Marie-Anna A. Roy, Le Pain de chez nous, Montréal, Éditions
du Lévrier, 1954, 255 pages.
Marie-Anna
Roy (Adèle) était la grande sœur de Gabrielle Roy. On connait la triste
histoire entre les deux. Marie-Anna a entretenu toute sa vie une jalousie
malsaine envers sa talentueuse cadette, ce qui a abouti à la publication du Miroir du passé en 1979, un roman dans
lequel elle dépeint Gabrielle sous un jour défavorable (je ne l’ai pas lu).
Gabrielle Roy aurait tout fait pour empêcher la publication de ce brûlot, elle
qui était dans l’écriture de La Détresse
et l’Enchantement.
Le Pain de chez nous, publié un an avant Rue Deschambault, raconte de façon à peine déguisée la vie de la
famille Roy. Les noms des personnages et de certains lieux sont changés (Les
Roy sont des Morin, Mélina s’appelle Mélanie, Gabrielle est devenue Gaétane),
mais tout lecteur familier de l’œuvre de Gabrielle Roy, du moins de La Détresse et l’Enchantement, a
l’impression du « déjà-lu ». Paradoxalement, c’est peut-être la
principale raison qui fait qu’on s’intéresse au Pain de chez nous. Plusieurs lecteurs de Gabrielle Roy se sont
attachés pour toujours à ses personnages et il est bon de les retrouver, même
sous la plume d’une auteure de moindre qualité. Car il faut bien le dire, le
récit familial de Marie-Anna Roy manque de tonus. Plutôt réaliste, de structure
assez lâche, il me semble que le tri des
événements à conserver n’a pas toujours été fait, ce qui donne un roman inégal.
Tout de même, les principaux
événements de la saga Roy sont « rapportés » : les parents venus
du Québec, le couple dépareillé que forment le père plus âgé et la mère, la
construction de la maison sur la rue Dumuron (la rue Deschambault), le père aigri
et la mère généreuse mais désordonnée, les difficultés financières du ménage
surtout après que le père ait perdu son travail pour des raisons politiques, le
mariage de l’ainée contre le gré des parents, la naissance tardive de
Gabrielle-Gaétane, ses nombreux problèmes de santé, le mariage des enfants, Bédine-Bernadette
qui entre chez les sœurs, la vieillesse difficile du père, son décès, le départ
de Gabrielle pour l’Europe et son établissement à Montréal, la mort de la mère.
Et j’en passe de moins importants. C’est écrit sobrement et plusieurs passages sont réussis.
Voici le portrait qu'elle trace de sa sœur Gabrielle,
celle qu’on surnommait La Misère :
Extrait
La Misère se tenait près de la table, une expression de tristesse
et de souffrance répandue sur ses traits. Bien que frêle et de santé délicate,
elle prenait volontiers cet air pour se faire plaindre et chouchouter. Ses
cheveux légèrement ondulés, d'un riche châtain, étaient relevés sur un beau
front intelligent et attachés sur le sommet de la tête par un ruban. Et ses
yeux illuminés de larmes brillaient comme deux émeraudes !
La Misère éprouvait un morbide besoin d'affection. Elle s'imaginait
que sa naissance, non désirée avait été malvenue et qu'elle était de trop dans
la famille ! Elle se croyait malheureuse et semblait implorer la pitié d'autrui
sur elle-même. Son vieux père avait désappris l'art des caresses. Il se
repliait sur lui-même, enfermé dans une douloureuse solitude d'esprit ; mais si
son affection jetait peu d'éclat, elle n'en était pas moins profonde et
intense.
Mélanie câlinait la Misère et la gâtait en l'entourant de
soins constants et trop exclusifs. La fillette se montrait capricieuse,
exigeante et, quand elle voulait quelque chose, multipliait pour l'avoir les
cajoleries. Si la mère refusait, elle parvenait toujours infléchir sa volonté
flottante par des soupirs et des larmes. Alors Mélanie hochait la tête en
murmurant
— Que veux-tu ? Elle est malade !
(p. 176-177)
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