Mordecai Richler, Rue Saint Urbain, Montréal, Hurtubise HMH, 1969, 203 p. (Coll. L’Arbre) (Traduit par René Chicoine)
Rue Saint-Urbain tient davantage de la chronique que
du récit malgré ce qu’en dit l’éditeur. Chacun des 10 chapitres, mettant en
scène un événement qui a marqué le quartier juif de Montréal dans les années
1940-1950, pourrait constituer une nouvelle littéraire. Au centre de ces
récits, la famille du narrateur, mais aussi son quartier, tant l’une ne va pas
sans l’autre. En filigrane se dessinent les événements politiques, canadiens ou
internationaux, qui interpellent la communauté juive.
Déjà, en 1945, Gabrielle
Roy dans Bonheur d’occasion et Hugh MacLennan dans Two solitudes ont
décrit l’univers schizophrénique de la ville de Montréal de l’époque. D’une
part, sur la montagne, à l’ombre de leurs riches demeures vivaient les Anglais,
propriétaires d’usines; d’autre part, dans le sud-est de Montréal, à l’ombre
des usines, végétaient les « petits canadiens-français », porteurs d’eau,
ouvriers et locataires. Richler reprend cette même vision, mais par le biais du
ghetto juif, ce qui ajoute à l’éclairage.
On le sait, Mordecai
Richler n’a jamais gagné de concours de popularité (et il n'en n'avait cure),
aussi bien dans sa communauté que dans les communautés avoisinantes. Le brillant écrivain se transformait en polémiste obtus lorsqu’il était question des revendications
des Québécois. Il ne se gêna pas de mêler allégrement le nationalisme québécois
à celui du Führer et, profitant de son statut, de publier le tout dans le New
Yorker. C’est ici que nous intéresse Rue Saint-Urbain, publié en 1968. En
quelque sorte, ce roman peut constituer l’archéologie de sa pensée, ou plutôt
de sa rancune à l’égard des pea soups (surnom donné aux Québécois par
les Anglais et que Richler utilise dans son roman).
Il suffit de citer
quelques phrases pour comprendre sa vision des ethnies qui entourent la
communauté juive. Commençons par les Canadiens français : « Les pea soups étaient tout juste bons pour faire
l'entretien, nettoyer des brûleurs, ramoner des cheminées, conduire un
ascenseur. On les disait menacés par la tuberculose, le rachitisme et la
syphilis. Les femmes âgées lavaient les vitres et ciraient les sols en lino;
les plus jeunes devenaient domestiques dans les maisons huppées d'Outremont,
travaillaient à l'usine et vous accompagnaient au lit quand l'occasion s'en
présentait. Les Canadiens français étaient nos schwartzes. » Pourtant, il écrit
aussi que les Canadiens français sont ses « frères en oppression » comme les
Noirs.
« La Main, rue des
pauvres, était aussi une rue de démarcation. Plus bas, à l'est, les Canadiens
français. Plus haut, à une certaine distance, les redoutés WASPS (protestants
anglo-saxons de race blanche). Sur la Main elle-même, il y avait des Italiens, des
Yougoslaves et des Ukrainiens, mais ils n'étaient pas considérés comme de
véritables Gentils. Même les Canadiens français, nos ennemis pourtant, nous ne
les détestions pas à mort. Comme nous, ils étaient pauvres et communs, ils
avaient des familles nombreuses et parlaient mal l'anglais. Il est facile de
comprendre, rétrospectivement, que la source réelle des difficultés, c'était le
manque de dialogue entre nous et les Canadiens français. Nous nous repoussions
des coudes; c'était à qui gagnerait d'être accepté par les WASPS. Aux préjugés
des Canadiens français, nous opposions nos propres préjugés. Si nombre d'entre
eux étaient persuadés que les Juifs de la rue Saint-Urbain étaient secrètement
riches, eh bien! le Canadien français typique était pour moi mâcheur de gomme
et faible d'esprit. Il coiffait ses cheveux graisseux avec une raie au milieu
et affectionnait, en plus, une moustache taillée en coup de crayon. Le pantalon
zoot qu'il ceinturait juste en dessous du sternum se terminait en fuseau et
collait aux chevilles. Le crétin qui obligeait votre oncle à patienter à la
Régie des alcools pendant qu'il essayait sans succès d'additionner trois
nombres, c'était lui. S'il était employé aux douanes, il ne savait jamais
quelle formule vous remettre. De plus, il tenait son emploi à la Régie ou à la
douane ou dans tout autre service gouvernemental du seul fait qu'il était le
second cousin d'un notaire de campagne … »
Et il y a cette petite
phrase bien méchante sur les autres ethnies : « Il est vrai aussi que nos
proprios, dans l’ensemble, étaient sans scrupules et que les Polonais, les
Bulgares et autres racailles commençaient à s’immiscer ici ou là. »
Qu’on me pardonne ces
longues citations qui véhiculent bien des préjugés de jeunesse (du moins ils
sont présentés ainsi) de Richler à l’égard de ses congénères ! Souvent on
rétorque qu’il n’épargne pas aussi les siens. Piètre argument, il me semble. Ce
qui va tant déranger Richler, dans les années 1960, c’est que les Canadiens
français, devenus les Québécois, vont reprendre en main ce Québec dont il
constitue plus de 80% de la population. Pas facile de se retrouver au bas de
l’échelle sociale (l’échelle Richler), pas facile de voir culbuter l’une après
l’autre les idoles de son enfance (les WASPS de Richler).
Rendons à Richler ce qui
lui appartient : le quartier, la famille et le jeune homme qu’il fut, il nous
les rend éminemment sympathiques. Dommage qu’il n’ait jamais cessé d’exacerber
les vieilles rancunes ethniques !
Prix du Gouverneur
général 1968
C’est méchant, mais en même temps ça donne une bonne idée comment on percevait les french canadians. C’est quelqu’un de l’extérieur qui pose le diagnostic.
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