suis puni sans doute. Que je sois puni, bien puni!
Pour n’avoir rien pu pour lui, rien pu. Je n’étais bon qu’à l’amuser, à tenter
de le distraire, même par ceci: n’être pas vrai, n’être pas brillant, n’être
pas bon. Je suis tombé dans tous les panneaux qu’il ouvrait sous mes pas. Je
l’ai accompagné. Désirait-il gueuler contre Dieu? Je l’aidais. Je chargeais.
J’en mettais pour qu’il puisse se soulager. Le moment venait-il où monsieur
avait bien envie de gueuler sur la vie des bourgeois? J’en remettais. Je lui
révélais les côtés les plus odieux d’une existence de petit-enfant-gâté-de-richard.
Il en crevait de rage. Les femmes, les enfants, tout était bon quoi, pour que
mon ami s’aiguise les crocs. J’étais un lâche, un faux jeton.
Je
suis puni, cette troisième fugue est la pire. Je ne le retrouve nulle part.
J’ai fouillé Hampton Beach. Il ne reviendra plus. Je crève, je sèche et je me
noie. J’écris une longue lettre pathétique, puérile, innocente et bête. Je
promets de ne plus le revoir, je le jure. J’écris que j’ai compris, enfin, j’ai
compris. Il ne me reste plus qu’à refermer toutes ces valises ouvertes sur le
lit. La deuxième semaine de vacances absurdes s’achève, elle est finie. C’est
samedi. Georges doit rentrer lundi matin au douzième de la McCormick Machin,
couloir de gauche, huitième porte, huitième bureau à droite. — Ne vous trompez
pas de porte car vous en apprendrez de belles! — J’aurais, au moins, voulu le
ramener. Comment reviendra-t-il? Je m’en fais pour rien. J’oublie encore qui
est vraiment Georges. Il doit déjà être en route. Il se sera fait quelqu’ami de
passage, quelque sale compagnon de fortune, un voyou, un rufian, un vieillard
impotent, une dame sans compagnie, une folle-avec-un-chien-de-race! Je le
connais. La pire bêtise serait de s’inquiéter pour un type comme lui. Oui, ah
oui, il est débrouillard! Trop. Moi, je serais perdu, pas lui. Il peut toujours
se retrouver, même démuni de tout. Dire que je me suis attaché à un tel gars, un
type qui n’a jamais besoin de rien ni de personne. Je l’envie. C’est vrai, je
ne le savais pas assez. Je le répète: je l’envie. C’est vrai, je l’envie, je
l’envie, je l’envie. L’atroce découverte! Mon Dieu, est-ce bien vrai? Je l’ai
toujours envié! Que j’ai mal. Je ne l’ai donc même pas aimé? Je n’aime donc
personne, personne puisque Georges est le seul être vivant que je “croyais” aimer.
Oh, que je serai seul désormais! (P. 40-42)
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