Errol Bouchette est considéré comme le premier sociologue québécois. Il
est surtout connu pour son essai dont le titre est déjà un programme
politique : Emparons-nous de l’industrie
(1901). Bien sûr, la formule fait écho au
célèbre « Emparons-nous du sol » lancé par Ludger Duvernay au XIXe
siècle. Deux ans plus tard, il publie Robert
Lozé, « nouvelle » qui « illustre » son essai. Disons-le d’emblée, le
roman est plus que médiocre et il est bien évident qu’il n’est qu’un véhicule pour
répandre les idées de l’auteur.
Résumons ce qui peut être résumé. Robert Lozé est un avocat sans âme, ne
faisant rien de bon de sa vie. Il vit seul, défend des causes faciles, voire
douteuses, sans engagement personnel ou social. « Depuis cinq ans il vivait de
cette vie mesquine, ouvrier inconscient de la désintégration sociale. » Il
a complètement renié sa famille qui vit à Saint-Ixte, un village dans le bas
Saint-Laurent (?). Un jour, entre dans son bureau une dame d’une quarantaine
d’années, distinguée, cultivée, généreuse : madame de Tilly. Robert
s’attache à elle. « C'était une femme aimable, belle encore à quarante
ans, ni dévote ni esprit fort, au fond bonne en dépit des circonstances. »
Cette dame va l’influencer au point qu’il va changer sa façon de vivre. Et pour
commencer, il décide de rendre visite à sa pauvre mère qu’il n’a pas vue depuis
six ans.
Lozé a un frère, Jean, qui de simple ouvrier dans une manufacture américaine,
a réussi à se hisser aux plus hauts postes de direction grâce à une découverte
qui l’a enrichi. Au même moment où Robert visite sa mère, son frère revient au
pays avec l’intention de s’y établir et de développer une industrie dans son
patelin natal. Les deux frères qui ont suivi des voies opposées (la frivolité
versus la débrouillardise) deviennent de grands complices.
À partir de cette situation, le récit va un peu dans tous les sens… et
nulle part par moment. Robert se fiance à Irène, se présente à une élection à
la place de son futur beau-père malade, la perd, est victime d’un déraillement de
train près de Lévis, se porte au secours de gens importants pendant l’accident,
gens qui plus tard assureront son avenir. De retour à Montréal, il gagne
quelques procès, écrit des articles juridiques qui le sortent de l’anonymat
auquel le condamne sa profession, dirige de main de maître une réforme du
système de l’éducation. L’été suivant, il participe avec son frère, la femme de
celui-ci et sa fiancée à une excursion sur le Saint-Laurent. Ils se rendent à
Anticosti, rencontrent un vieux trappeur sur la Côte-Nord qui leur raconte ses
aventures dans l’ouest américain, assistent à la poursuite de bootleggers, sont
témoins d’un naufrage près de Saint-Jean-Port-Joli, apportent leur aide aux
mêmes personnages importants connus lors du déraillement à Lévis. Ce sont eux
qui vont confier leurs « affaires » à Robert et, ainsi, assurer son
avenir. Une autre année passe, Robert retourne dans son patelin pour épouser
Irène. Pendant ce temps, son frère Jean a développé une industrie moderne et
transformé son village natal.
Au fond, les personnages de Bouchette reprennent les idées de Jean Rivard
et de Jeanne la fileuse, à savoir qu’il faut de concert développer
l’agriculture et l’industrie. À ceci près : les personnages de Bouchette ne
prononcent que sur le bout des lèvres le mot « agriculture »; et, de
toute évidence, ce n’est pas la petite industrie artisanale à la Jean Rivard,
mais la grande industrie que Bouchette veut voir s’implanter au pays. Pour lui,
c’est l’industrie (la science, l'éducation) et non l’agriculture qui est la clef de voûte de notre développement national.
« Quand vous viendrez chez moi, je vous
expliquerai comment toutes les industries se tiennent et se complètent au point
que l'une ne peut marcher sans l'autre, que la négligence de l'une fait dépérir
toutes les autres, de même que la maladie d'un membre rend tout le corps
malade. Quand l'industrie manufacturière et le commerce se généraliseront,
l'agriculture progressera dans les mêmes proportions, elle deviendra une grande
industrie ici comme elle l'est déjà dans les plaines de l'ouest ; plus
importante même avec le temps, car elle sera plus variée et elle se poursuivra
dans des endroits plus rapprochés des grands marchés du monde. Nous ne verrons
peut-être pas le développement entier de ce système, mais nos enfants le
verront, ils en profiteront, s'ils acquièrent l'instruction et s'ils se
tiennent à la hauteur du progrès. Mais s'ils ne s'instruisent pas, s'ils
s'obstinent dans les anciennes méthodes, ils tomberont dans la pénurie et dans
le besoin, la terre qui fait maintenant notre orgueil, passera en d'autres
mains et nos descendants deviendront des déshérités, des parias, des
sans-patrie dans ce Canada que nos pères ont découvert et fondé. C'est la nature
qui le veut ainsi, le fort domine le faible, l'instruit commande à l'ignorant,
l'audacieux écrase le timide. C’est pour cela que je dis de ces enfants que ce
sont de futurs industriels. Voudrais-tu, mon cher Pierre, en faire des
journaliers ? »
Je relève deux autres passages qui donnent une
idée de la thèse de Bouchette, sans doute très moderne à l’époque :
« Cet endroit deviendra sous ma main une ruche. Les abeilles
butineront sous mes yeux, mais aussi et surtout au loin dans les pays miniers
qui m'entourent de toutes parts. Le Québec méridional, le Nouveau-Brunswick sont
aujourd'hui les tributaires de la Nouvelle-Angleterre. Je saurai détourner ce
tribut. Leurs richesses tomberont dans mes creusets et dans mes hauts
fourneaux. Je les accroîtrai au centuple, je les distribuerai dans l'univers ;
et le port vaste et vide qu'on aperçoit de ces sommets s'animera bientôt sous
la puissance créatrice de l'industrie. »
« La province de Québec peut faire de même. Elle a tout ce qu'il
faut pour devenir un des grands peuples industriels du monde, puisqu'elle a
pratiquement le monopole des bois d'industrie. Elle a un gouvernement autonome
qui peut mettre en valeur ce domaine ou aider aux particuliers à le faire. Un
tel mouvement serait favorablement accueilli par la métropole. Si les Canadien
français libres ne savent pas exploiter les richesses de leur province, s'ils
se laissent supplanter par d'autres, ils auront mérité le sort qui les attend. »
Aucun commentaire:
Publier un commentaire