Jean-Paul Filion, Un homme en laisse, Montréal, Les
romanciers du jours, 1962, 124 pages.
Le vieux Frid a abandonné sa
femme et ses enfants et s’est installé à l’écart du village. Il a pour seul ami
Monsieur Bleau qui le visite tous les soirs. Il exploite un chenil d’une
quarantaine de chiens. Il a quand même un préféré, Castor, un chien qu’il
traite comme un humain.
Un soir, alors qu’il s’apprête à
se coucher, il s’aperçoit que Castor ne tient pas en place, qu’il demande pressement
la porte. Il le laisse sortir. Le chien file à toute vitesse vers le bois,
comme si son sixième sens lui avait permis de repérer quelques animaux
sauvages. Voyant qu’il ne revient pas, Frid
prend une lampe de poche, son fusil et part à sa recherche. Et là
commence un manège, semblable au jeu du chat avec la souris. Le chien semble
l’appeler au loin. Quand Frid approche, le chien se déplace et lui lance un
nouvel appel. Ce manège va durer presque deux jours. Le vieux est à moitié mort
(il n’a pas mangé, c’est octobre et il a froid, il s’est écorché…). Au bout du
compte, le chien le mène jusqu’à un
chasseur, blessé, perdu, à moitié fou. Le vieux Frid n’a pas le choix, il doit
le sortir du bois. Heureusement le chien trouve un raccourci qui allège le
chemin de retour. Il n’empêche que la tâche est pour ainsi dire surhumaine,
puisque le chasseur ne s’aide pas et que le vieux doit le traîner. Ils
aperçoivent finalement le village. Malheureusement Castor, qui a peu mangé
depuis le départ, s’enferre dans un piège à ours. Le vieux doit l’abattre. Il
est complètement démoli. C’est finalement le chasseur, qui a repris un peu ses
sens, qui ramène Frid chez lui.
Jean-Paul Filion avait déjà deux recueils de poésie à son actif lorsqu’il publie Un homme en laisse, le sixième roman dans la collection « Les romanciers du jour ». C’est un roman d’action et pourtant il y en a très peu. L’essentiel tient aux difficultés que le vieux rencontre dans sa poursuite et aux admonestations qu’il sert à son chien. On pense que Frid va mourir et que son aventure est une métaphore de sa traversée vers l’autre monde. On est un peu déçu et surpris de découvrir que cette longue pérégrination se termine devant un chasseur mal en point. La fin n’est pas claire. Je comprends que cette traversée n’est qu’une perturbation de plus dans sa longue vie. La mort du chien le rapproche des humains.
Extrait
Les deux hommes se laissèrent couler sur le penchant de la colline, puis s’engagèrent dans un champ labouré aux sillons durs comme des madriers. Ils parvinrent à une clôture dont ils ne purent qu'à grand-peine enjamber les pagées. Puis ce fut une pièce de luzerne gelée qu'ils croisèrent sans prononcer le moindre mot, sans échanger le moindre des secrets que chacun étranglait au fond de lui-même. L'espace d'une seconde, le vent put porter ces mots frêles, chétifs, mais le silence reprit aussitôt toute la place. Frid marcha faiblement derrière son voisin dont l'allure s'était raffermie.
Lorsqu'ils arrivèrent au pied de la pente qui bordait le chemin juste en face du chenil, les hommes firent halte, se regardèrent un moment sans rien dire, puis se mirent à grimper.
Jean-Paul Filion avait déjà deux recueils de poésie à son actif lorsqu’il publie Un homme en laisse, le sixième roman dans la collection « Les romanciers du jour ». C’est un roman d’action et pourtant il y en a très peu. L’essentiel tient aux difficultés que le vieux rencontre dans sa poursuite et aux admonestations qu’il sert à son chien. On pense que Frid va mourir et que son aventure est une métaphore de sa traversée vers l’autre monde. On est un peu déçu et surpris de découvrir que cette longue pérégrination se termine devant un chasseur mal en point. La fin n’est pas claire. Je comprends que cette traversée n’est qu’une perturbation de plus dans sa longue vie. La mort du chien le rapproche des humains.
Extrait
Les deux hommes se laissèrent couler sur le penchant de la colline, puis s’engagèrent dans un champ labouré aux sillons durs comme des madriers. Ils parvinrent à une clôture dont ils ne purent qu'à grand-peine enjamber les pagées. Puis ce fut une pièce de luzerne gelée qu'ils croisèrent sans prononcer le moindre mot, sans échanger le moindre des secrets que chacun étranglait au fond de lui-même. L'espace d'une seconde, le vent put porter ces mots frêles, chétifs, mais le silence reprit aussitôt toute la place. Frid marcha faiblement derrière son voisin dont l'allure s'était raffermie.
Lorsqu'ils arrivèrent au pied de la pente qui bordait le chemin juste en face du chenil, les hommes firent halte, se regardèrent un moment sans rien dire, puis se mirent à grimper.
Parvenu le premier au bord de la route, l'étranger aspira profondément
l'air du grand jour. Il se retourna et attendit.
À mi-côte, Frid avait laissé tomber son sac qui gisait comme une pierre
derrière lui. Moulu, contusionné, il s'amenait à quatre pattes, l'œil égaré, le
souffle à bout, se traînant avec le désespoir d'un animal traqué. Arrivé au
pied de l'homme, il s'affaissa complètement, la face contre terre, et sa bouche
bava un râlement sourd.
Conscient, l'étranger fut pris d'un mouvement de panique. Aussitôt, il
mâta son épouvante et se pencha sur le vieux qu'il réussit à rouler sous la
clôture du chemin. Il traversa à son tour et, y mettant toutes ses forces, il
empoigna Frid sous les bras, le tira comme une poche en travers du fossé,
franchit la route, et pénétra à reculons dans la cour qui séparait la maison du
chenil.
Pendant qu'il montait les trois marches du perron, le vieux inerte et
pendu au bout de ses bras, l'étranger entendit un tonnerre d'aboiements qui
venait d'éclater dans le bâtiment, au fond de la cour. Brusquement, la porte
s'ouvrit.
— Qu'est-il arrivé? s'alarma Monsieur Bleau, pâle de terreur.
Le jeune homme franchit rapidement le seuil la porte, traînant Frid
jusqu'au centre de la cuisine. Doucement, il retira ses mains et la tête du
vieux bascula sur le côté.
Par la porte restée ouverte, une large bande de soleil coulait sur le
plancher.
Monsieur Bleau s'était approché avec frayeur.
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