16 septembre 2024

Les grimoires

 Louis-Joseph Doucet, Les grimoires, Québec, 1913, 72 p.

En lisant le poème éponyme, le premier du recueil, on comprend que les recueils antérieurs de Doucet ont été malmenés par les critiques qui lui reprochent surtout de trop publier : « Si je n’écrivais que deux pages / Tous les cinq ans, bien humblement, / On me dirait : « C’est dommage, / Mais qui ne peut en faire autant? » / D’autres diraient : « Quel grand poète! / Mais sans imagination ; / C’est d’une facture complète, / Mais quelle constipation! ».

Je l’ai déjà dit, ce qui est difficile avec les recueils de Doucet, c’est qu’on n`y trouve aucun plan. Un poème qui traite de Tadoussac est suivi d’autres poèmes qui parlent du passage des saisons et de l’historien Garneau, de la jeunesse enfuie, d’un drame au Yukon, d’un retour sur son passé, etc. Et l’auteur en est tout à fait conscient (d’où le titre), s’en amuse et même en rajoute, afin d’indisposer encore plus ses critiques :



FIN DES GRIMOIRES

Voici la fin de mes ‘‘grimoires”
Écrits tels que je les voulus,
Défiant toute ma mémoire,
Délirant à vers que veux-tu...
Et sans jamais viser personne
J’ai visé des sociétés
Qui dispensent mainte couronne
En s'annonçant de tous côtés !

Mais je finirai par leur dire
Ce que je pense de leurs faits ;
Loin de blasphémer ni maudire
Je vais leur accorder ma paix,
À condition simple et pure
Que l’on respecte tous mes droits.
Sans ça, ma foi, je vous le jure,
Je ferai part de mes émois !

Voici la fin de mes “grimoires”,
Petit volume échevelé,
De plus de pages que de gloire,
Mais dont aucun vers n’est volé,
Je n’endosse aucune défroque,
Ni de Musset, non plus d’Hugo,
Je lave ma rime et mes loques,
Et j’imprime le tout, franco.

Je n’écris pas pour qu’on m’admire,
Ce serait folie autrement :
J’écris pour causer et pour rire
Quand l’ennui vient, isolément,
Et même, parfois, quelque veille,
Au lieu de rire j’ai pleuré :
L’âme est seule quand tout sommeille
Et que rôde un songe apeuré.

Et le lendemain, dès l’aurore,
Je transcris les pages du soir ;
Le soir je recommence encore,
Presque sans but et sans espoir :
C’est une vie un peu bébête,
Bien peu voudront l’apprécier,
Ce n’est pas celle d’un poète,
C’est l’exercice d’un métier.

(p. 67-68)

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