Yvette O. Mercier-Gouin, Cocktail, Montréal, Albert Lévesque, 1935, 134 pages.
Acte 1 – Chez Nicole
Nicole, une veuve de 40 ans, est amoureuse de François, un don juan, ce dont elle est bien consciente. Elle a deux grandes filles : Geneviève 17 ans et Francine 10 ans. Geneviève déteste l’amoureux de sa mère, sentiment qu’elle partage avec son grand-père (le père de Nicole) et le précepteur-professeur d’anglais, Charles Black. Ce dernier est l’ami et le confident de Nicole. On comprend vite qu’il est amoureux d’elle. Pourtant, c’est à lui qu’elle demande de dire un bon mot sur François, question d’amadouer sa fille Geneviève.
Acte 2 - Le même soir chez Nicole
Nicole reçoit. En plus de son amoureux, de Charles et de son père, ont été invités deux couples d'amis, et un Anglais dont on ne connaît pas la fiancée. Elle s’appelle Madge et elle arrive de Winnipeg. Lorsque celle-ci voit Charles, tout le monde se rend compte qu’elle est bouleversée. Dans la soirée, elle raconte l'histoire d'une jeune fille abandonnée par un homme qui a fui après que la crise eût ruiné sa famille. On comprend que l’homme, c'est Charles et que la fille, c’est elle. Les gens se mettent à discuter du comportement du jeune homme, certains le condamnant, d’autres estimant qu’il a agi par honneur. S'ensuit une chicane entre Nicole et François qui quitte les lieux.
Nicole attend François. Ils doivent assister à un bal costumé. Elle n'est pas sûre qu'il vienne mais finalement, il se présente. En se préparant, elle découvre Geneviève en pleurs. Pour essayer de se réconcilier avec elle, elle décide de lui laisser sa place, de lui permettre de faire sa première sortie dans le grand monde. Elle demande à François de l’accompagner. Dans la soirée, elle a une discussion avec Charles qui lui déclare son amour et, du même souffle, qu’il va quitter son poste pour aller travailler avec son père. Charles parti, elle décide d’attendre le retour de sa fille et de son amoureux. Ils rentrent enfin. Ne sachant pas que Nicole est couchée dans le salon, François fait la cour à Geneviève et l'embrasse. Nicole surgit et le met dehors.
La pièce n'est pas originale mais est susceptible d'intéresser pour une raison au moins. C'est l'histoire d'une femme de 40 ans qui a toujours vécu dans le giron des hommes. Il y a eu son père, puis son mari, deux hommes d’affaires. Pour eux, elle n’était qu’une « charmante poupée ». Veuve, elle s'émancipe, elle se sent libre. Son père est devenu vieux et, enfin, elle mène sa barque. Elle est tout à fait consciente que son François est un coureur de jupons, mais elle est prête à l’accepter, puisqu’il lui permet d’être elle-même. Bien entendu, à partir du moment qu’il se permet de flirter avec sa fille, ses illusions s’écroulent. D’une certaine façon, la fin est triste puisqu’elle a perdu la dernière occasion de vivre « son » histoire d’amour. Cette héroïne n’est pas si loin des femmes de bourgeois que Marcel Dubé va présenter dans les années 60.
NICOLE. — Et dire que cette nuit même, je m'étais enfin décidée à t'épouser: Blottie au coin du feu, je vous attendais, toi et Geneviève... je t'attendais patiemment, sans angoisse, je savais que tu allais monter. Ma maison était la tienne... Je t'ai attendu jusqu'au matin... (elle montre la fenêtre) Et d'attendre ainsi, je me sentais un peu ta femme... je ne t'en voulais pas... de t'amuser si longtemps loin de moi... Je t'aimais avec ce goût du plaisir qui est en toi... Toute la vie, j'aurais ainsi la patience d'attendre... j'en étais sûre... Ce serait si bon de toujours te pardonner ton abandon... de ne jamais te gronder... de toujours te comprendre... et de me dire que peut-être au monde il n'y avait qu'une femme capable de t'aimer tel que tu es. Plus tu vieillirais, plus tu te rapprocherais de moi, car aucune des femmes pour qui tu m'aurais délaissée ne te pardonnerait de lui être avec la suivante infidèle. Tu les aimerais toutes, donc tu n'en aimerais aucune. Moi seule ne te ferais jamais un reproche, parce que mon amour aurait été profond, immense, il se fut épanoui... il eut vécu indépendant de tes actes, de tes pensées même. Voilà ce que tu as brisé, voilà ce que tu n'as pas permis qui fût! Il n'y a qu'une femme que tu n'avais pas le droit de me choisir comme rivale. Et cette femme, c'est ma fille... un autre moi-même dont je ne peux me défendre. Cette rivale est plus forte que moi, elle est jeune, belle et je l'aime. Elle est la seule que j'aie pu craindre, puisqu'en l'aimant, c'est mon passé que tu aimes. Comprends-tu le mal que tu viens de me faire et qui ne peut se défaire ? Comprends-tu surtout le tort que tu t'es fait et comprends-tu que désormais cette maison te restera fermée ? (p. 123-134)
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