Thérèse Renaud, Les sables du rêve, Montréal, Les
Cahiers de la file indienne, 1946, 37 pages. (Couverture et cinq dessins
pleine page de Jean-Paul Mousseau)
On doit à Thérèse Renaud la première publication d’un texte surréaliste au Québec. Si « le surréalisme est figuratif et l’automatisme est non-figuratif », comme le souligne Mousseau (André G. Bourrassa, 1977, p. 105), j’oserais dire que Les sables du rêve est plus
surréaliste qu’automatiste, même si Thérèse Renaud et ses sœurs ainsi que
Jean-Paul Mousseau faisaient partie du groupe de Borduas. Il faut souligner que
l’appellation « automatiste » n’apparait
qu’en 1947.
Les sables du rêve est le troisième
livre des mythiques « Cahiers de la file indienne » (1946). Les deux
auteurs-fondateurs de la maison, Éloi de Grandmont et Gilles Hénault,
publiaient la même année Le voyage
d’Arlequin et Théâtre en plein air.
Ce sont les premiers livres où l’on rencontre une collaboration entre poète et
artiste, tradition que va poursuivre Erta. Les Cahiers de la file indienne
s’inscrivent dans la tradition surréaliste, un surréalisme plus sage que celui
de Breton, il faut le dire.
Le
titre est tiré d’un vers de Breton : « il y aura toujours une pelle au
vent dans les sables du rêve » (Les États
généraux, 1943). Les dessins de Mousseau accompagnent le texte, mais ne
l’illustrent pas. Ils sont figuratifs. Mousseau emprunte le procédé de
surimpression cher aux surréalistes : des caricatures de personnages
mi-bêtes, mi-humains, mi-végétaux. En quelque sorte, un bestiaire fantastique
comme en fit Pellan.
Commençons
avec les quatre strophes qui ouvrent le recueil.
« Entre la
peau et l’ongle d’un géant j’ai bâti ma maison. / Mon mari est petit et noir.
Il aime les serpents et en porte toujours comme cravate. Il est beau et sur sa
nuque pour des cheveux poussent les crins d’un cheval. / Un jour il entre en
tenant ses yeux dans ses narines : « Bonjour mon arbuste chéri. » / Nous sommes
allés à la rivière rincer notre linge et teindre nos cheveux. »
Certains
éléments vont devenir des constantes. Notons l’absence de vers, la présence de
personnages (dont le narrateur acteur) et une narration. En plus, surréalisme
oblige, le temps et l’espace sont pervertis, les mondes minéral et animal
envahissent l’humain, l’enchaînement des actions est déroutant et l’humour est
présent. On a l’impression de se retrouver dans un conte merveilleux : les
serpents-cravates, les cheveux-crins-de-cheval, la femme-arbuste, les
yeux-narines. Voici la suite du poème :
La
jeune femme espère plus qu’un bonheur domestique, un peu de ces « beaux
rires près de la route qui conduit à la forêt ». L’effet des « arbres
jaunes de Hollande » ne durera pas longtemps. Dans presque tous les
poèmes, on va retrouver un scénario semblable : une jeune fille (plus
rarement une femme ou un homme) rêve ou essaie d’échapper à son milieu, de
s’affranchir de certaines contraintes. Et quand elle réussit à franchir le pas,
qui la libérerait ou la délivrerait, un incident la ramène au point de
départ. « J’ai connu trois garçons que
j’ai pris par la main sans les embrasser mais je me suis aperçue bien vite que
ce n’était que des voiles sans barque ». Le plus souvent, c’est elle-même
qui est incapable de rompre les liens qui la retiennent : « Arrivée à la
clairière j’ai pris mes pieds malades et les ai jetés dans le ruisseau. / J’ai
descendu mon corps entier dans les fossés et j’ai refermé la coquille d’huitre… »
Sa quête de liberté, d’affranchissement va prendre différentes tournures,
emprunter différents scénarios, réalistes ou totalement imaginaires : « Dans ma
coquille d’huitre j’ai déposé ma tête. Les herbes ont courbé la cheville et moi
je suis allée à la rencontre de trois voyageurs »; « J’ai revêtu mes
combinaisons de joie sauvage »; « Mais si la nuit se fait complice de
mes rêves alors il y aura de la casse et mes jambes qui me servent
d’appuis-livres me projetteront dans un gouffre si profond que j’y verrai mes
ancêtres en train de manger leurs mains avec des chinoises » Tout,
toujours, se dérobe en sa présence, et même l’amour qu’elle a laissé passer :
« Ah!
Enfermez moi pour avoir dérobé ce secret et eu le malheur de voir l’amour sans
tomber à ses genoux… » Le recueil se termine justement par la disparition
du personnage ou du désir… : « Et la Grande Pâmée s’évanouit comme
je sentais ma bouche s’épaissir et mes doigts se crisper… »
Le
surréalisme de Renaud est moins dans les images percutantes que dans la
désarticulation du réel. Elle invente un univers fantastique qui tient du
conte. C’est une toute jeune femme qui écrit ces poèmes (19 ans au moment de la
publication, le 11 septembre 1946). Son désir de liberté, elle lui donnera
suite puisqu’elle déménagera ses pénates en France, en octobre 1946, rejointe bientôt
par Fernand Leduc qui deviendra son mari. Les deux seront signataires du Refus global, en 1948.
à Louise
J’ai passé la journée à compter les
plis que font
mes pas sur la neige
mes pas sur la neige
J’ai passé l’année à rêver d’une
chevauchée
mystérieuse de nuages mousseux
mystérieuse de nuages mousseux
J’ai recueilli trois pétales de lys
pour
me faire une robe
me faire une robe
Ai-je entendu la
cloche tinter ?...
Je suis partie à quatre pattes pour
faire la
conquête des îles d’automne
conquête des îles d’automne
Entends-tu la cloche
prier ?...
Je n’ai rien eu à refaire puisque je
suis
« l’Abeille-Désir »...
« l’Abeille-Désir »...
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