Raymond Savard, Larmes,
Montréal, Éditions Nocturne, 1955, 117 pages. (Présentations en prose et
maquette de couverture de Claude Marceau)
Raymond Savard et Claude Marceau
ont fondé les éditions Nocturne qui ont duré une dizaine d’années. Si je
comprends bien, les auteurs qui publiaient sous leur bannière s’autoéditaient.
Dommage qu’on n’ait pas d'expression pour la poésie naïve, comme c’est le cas pour la peinture. Bien
entendu, il faudrait manier cette catégorie avec soin, car elle ne saurait excuser
toutes les maladresses, les naïvetés. Raymond Savard fait de la poésie naïve,
c’est-à-dire sans recherches verbales, pleine de bons sentiments, sur des
thèmes éculés qu’il n’essaie pas de renouveler. Je ne m’acharnerai pas (ce
serait mal venu, avec un retard de 60 ans) sur Larmes, ni sur l’auteur dont c’était le troisième recueil. Je
suppose qu’il a dû trouver ses lecteurs. Des éditions Nocturne, je connaissais
les vers de Carrier, qui me plaisent assez.
On a droit à deux épigraphes :
la première, empruntée à Henry Miller, est pour les lecteurs: « Le monde
est en larmes pour l’éternité. Le monde est baigné de larmes. Être joyeux,
c’est être un fou en liberté dans un monde de tristesse et de fantômes… »
La seconde, empruntée à La Bruyère, s’adresse aux critiques : « Le
plaisir de la critique nous ôte celui d’être vraiment touchés de très belles
choses ».
Le recueil s’ouvre sur le poème
« Madame Justice » : « Certains critiques aveuglés / Par
les phares de l’irréalité / Condamneront mes vers, et bouclés / Seront
les succès convoités!». Et c’est suivi d’un commentaire de Claude
Marceau, dont voici la première phrase : « La Providence nous comble
de dons multiples et pourtant quels sont ceux qui lui disent merci? » Bon, je
n’irai pas contredire la Providence et encore moins provoquer Madame Justice.
Savard aborde les sujets
suivants : la justice, l’amour, l’hypocrisie, l’amour adolescent, l’amour
qui torture, l’amour fou (« Femme, qui tous les soirs / Ne cessait de
vagabonder / Dans mon cœur inondé / D’un unique et fol espoir! »), l’amour
défendu (prostitution, péché de jeunesse), le souvenir amoureux, la souffrance
amoureuse, le dépit amoureux, la beauté de la nature, le tempérament d’artiste,
la perte des valeurs des jeunes et des artistes, etc.
Marceau propose de courtes
réflexions sur l’injustice, les délices de l’amour perdu, la solitude
(« Même les traîtres appas de la femme ne l’affectent plus. Le
véritable bonheur… il le tient… puisqu’il est seul. »), l’importance des objets
pour fixer les souvenirs, la fugacité du bonheur, l’amour en dehors du mariage,
les illusions de l’amour, le mépris de l’amoureux abandonné.
Savard et Marceau entretiennent
une forme de dialogue. Aux poèmes de Savard répondent quelques textes de
Marceau. Savard se présente comme un grand amoureux déçu et Marceau comme le «
sage » au-dessus de la mêlée.
Comme je l’ai dit au début, la
poésie naïve ne fait de mal à personne, sauf quand elle dérape, ce qui arrive
parfois dans ce recueil. Dans « Péchés d’automne », Savard raconte
les amours d’un jeune couple et d’une fille qui se retrouve enceinte :
« Il lui faudrait toujours pleurer / Verser des larmes, encore des larmes
/ N’ayant plus à perdre de charme / Puisqu’à l’automne, elle a péché! »
Marceau, lui, a beaucoup moins de retenue : « Hypocrites, menteurs,
jaloux, traîtres, voilà ce qu’on découvrira en toute franchise si on a l’audace
de s’arrêter un instant et d’observer les êtres qui nous entourent. La femme
n’est plus elle-même, elle refuse son appui à son époux, elle abandonne ses
devoirs féminins pour s’introduire dans les couloirs réservés aux hommes, elle
tente d’arracher au mâle son titre de conquérant et de chef, elle veut le
dominer en cultivant chez elle ses qualités et ses défauts. L’adolescent, la
fillette provoque effrontément l’adulte qui se voit contraint à devenir son
égal. Ce ne sont là, hélas, que de tristes... constatations ! »
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