A. C. de Lisbois, Autour d’une auberge, Montréal, Imprimerie de la Croix, 1909, 183 pages. (A. C. de Lisbois est le pseudonyme d’Azarie Couillard-Després)
Le curé de Notre-Dame-de-Pointe-aux-Foins a décidé que l’auberge du village devait fermer. En chaire, il prononce un prône qui divise ses paroissiens. Cette auberge appartient à un Français, monsieur Sellier, débarqué au Québec il y a vingt ans, qui n’a que faire des directives du curé, ce qu'il ne peut dire ouvertement. Il est puissant puisqu’il possède un moulin à scie qui fait vivre plusieurs paroissiens. En fait, il a hérité de la fortune de son beau-père quand sa femme est morte. On apprendra, plus loin dans le roman, qu’il a assassiné son beau-père. Craignant la réaction des Canadiens, il s’est associé à Jules Rougeaud, le maire du village, dont il rétribue généreusement les services. Il n’hésite pas à acheter les conseillers, à intimider ses créanciers. Il s’est même trouvé un homme de paille pour diriger l’auberge.
À chaque année, le permis de boisson doit être renouvelé par le Conseil municipal. La première année, Sellier réussit à acheter deux conseillers au grand désespoir du curé et de quelques citoyens qui forment le comité de la tempérance. Cependant, l’année suivante, on s’assure que les nouveaux membres élus du Conseil soient des partisans de la tempérance. Sellier perd son permis et Rougeaud fait brûler la maison d’un opposant pour se venger. Un témoin l’a vu, il est emprisonné. Quant à Sellier, il meurt peu de temps après, victime d’un arbre.
Vous l’aurez compris, Autour d’une auberge, c’est d’abord une charge à fond contre les « buvettes ». L'auteur reprend de façon laborieuse tous les arguments et contre-arguments que le débat suscite. Des extraits, comme celui qui va suivre, occupent une grande partie du roman (ils sont énoncés par le curé et repris par les tempérants; je vous épargne les arguments du clan adverse).
« Car celui qui s'habitue à prendre de ce poison s'abrutit insensiblement. Les ravages de l'alcool sont incalculables. Que de maladies il engendre ! Cette boisson brûle les organes, l'estomac, le foie, le rein, le cœur. Elle occasionne les dérangements du cerveau, les syncopes du cœur, l'apoplexie, l’épilepsie, la démence......C'est la boisson qui peuple les asiles d'aliénés. Oh! combien il est coupable le gouvernement de notre pays qui n'élève pas une digue puissante contre ce courant envahisseur, de crainte de voir ses revenus diminuer. Oui ! Mes Frères, les ministres, les députés, sont responsables de cet état choses qu'ils tolèrent. Ils ont peur des hôteliers des grandes villes. Pourquoi reculent-ils? Pourquoi font-ils pas des lois sévères contre ces buvetiers ? Pourquoi ne protègent-ils pas notre race contre l’alcool? »
Le roman défend aussi la place des curés dans la société. Sellier, qui a vécu dans la France laïque, trouve que les Canadiens forment une « bande de poules mouillées ». Pour lui, le pouvoir ecclésiastique s’arrête au seuil de l’église. Cela nous vaut un argumentaire en faveur des curés. Un chapitre est consacré à démolir les thèses qu’André Siegfried a développées dans Le Canada, les deux races ; problèmes politiques contemporains, (Paris, A. Colin, 1906). Pour Siegfried, le clergé a joué un rôle important dans la préservation de la « race » canadienne-française, mais le tribut est devenu trop lourd, entre autres en ce qui regarde les écoles, complètement dépassées selon lui.
Enfin, disons que le roman se présente comme une attaque en règle contre la France républicaine : « La France se meurt sous le gouvernement infâme qui la régit. Les impies réclament la liberté pour eux, mais ils la refusent aux catholiques qui souffrent des persécutions continuelles. Pour arriver à leurs fins les francs-maçons ont attaqué les écoles: ils les ont laïcisées. Ils ont chassé les religieux et les religieuses de leurs couvents; puis se sont mis ensuite à piller les églises. Ce n'est pas tout: ils s'attaquent maintenant au clergé. Ils emprisonnent les évêques, les prêtres qui refusent de reconnaître des lois injustes, draconiennes, et qui revendiquent la liberté de l'Église. Les dernières nouvelles nous apprennent que le Cardinal Andrieu, Mgr Amette ont été poursuivis et condamnés par des juges à la crèche du gouvernement. Mgr Ricard et plusieurs vicaires généraux, le 2 juillet 1909, ont reçu le même honneur pour avoir défendu les droits de l'Église du Christ. / Voilà la liberté si vantée par Sellier, type parfait de tant d'autres, qui viennent sur nos bords, exalter les bienfaits de la libre pensée, et plaindre les Canadiens parce qu'ils sont restés attachés à leur foi. » (p. 150-151)
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