Hugh MacLennan, Deux solitudes, Paris, Spès, 1963, 648 p. (traduction Louise Gareau-DesBois) (1ère édition : Two solitudes, Macmillan, 1945)
Le roman couvre la période de 1917-1939. Il est divisé en quatre parties : 1917-1918, 1919-1921, 1934 et 1939. C’est un roman très complexe, avec de multiples ramifications et le résumé que j’en fais est forcément imparfait.
1917-1918
La première partie se passe
surtout à Saint-Marc-des-Érables, une paroisse fictive près de Montréal. Elle met
en scène Athanase Tallard, notable exploitant les restes de la seigneurie de
ses ancêtres. Il a épousé en premières noces Marie-Adèle, une femme bigote, qui
lui a donné un fils (Marius); et, en secondes noces, Kathleen (27 ans de
différence), Irlandaise malheureuse qui l’aurait quitté si ce n’était de leur
fils Paul.
Athanase est en conflit avec le
curé Beaubien, parce qu'il ne partage pas ses idées clérico-nationalistes,
parce qu'il veut faire éduquer son deuxième fils en anglais et, plus encore,
parce qu’il veut développer un projet industriel à Saint-Marc. Ce prêtre intervient
dans la vie de ses paroissiens et se permet de les dénoncer en chaire s’il le
faut. C’est un véritable dictateur.
Deux personnages anglophones sont
importants. Huntley McQueen, un financier parti de rien, s’est enrichi au point
que la richesse soit devenue secondaire : il rêve de développer le pays. Il
habite Montréal. Quant à John Yardley, un ancien marin, il s’est installé à
Saint-Marc et a réussi à se faire accepter par sa communauté d’adoption,
peut-être parce qu’il cultive la terre comme tous ses voisins et qu’il est
ouvert d’esprit.
Athanase et Huntley forment une
compagnie pour développer une usine à Saint-Marc. Le conflit entre Athanase et
le curé s’envenime alors au point que le premier décide d’abandonner la
religion catholique et de se faire protestant. Le curé, qui craint de perdre la mainmise sur sa paroisse, réussit à retourner
toute la paroisse contre lui. Nous sommes en pleine guerre et la conscription
divise francophones et anglophones.
1919-1921
La plupart des soldats sont
démobilisés, mais non Marius qui avait été forcé de rejoindre l’armée à la
suite d’une dénonciation de la fille de Yardley. Marius, un nationaliste enragé,
fréquente Émilie, une ancienne serveuse qui travaille maintenant dans une
manufacture. Quant à Athanase, qui vit maintenant à Montréal, il apprend qu’il
a été écarté du projet d’usine à Saint-Marc. Sa guerre avec le curé en a fait
un boulet pour son associé anglais à la recherche d’acceptation sociale pour
son projet. Le peu de confiance des anglophones pour le sens des affaires des francophones
y est sans doute aussi pour beaucoup. Quant au jeune Paul, il fréquente l’école
de Frobisher et réussit aussi bien dans ses études que dans les sports qu’il
pratique. Tout bascule quand Athanase meurt. Toutes ses propriété sont vendues
pour couvrir une partie de ses dettes. Paul doit quitter son école. Sa mère emménage
dans un petit appartement.
1934
Kahleen épouse un Américain de Pittsburg et disparaît du roman. Paul se retrouve seul à Montréal et, malgré son diplôme universitaire et son bilinguisme, il ne réussit pas à trouver d’emploi. Lors d’une visite à Yardley, maintenant déménagé en ville, il revoit Heather, avec laquelle il avait joué pendant son enfance. Le courant passe entre eux, ce qui n’empêche pas Paul d’embarquer sur un bateau pour découvrir le monde.
1939
Paul est à Athènes. Il a presque terminé un roman et il compte rentrer au Québec. Heather, vient de passer quatre ans à New York pour étudier et travailler dans un musée. Les deux s’écrivent, s’aiment à distance. Ils se retrouvent à Halifax où vit maintenant Yardley. Celui-ci meurt et, deux jours plus tard, Heather et Paul se marient sans le dire à personne. De retour à Montréal, Paul se lance dans la rédaction d’un nouveau roman dans lequel il essaie de cerner l’identité canadienne pendant que Heather accompagne sa mère à Kennebunk. Cette dernière, au courant des amours de sa fille mais non de son mariage, la harcèle sans cesse, si bien que Heather finit par lui avouer son mariage. Elle est catastrophée de savoir que sa fille a épousé un catholique francophone (il est pourtant bilingue) sans emploi. Comme la guerre est déclarée, Paul confie sa femme à sa mère puisqu’il compte rejoindre l’armée.
J’ai lu ce roman il y a 30 ans et
j’en avais gardé un bon souvenir. Je crois toujours que c’est un excellent
roman. Il est clair que Maclennan essaie de faire la part des choses, de renvoyer
dos à dos les deux « solitudes » : les Canadiens anglais, dévolus au
pouvoir de l'argent, imbus de leur supériorité, incapables de se libérer de la
tradition britannique; les Canadiens français enfermés dans un nationalisme et
un immobilisme rétrogrades, livrés aux pouvoirs des curés. Linda
Leith a raison de dire que, tout compte fait, les personnages
anglophones sont plus estimables que les francophones, ce qui fausse le
résultat final. Les plus beaux personnages du roman sont Yardley et sa fille
Heather. Du côté des personnages antipathiques, Marius et Janet remportent la
palme. Ce que je regrette, c’est qu’il montre trop peu la société canadienne-française
et que MacLennan ait choisi des campagnards pour représenter les francophones.
Pourquoi pas des ouvriers urbains travaillant pour des salaires de misère dans
des manufactures qui ne leur appartiennent pas? Il me semble que le lien entre
anglophones et francophones y était plus explicite. Ce roman, et on ne peut pas
le reprocher à l’auteur, met en scène d’abord et avant tout l’élite anglophone
de Montréal. J’ai du mal à considérer, comme certains critiques le font, que
l’union de Paul et Heather puisse être lue comme la réconciliation des deux
solitudes puisque cette union a lieu envers et contre tous et est rompue par la
guerre.
Le récit ratisse au-delà du thème des
deux « solitudes ». Il raconte aussi l’enfermement dans lequel se
trouvent les riches, l’échec de la génération de l’Entre-deux-guerres, la
société patriarcale dans laquelle sont enfermées les femmes, une certaine
misogynie ambiante, l’effet diviseur de la religion, les chambardements sociaux
qu’entraîne le développement industriel, le clivage engendré par la
conscription, les secrets de la création littéraire, etc.
MacLennan a une capacité assez
exceptionnelle de développer des situations, qu’elles mettent en scène un personnage
seul, un groupe, un couple amoureux. Ses analyses, psychologiques et sociales,
parfois un peu verbeuses, sont le plus souvent brillantes. Les dialogues contribuent
pour beaucoup à la connaissance qu’on a des personnages. Bref, c’est un très
bon roman, tout traditionnel qu’il soit, et je comprends mal que les éditeurs
québécois aient attendu 1978 avant d’en produire une édition québécoise.
Hugh
Maclennan est né en 1907 en Nouvelle-Écosse. Il étudie en Angleterre et aux
États-Unis. À partir de 1935, il enseigne à Montréal et habite le Québec. Il
meurt en 1990 à Montréal. Il a remporté de multiples prix et est considéré
comme l'un des plus grands écrivains canadiens.
Extrait 1
Extrait 2
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