Joseph Marmette, Charles et Éva, Montréal, Lumen, 1945, 189 pages. (Préface de Léo-Paul Desrosiers et quelques illustrations anonymes)
Le roman a été publié en feuilleton dans la Revue canadienne à partir de décembre 1866. La première édition en livre, c’est celle des éditions Lumens.
On retrouve les deux ingrédients du roman historique : des événements véritables et une histoire sentimentale. Le fondement historique, c’est la bataille que les Canadiens livrent à Schenectady en 1690. Suite au massacre de Lachine, commandé aux Iroquois par les Anglais, Frontenac décide de représailles contre ces derniers. Il compte les surprendre à Albany en portant une attaque en plein hiver. Le commandement est confié à Messieurs d’Ailleboust de Mantet et LeMoine de Saint-Hélène. La petite armée compte 98 Canadiens, quelques Abénakis et 120 Hurons. Il faut marcher une quinzaine de jours. Fatigués, le 8 février au soir, on décide d’attaquer plutôt un petit bourg à quelque cinq milles d’Albany : Schenectady. On surprend les habitants en pleine nuit. S’ensuit un massacre innommable : « Alors commença l'une de ces effroyables luttes où l'homme emporté, exalté, n'a plus l'instinct de la conservation et cherche à frapper, à frapper toujours sur ce qui s'oppose à ses efforts. / Ce fut une épouvantable mêlée, une horrible boucherie. On n'entendait que le bruit des casse-tête qui fracassaient les crânes, que le râle de ces mourants sublimes, que les dernières imprécations qu'ils lançaient, en expirant, à leurs vainqueurs. Une demi-heure après, cette tuerie finissait par la mort du dernier des assiégés. / Les assaillants étaient vainqueurs, mais leurs pertes étaient considérables. Plus de trente Canadiens et sauvages étaient tués ou blessés. / On incendia la maison et le feu acheva bientôt ceux auxquels le fer avait laissé un souffle de vie. Les vainqueurs continuèrent ensuite leur œuvre dévastatrice. » Le retour à Montréal est plus pénible : la température est exécrable, on ramène des prisonniers et des blessés, ce qui ralentit la marche. En plus, les Agniers, qui ont eu vent du mouvement des troupes françaises, les attaquent en pleine nuit. Les Alliés remportent la bataille mais s’ajoutent d’autres blessés. Bientôt les vivres manquent. Les hommes bien portants décident de filer vers Montréal et d’envoyer des renforts à ceux laissés en arrière. Finalement, la petite troupe atteint Montréal en laissant quelques morts de plus derrière elle. Voilà pour la partie historique. À quelques reprises, Marmette cite l'historien Garneau (son beau-père).
L’histoire sentimentale : Charles Dupuis s’est joint à l’armée de d’Ailleboust. À Shenectady, à la tête d’un petit détachement, il attaque une maison dans laquelle ne se trouvent qu’une vieille servante et une jeune fille. C’est le coup de foudre : « Quand ses regards tombèrent sur Éva, il resta stupéfait. La pâleur répandue sur le visage de la jeune femme, la frayeur à laquelle elle était en proie, ne servaient qu’à la rendre plus belle. Les boucles de sa chevelure en désordre inondaient ses blanches épaules et les voilaient à demi. » Il décide de la ramener en Nouvelle-France. Éva est une Française, orpheline, dont le père s’est établi dans la colonie newyorkaise à cause de sa foi calviniste. Durant le voyage, Charles la protège. Bientôt la jeune fille lui manifeste son amour. De retour, ils se fiancent et on peut compter qu’ils vont se marier.
Même si les personnages sont à peine esquissés, même si l’intrigue est livrée sans les recettes du suspense, en dépit de l’histoire sentimentale mielleuse à souhait, des digressions qui suspendent l’action et de la narration écolière… il faut admettre que le récit de Marmette se lit bien et rapidement. En un peu plus d’une heure, le tout est expédié et on ne s’est pas ennuyé.
Il me semble qu’en mon temps on passait sous silence ces épisodes moins glorieux de l’histoire de la Nouvelle-France. Il faut le dire, les Canadiens et leurs alliés apparaissent sous un jour plutôt odieux et on a de la difficulté à considérer cette attaque comme un acte de patriotisme. On encourage ces soldats de circonstances à donner libre cours à leurs instincts les plus sanguinaires. Autre temps, autres mœurs.
EXTRAIT : (au lendemain du combat contre les Agniers)
Le soleil se lève radieux à l'Orient, et jette mille rayons de lumière à travers les arbres dont les branches, chargées de neige nouvellement tombée, s'inclinent vers le sol. Le froid est devenu un peu plus intense, depuis que le souffle de la tempête s'est évanoui avec les dernières clameurs du combat de la nuit. Tout dans la nature annonce un beau jour.
A part quelques officiers, Canadiens et Hurons dorment dans le camp. La nature a repris ses droits sur ces hommes au cœur d'airain, et le sommeil a vaincu ceux que l'ennemi a trouvés inébranlables.
Le camp et ses abords présentent un spectacle navrant et rendu plus triste encore par la lumière du soleil levant. A chaque pas, des traces de sang sur la neige; ici, des débris d'armes, là des membres humains et des morceaux de chair sanglante que l'explosion du baril de poudre a fait se séparer des corps qui les animaient quelques heures auparavant: et, au milieu de ces affreux débris, des hommes endormis, et qu'à leur pâleur on prendrait aussi pour des cadavres, si leur respiration régulière n'indiquait le sommeil.
En dehors du camp, la scène est plus repoussante encore. Les loups ont passé par là, et ont achevé l'œuvre commencée par les hommes. De tous les cadavres agniers, que les Canadiens ont jetés hors des limites du camp, il ne reste plus qu'un amas sans nom de lambeaux sanglants, d'os à demi rongés, de squelettes incomplets et dépouillés de leur chair.
Joseph Marmette sur Laurentiana
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