Laure Conan (Félicité Angers), L’Obscure souffrance, Québec, L’Action
sociale, 1919, 115 pages. (Le
texte est d’abord paru dans la Revue
canadienne en 1915 et 1919)
En plus de L'Obscure souffrance qui occupe les 75 premières pages, le recueil contient une seconde partie
intitulée « Aux Canadiennes ».
L’Obscure Souffrance
Ce journal intime, qui pourrait être en partie celui de l’auteure, est dédié « à toutes celles
qui souffrent ». Il s’étale sur 10 mois, de mai 18… à mars 18... Conan
raconte les malheurs d’une jeune femme qui est piégée dans une vie qui ne mène
nulle part. Il y a 10 ans passés, elle a
promis, à sa mère, sur son lit de mort, de prendre soin de son père. Or ce
dernier est un alcoolique violent (rien à voir avec le père de l’auteure) et,
en plus, il s’est remarié avec une femme qu’elle déteste. Il gâche à ce point
sa vie qu’elle en vient à souhaiter sa
mort. Elle voudrait bien s’investir dans un projet stimulant, mais elle n’en a
guère la possibilité. « Si je pouvais me réfugier dans un travail absorbant.
Une application quelconque de l’esprit me serait une distraction salutaire.
Mais non. Il faut être aux misérables tâches quotidiennes qui me répugnent
jusqu’à la nausée. » (p. 13)
Son journal raconte sa lutte quotidienne contre le désespoir et sa révolte
mal contenue, et la culpabilité qui s’ensuit. Même ses principes religieux sont
rudement mis à l’épreuve : « Un jour du mois de mars dernier, malgré
un temps affreux, j’étais allée de bonne heure à la messe. Le cœur plein de
tristesse et d’âcreté, je m’en revenais, et le dégoût de la vie s’augmentait de
la révolte contre Dieu dans mon âme. J’étais horriblement tentée de blasphémer. »
(p. 21)
Pourtant, elle n’a qu’une issue et c’est son confesseur qui la lui dicte :
elle doit accepter cette vie et réaliser que c’est le chemin tracé par Dieu pour
elle : « Seigneur Jésus, Dieu de mon amour, je m’abandonne à toutes
vos volontés. Délivrez-moi de la crainte de souffrir. Arrachez-moi aux pauvres
et vains désirs du bonheur de la terre, à tous les riens de cette vie qui sera
si vite passée. Donnez-moi l’intelligence du mystère de la croix. C’est avec
confiance que je vais à ma tâche. La souffrance est une semence que vous
bénissez. » (p. 76)
Ce que je déplore, c’est que le lecteur n’a droit qu’aux épanchements
désespérés. Presque rien ne transpire du quotidien et de son environnement; les
personnages qui composent sa vie sont à peine esquissés. En quoi est-elle si
terrible ce père alcoolique, on peut le deviner mais on ne le verra pas. Ne
restent que les lamentations d’une femme malheureuse.
Aux Canadiennes
J’ignore la petite histoire de cette deuxième partie du recueil. Ce
n’est pas un récit mais un long plaidoyer contre l’alcool. Les chiffres qu’elle
fournit sont étonnants (peut-on vraiment s’y fier?) : « Le Canada n’a
pas une population de huit millions et il s’y consomme annuellement pour $125,000,000
de liqueurs enivrantes. La seule province de Québec dépense pour les spiritueux
$25,000,000, somme cinq fois supérieure à son revenu annuel. » (p. 84)
Le but de ce discours (c’aurait pu être une conférence), c’est d’engager
les femmes dans la lutte contre l’alcool. Et pour ce, ses arguments font appel
aux vertus et rôles qu’on attribuait à la femme à l’époque. D’ailleurs, c’est
probablement ce qui est le plus intéressant dans ce texte, car on perçoit la
conception qu’on se faisait des femmes :
« Les autorités religieuses et d’éminents laïques déploient un zèle
admirable. Mais, soyez-en sûres, on ne gagnera pas la bataille sans vous. Les
sociétés de tempérance n’ont chance de durer que si vous vous en mêlez. Si vous
n’usez de votre influence, les engagements seront bientôt violés ; les sociétés
s’affaibliront, se désuniront ; et oublieux de leurs promesses, les associés
retourneront à leurs égoïstes habitudes, sans songer aux faibles qu’il faut
aider, à la jeunesse qu’il faut protéger, qu’il faut préserver. L’Église n’a
point d’auxiliaires qui puissent vous être comparés. C’est l’amour qui nourrit l’esprit
de lutte et de vaillance ; c’est l’amour qui rend l’espoir invincible. »
(p. 85)
« C’est la femme qui fait les coutumes, les usages, les modes et
les mœurs. » (p. 86)
« Ce que vous pouvez, Mesdames... mais vous pouvez tout... Si vous
n’avez pas l’autorité, vous avez le charme, — l’influence souveraine, irrésistible,
et vos devoirs sont le fondement de la vie sociale comme de la vie humaine. À
vous sont dévolus les soins de santé, d’hospitalité, tout le détail des choses
domestiques. Vous êtes les gardiennes, les reines du foyer. Au nom de ceux que
vous devez préserver, que vous devez défendre, que ce foyer — source de la vie
nationale — ne soit pas une école d’intempérance, mais que la sobriété y soit
en honneur... que les enfants y fassent le glorieux apprentissage des vertus
chrétiennes, que la jeunesse n’y puise pas le goût des spiritueux... que les
buveurs n’y trouvent jamais l’occasion de satisfaire leur passion. » (p.
89)
« C’est la femme qui est l’âme du foyer, c’est elle qui communique
et ranime les sentiments mobiles éternels des actions — c’est elle qui
entretient au foyer le feu céleste. La femme a le devoir de sanctifier la vie
de famille, elle a le devoir d’ennoblir les rapports sociaux.» (p. 93)
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