Observez bien la page titre. Malgré ce qu'elle semble dire, l'auteur de Sensations de
Nouvelle-France n'est pas Paul Bourget, mais Sylva Clapin et ce
livre n’est pas la suite d’Outre-Mer : c'est en quelque sorte un canular.
La venue de Bourget au Québec
a causé un petit esclandre en 1893. Il
faut savoir que son œuvre ne faisait pas l’unanimité, d’où la bataille rangée
que vont se livrer les conservateurs (Tardivel, Chapais…) et les libéraux (Beaugrand,
Fréchette…). Pour certains journalistes conservateurs, Bourget n’est qu’un
« pornographe », un « libertin », un « colporteur
d’immondices » et j’en passe. Il faut dire que Bourget n’avait pas encore changé
son fusil d’épaule et n’était pas devenu un parangon de l’écrivain catholique
du début du XXe siècle.
Paul Bourget commence son
périple américain le 5 août 1893 à New York et retourne en France le 21 avril
1894. Il fait un rapide crochet au Québec entre le 29 octobre et le 17
novembre 1893. Ses notes de voyages paraissent d’abord dans les journaux, puis
en livre sous le titre Outre-Mer en
1895. Les gens d’ici s’attendaient à ce que le célèbre écrivain, nouveau membre
de l’Académie française, ajoute quelques pages sur son passage au Québec, mais
non, rien! Bourget s’en est expliqué plus tard : « J’ai tenu à ne
rien écrire sur le Canada parce que je ne l’ai pas étudié, et que je ne me
reconnaissais pas, après quinze jours de passage, le droit de toucher aux
questions de race qui se trouvent engagées dans le Dominion.» (Gilles Dorion, Présence de Paul Bourget au Canada, p.
56)
C’est ici qu’intervient le
pastiche de Sylva Clapin présenté comme une suite d’Outre-Mer : il adapte un ancien titre de Bourget (Sensations d’Italie, 1891), copie son
style et il écrit le journal de son voyage au Québec entre le 10 et le 31 octobre (voir ci-dessus, les dates ne concordent pas). Même si certains
faits sont faux (dont tout le chapitre sur son prétendu passage à
Trois-Rivières), quelques commentateurs se laissent berner et publient des extraits
et des comptes rendus de l’ouvrage dans les journaux. On communique avec
Bourget, qui s’offusque de la supercherie sans aller plus loin :
« J’ai lu avec stupeur les coupures de journaux que vous m'avez envoyées.
Il y a quelque chose pour moi d'abominable dans ce procédé de fausse
attribution d'un ouvrage à un auteur, et cela mériterait un bel et bon procès.
Vous m’obligeriez en disant que j’ai été dégoûté de cette infamie littéraire
jusqu’à l’indignation. » Clapin doit avouer qu’il est l’auteur de Sensations de Nouvelle-France. La polémique
pourrait s’arrêter là, mais non. Il y a encore ce que Clapin a écrit sur le
Québec qui dérange surtout la fange conservatrice de la société canadienne-française.
Qu'est-ce que Clapin fait dire à Bourget?
