Moïsette Olier, L'Homme à la
physionomie macabre, Montréal, Édouard Garand, 1927, 154 pages.
« Shawinigan est la Ville
Lumière de la province… mais lumière artificielle seulement. » (p. 63)
Paule-Émile, la jeune fille du
riche docteur Boisjoli, mène une existence tranquille dans le domaine familial.
Existence dont elle déplore l’insignifiance. Un jour arrive le neveu du
meilleur ami de son père, Antoine Bernard. C’est un original dont la tenue (barbe
et cheveux longs, vêtements négligés, manières
déroutantes…) détonne dans le petit monde bourgeois de la jeune fille. Ses amis
s’en moquent ouvertement. Il se présente comme un journaliste venu étudier la
vie ouvrière. Le docteur Boisjoli demande à sa fille de s’en occuper pendant
son séjour. Elle découvre sous l’habit assez « macabre » un jeune
homme intelligent et sensible. Les deux développent un sentiment amoureux.
Survient un coup de théâtre : si Antoine Normand s’est présenté à ses
hôtes sous un jour aussi peu favorable, c’est qu’il voulait convaincre un de
ses amis que l’amour vrai, qui va au-delà des apparences, est encore possible. En somme, sous de fausses représentations, il a réussi à séduire la jeune fille. Celle-ci lui pardonne bien facilement son manège, il me semble.
Vous l’aurez compris, l’intrigue
est banale. À mes yeux, ce roman présente quand même un double intérêt.
Premièrement, il nous offre un aperçu de la mentalité de l’époque. On y parle
des dangers de la danse, de la condition des jeunes filles, du travail des ouvriers le dimanche, de la
nécessité d'une action sociale pour soutenir l’esprit nationaliste et de
l’américanisation de la jeunesse, seul thème qui est un soi tant peu
développé. « Pourquoi ne
luttez-vous pas contre les tendances d'émancipation chez les jeunes de votre
société? Pourquoi ne réagissez-vous pas contre les mœurs américaines qui
envahissent nos centres et tendent à faire de nos âmes des âmes matérialistes
et païennes? Pourquoi ne seriez-vous pas dans votre rayon, l'apôtre de notre
mentalité canadienne-française et canadienne-catholique, sans alliage, sans
abdications, sans atteintes, intègre et fière? » (p. 59-60) On y cite le
père Lalande, Édouard Montpetit, Henri Bourassa, Mgr Adolphe Paquet…
Deuxièmement, on nous offre une
certaine vue de la vie à Shawinigan dans les années 1920. On décrit un peu les
lieux (voir les extraits), on mentionne plusieurs noms qui faisaient partie de
la vie locale ou régionale : l’abbé Émile Cloutier curé de Saint-Pierre,
l’avocat Auguste Désilets de Grand-Mère, l’avocat Louis D. Durand de
Trois-Rivières, l’industriel Hubert Biermans, le sénateur Jacques Bureau,
Médéric Martin ??, le docteur Dufresne, le docteur Normand.
Extrait 1
Les Boisjoli ont nommé leur
domaine Boisjoli-les-Chûtes. En voici une description.
« La compagnie, dont le
docteur Boisjoli était l'un des plus puissants actionnaires, lui avait cédé le
terrain qui s'étend entre les Chûtes. Alors, sur le pittoresque plateau qui
domine les deux abîmes, il s'était fait construire une superbe et vaste
résidence que ni la pluie des automnes ni les rafales de l'hiver, ne lui
faisaient déserter. D'architecture espagnole et toute blanche sous son toit de
tuiles rouges, l'été, la maison semblait un morceau de lumière sur sa colline
verdoyante, et l'hiver, sur son mont blanc, une accueillante et hospitalière
retraite. Le bel immeuble avait son solarium, ses jardins d'hiver, d'immenses
porches et vérandas qui facilitaient agréablement la jouissance des poétiques
entours et des jolis horizons. Sans enlever tout à fait son cachet un peu
sauvage au terrain, de petites terrasses s'étageaient depuis la falaise jusqu'à
la maison. A travers les frissons des jeunes peupliers, des charmilles, des
groupes de chaises rustiques et des hamacs savamment disséminés, étaient autant
d'invitations aux reposantes nonchalances. » (p. 11-12)
Extrait 2
« La nature a été très prodigue
pour ses enfants de Shawinigan. Non seulement vous avez vos belles Chûtes, mais
encore ces riantes montagnes qui festonnent si joliment l'horizon et le
St-Maurice qui promène autour de la ville, les méandres étincelants de sa moire
argentée. Il y a aussi beaucoup de charme dans tout cet imprévu suscité par les
caprices du sol, joyeux coteaux, profonds ravins, plis de montagnes où se
dérobent des paroisses entières, tandis que d'autres s'épanouissent fièrement
sur les plus hauts sommets. Oui vraiment, votre ville est fort pittoresque et
vos usines si puissantes pourtant, ont eu le goût rare de ne pas gâter le
tableau. » (p. 149-150)
Pour tout savoir sur la petite
histoire de Shawinigan : Le Carnet
du flâneur
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