Joseph Harvey, Les épis de blé, Les fleurs de sillon, Imprimerie Le Soleil, Québec, 1923, 142 pages. (Avertissement et photo de l’auteur en frontispice)
Il est facile d’imaginer la vive inquiétude que suscitait la publication d’un recueil de poésie par un jeune ouvrier agricole à peine scolarisé au début des années 20. On comprend mieux pourquoi le paratexte qui précède les poèmes est aussi important. Harvey (1898-1973) joue à fond la carte de l’humilité, encore plus que ses contemporains s’il est possible. Après un « Avertissement », on lit une lettre à sa mentor (Georgina Lefaivre) et deux textes de celle-ci pour légitimer la publication de ses poèmes. Parlant de lui à la troisième personne : « Il espère que l’intention honorable, qui a motivé ces essais, lui fera pardonner, aux yeux des lettrés, d’avoir, pour charmer ses heures de solitude, quelquefois troqué la charrue du colon pour le luth du poète. » En lisant son recueil, pourvu de nombreuses dédicaces et de quelques références, on devine que l’auteur a beaucoup plus de culture que ce qu’il le laisse entendre et, disons-le, son recueil n’a rien à envier à ceux de ses contemporains. Si Harvey vous intéresse, commencez par lire sa bio sur le site du Musée virtuel francophone de la Saskatchewan.
Joseph Harvey |
La plupart des 62 « épis »
du premier livre donnent davantage dans la poésie intimiste que dans le terroir
malgré leur appellation. « Je suis un poète sauvage, / Ignorant, qui
souventes fois / Rêve, la nuit sur le rivage / d’un lac, le jour, au fond des
bois. » Si dans un poème il s’adresse à sa charrue (!), il y a bien
d’autres personnes qui sont interpellés dont ses parents, des jeunes filles. Harvey,
au moment de publier ce livre, vit à Ormaux (Saskatchewan), un petit bled perdu
dans l’Ouest canadien. Quelques poèmes sont teintés de la nostalgie du pays
perdu, du petit coin qui l’a vu naître (Causapscal), de la culture québécoise et
plus largement de l’enfance. Finalement, un sentiment de tristesse se dégage de
ce premier livre : « …quand la mélancolie errante nous emporte / au
milieu des buissons jaunis » Ou encore : « Revivons ce soir
notre enfance, / Ce temps de force et d’innocence ».
L’intermède « Humour »
fait tout au plus sourire. Harvey nous parle de son rapport à l’écriture :
humilité, dérision, passion sont les trois mots qui émergent : « … Je
ne suis pas de ces rimeurs maudits, / Pédants et ténébreux qui semblent se
complaire / À jongler des tours neufs, plats, inédits ».
Les fleurs de sillons regroupent
18 « fleurettes », des poèmes sentimentaux. Y alternent les
déclarations d’amour et les déconvenues amoureuses. Je cite : « À
seize ans je couchai dans le froid de la tombe / Mon premier amour aux yeux
bleus! »; « Je l’aimais comme on prie une sainte ». Je cite cette fleurette dédiée à « mademoiselle Claire M. » : « Si
Dieu créa le premier homme / D’un souffle de sa bouche, en somme, / Il me
charme de supposer, / Qu’il fit la femme d’un baiser! »
Comme extrait, je propose un court « épi », rédigé à la suite du décès subit de sa mère :
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