En arrivant à Montréal, le pseudo-Bourget a vite fait de constater l’omniprésence de l’anglais. La comparaison entre les cultures latine et anglo-saxonne sera la pierre angulaire du pastiche de Clapin. Ce dernier attribue l’infériorité des Canadiens français davantage à certains traits culturels, voire à nos institutions, qu’à une situation politique : « Et cette minorité [les Anglais] n’est pas une oligarchie, car le Canada jouit d’institutions parlementaires bien définies, et conçues dans un esprit très large. Il y a là, d’ailleurs, dans cet effacement graduel d’une nationalité, hier encore assez vivace, plus qu’une résultante d’intrusion souveraine de conquérant en pays conquis. J’y vois aussi l’indice, sinon d’une essence supérieure, certainement d’aptitudes naturelles mieux développées, et surtout mieux dirigées, du moins quant à ce qui a trait à outiller l’homme moderne pour affronter le struggle for life contemporain. » Et sur la même lancée, il dénonce le système d’éducation dirigé par le clergé : « En un mot le vice, qui ronge peu à peu cette Nouvelle-France, me semble initial, et c’est à l’éducation qu’il faut remonter pour porter le fer dans la plaie. »
En arrivant à Montréal, le pseudo-Bourget a vite fait de constater l’omniprésence de l’anglais. La comparaison entre les cultures latine et anglo-saxonne sera la pierre angulaire du pastiche de Clapin. Ce dernier attribue l’infériorité des Canadiens français davantage à certains traits culturels, voire à nos institutions, qu’à une situation politique : « Et cette minorité [les Anglais] n’est pas une oligarchie, car le Canada jouit d’institutions parlementaires bien définies, et conçues dans un esprit très large. Il y a là, d’ailleurs, dans cet effacement graduel d’une nationalité, hier encore assez vivace, plus qu’une résultante d’intrusion souveraine de conquérant en pays conquis. J’y vois aussi l’indice, sinon d’une essence supérieure, certainement d’aptitudes naturelles mieux développées, et surtout mieux dirigées, du moins quant à ce qui a trait à outiller l’homme moderne pour affronter le struggle for life contemporain. » Et sur la même lancée, il dénonce le système d’éducation dirigé par le clergé : « En un mot le vice, qui ronge peu à peu cette Nouvelle-France, me semble initial, et c’est à l’éducation qu’il faut remonter pour porter le fer dans la plaie. »
Plus encore, il évoque une
scène qui, selon lui, en dit long sur la conception de l’éducation des deux nationalités : alors que les
étudiants de l’Université McGill s’adonnent aux sports de compétition, ceux du
Collège de Montréal « défil[ent] deux par deux, en route pour une
promenade » […] « … ces collégiens en tuniques étriquées, march[ent]
d’un air monacal et recueilli, et se pouss[ent] nonchalamment les pieds à
travers les amas de feuilles mortes qui couvraient les trottoirs. » Et le
faux Bourget ajoute : « J’eus comme la sensation brusque d’un cortège
de ratés et de fruits secs, que plus tard la vie impitoyable broierait sans
merci. »
Clapin n’hésite pas à
dénoncer l’influence cléricale sur le système d’éducation : « Voyez
par exemple nos collèges classiques, où grandissent les générations qui auront
plus tard à porter les poids les plus lourds. Eh ! bien, ces collèges, et cela
en dépit de quelques efforts isolés pour en modifier le caractère, restent
surtout des séminaires, et nous en sortons tous avec le pli séminariste. Ce
n’est pas là un défaut, je sais fort bien, au sens absolu du mot, mais ce ne
peut être aussi d’autre part, je crois, qu’une bien piètre qualité dans cette
fin-de-siècle si batailleuse, si agressive, où le Vœ victis sonne bien vite inexorablement aux oreilles des timides,
des irrésolus, des résignés. »
Dans une perspective qui va au-delà
de l’éducation, il trace un portrait de Mgr Laflèche, évêque de Trois-Rivières,
qui en dit long sur la soumission du peuple au clergé : «[Mgr Laflèche]
dont l’omnipotence s’étend sur la ville, et bien loin aux alentours, comme un
manteau de plomb ». « C’est un violent, un opiniâtre, mais c’est
aussi un fort et un puissant. Ancien missionnaire, et ennemi des demi-mesures,
il nous rudoie et malmène tous ici comme jadis ses sauvages, et l’on sent que,
s’il eût vécu au temps de l’Inquisition, il eût ordonné le bûcher […] « Eh !
bien, malgré cela — peut-être même à cause de cela, je ne sais plus — nous
l’aimons et le chérissons, cet homme […] »
Comme toute polémique, celle-ci va s’éteindre
lentement, mais le sentiment d’infériorité des Canadiens français continuera
d’être débattu (Errol Bouchette, Edmond de Nevers) dans les années suivantes. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le
texte de Clapin, mais on ne ferait que reprendre le travail minutieux effectué par Gilles
Dorion dans Présence de Paul Bourget au
Canada (Québec, PUL, 1977).
Lire Outre-Mer
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