Gabrielle
Roy, La montagne secrète, Montréal, Beauchemin, 1962, 222 pages.
Gabrielle
Roy s’est inspirée de son ami René Richard pour écrire La Montagne secrète.
Le récit met en scène un peintre, Pierre Cadorai, qui cherche à découvrir ce qu’il est comme personne et comme artiste. L’histoire se développe en trois temps,
en trois lieux.
La
première partie, le temps de l’apprentissage se déroule dans les Territoires-du-Nord-Ouest,
quelque part sur les affluents du MacKenzie. Pour gagner sa pitance, Cadorai trappe
et, dans ses moments libres, s’adonne au dessin avec du matériel élémentaire. De
façon instinctive, il cherche à trouver une « manière », à développer
son talent. « Lancé en un paysage nouveau il avait la sensation que rien
de ce qu’il découvrait ne serait jamais perdu pour son souvenir. Sans doute, un
jour ou l’autre, lui faudrait-il vivre sur ce qu’il aurait acquis, subsister
sur son trésor ; c’est là ce qu’on appelle l’âge mûr de l’homme :
vivre des provisions amassées en route. Que ce fût le plus tard possible !
Il en était loin encore, pensa-t-il, enivré. Et, entre ces rives désertes, sa
voix s’éleva en un gai yodel. »
La
deuxième partie se passe dans l’Ungava. Cadorai mène une vie solitaire, errant
à l’aventure, suivant les rivières qui l’amènent toujours plus au nord. Un jour,
il se retrouve devant une montagne et c’est l’illumination qui va lui faire faire un
bond artistique. « En une série de taches vives et ardentes, les pochades,
au bas de la montagne, se répondaient l’une à l’autre, chacune relayant en
l’amplifiant la même exaltation de la lumière, le même profond cri silencieux.
Mais quoi encore ? Pierre comprenait tout à coup qu’il avait fait plus que
peindre par étapes la haute montagne glorieuse. Du même coup il avait atteint
autre chose, de vaste, de spacieux, où il était tel un oiseau à travers
l’espace. Alors, il souhaita vivement un autre regard que le sien sur son
œuvre. »
La
dernière partie se passe à Paris. Cadorai a senti le besoin de fréquenter les
grands peintres pour mener plus loin son art. Il suit quelques cours, fréquente
un « maître professeur » lequel le renvoie assez rapidement,
l’obligeant à continuer ses propres expérimentations. Sa santé décline et c’est
avec l’impression de n’avoir pas réussi que Cadorai décède. Juste avant de
fermer les yeux, la vision de ce qu’aurait pu être son œuvre lui apparaît :
« Il ouvrit les yeux, regarda ses toiles,
en fut chagriné. Là n’était pas son œuvre, mais peut-être était-elle enfin sur
le point de se montrer. Il sentait rôder autour de lui comme un soleil qui
cherche à percer un jour douteux — et, en certains endroits, le brouillard
s’amincit au point qu’une forme apparaît, et, de ce côté, parviennent aussi
comme des sons. Pour lui, les images souvent s’étaient accompagnées d’une sorte
de musique indéfinissable ; non pas une harmonie véritable, mais des sons
filés, bizarrement beaux, comme simplement d’herbes au vent.
Or, ce qui était au-delà du brouillard, il
en avait le sentiment, était si bien ce qu’il cherchait, était si proche, qu’il
commença à s’agiter parce qu’il ne l’apercevait pas encore.
Puis il éprouva qu’il commençait à marcher
sans effort de son grand pas rapide d’autrefois ; il enjambait d’un seul
bond de rudes obstacles ; l’Ungava revenait vers lui. Ou lui, vers le
grand désert en sa splendeur incroyable.
Tout à coup le parcourut un frémissement
si heureux qu’il se dressa dans l’attente de l’image qui forçait la brume,
s’avançait vers lui telle une personne aimée.
La montagne resplendissante lui
réapparaissait.
Sa montagne, en vérité. Repensée, refaite
en dimensions, plans et volumes ; à lui entièrement ; sa création
propre ; un calcul, un poème de la pensée. »
Une
des forces de Gabrielle Roy, c’est de décrire les relations humaines, comme elle le fait si bien dans le cycle du Manitoba. Or dans
ce récit, qui met en scène un solitaire, elles sont très minces. Elles se
limitent à quelques relations d’amitié et à une approche amoureuse sans lendemain.
Le récit devient ascétique, pourrait-on dire, mince et profilé comme le
personnage principal et comme la nature que Roy décrit dans les deux premières
parties de son roman. L’essentiel du texte porte sur le regard que l’artiste
pose sur le monde extérieur, sur le comment il se l’approprie, le transforme.
Quelques courts passages évoquent la fonction de l’artiste, sa responsabilité
face aux autres.
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