René Chopin, Le Cœur en exil, Paris, Georges Cres, 1913, 179 pages.
Dès le poème « Liminaire », René Chopin annonce ses couleurs : il entend prendre « racine au rocher orgueilleux et robuste / De l’idéalité » tel ce « maigre cerisier » accroché « au bord du précipice » dont le « front [finit] par s’orner de fragiles, de rares / Et méritoires fleurs ».
Surprise! La première partie du recueil s’intitule « Peintures canadiennes ». La plupart des poèmes prennent pour cadre la nature, une nature qui ne me semble pas toujours canadienne : ainsi commence le premier poème, « Feu printanier » : « Prends à la vigne en fleur… » Le poème suivant rétablit les choses : « Le beau lac ignoré, perle des Laurentides » Il est difficile de trouver un thème récurrent, même si on perçoit que le soir et l’eau inspirent le poète. Pour le reste ce sont de petits tableaux dont n‘émane pas vraiment de sens, Chopin pratiquant l’art pour l’art cher aux Parnassiens. À la différence de Morin, Chopin se permet de petits poèmes fantaisistes, comme « La truite saumonée » ou « L’épitaphe au grillon » dont je cite un extrait : « C'est septembre. Poussant leur clameur ahurie / Tous les cris-cris, ivres et trébuchants, / Sauteurs trapus et lourds, insectes acrobates / Que tannent les effervescents midis, / Détendent le ressort de leurs cassantes pattes / Et de leurs mille bonds ces étourdis, / Offensent la pensive et sage pâquerette / Qui, n'aimant pas le tapage, le bruit, / Resserre, blancs godrons, sa fine collerette. »
Le titre de la deuxième partie, « Écrans de neige », suppose que la neige transformera le regard de l’observateur. C’est le cas du premier poème « Fleurs de gel » : Chopin décrit une vitre givrée dans laquelle il voit le symbole de l’imaginaire : « Mais tous ces frais mirages / Sur la vitre d’azur posés / Ne sont-ils pas l’image / De nos éphémères pensers, // Sur la vitre frivole / De notre imagination » Dans les poèmes subséquents, il décrit comment l’hiver peut faire du monde ambiant une féérie digne des plus grands artistes : « La forêt se dessine au bord des routes blanches, / Flore artificielle aux parterres d’hiver ». Ou encore : « Le vitrier Hiver / Expose par la ville / Son œuvre d’art fragile. »
« Effets de neige » semble s’inscrire dans la suite de la partie précédente. Chopin présente une série de petits tableaux hivernaux. Deux poèmes évoquent les conquérants du Pôle Nord, deux autres sont dédiés au vent (« Grand vent de cette nuit! O grand vent d’Amérique! »). Le poème « La splendeur du vide » est une réflexion angoissée sur le vide de l’univers. « Chanson dolente », qui clôt cette partie, étonne par son lyrisme : « Puisque le monde nous isole / La neige au vent vole, vole… / Vivons notre amour, aimons-nous / Voici mon front sur tes genoux. »
« Le cœur vierge » contient dix poèmes consacrés aux jeunes filles en fleur. On rencontre une jeune fileuse qui attend son guerrier qui ne reviendra pas, des « Vierges pensives » de quinze ans qui « vont, blanches corolles », une petite tzigane italienne « sculpturale [et] cambrant la hanche », Naïs la jeune « fille d’Ève / Sensible aux charmes de l’amour », une « Ève jeune et belle, plus que sœur », une « Ève en robe de fée, doux corps puéril / Qui […] promet l’immense ivresse initiale! » La section se termine par un poème dédié à sa muse, à l’étoile Alcyone, l’ « inspiratrice de [s]es nuits ».
« Les branches du cyprès », la meilleure partie du recueil selon moi, est dédiée à Marcel Dugas. Les thèmes abordés sont plus personnels, quoique le traitement ne soit pas lyrique. Ainsi va le premier quatrain de « Bulles » : « Bulles d'or et d'azur, bulles remémorées / De mon heureuse enfance et du vaste jardin / Où parmi la blancheur éparse du matin / La pourpre ensanglantait les roses diaprées ». Ou encore ce court poème, où malgré la distance, on sent une personnalité blessée : « Dissiper sa jeunesse en des labeurs aigris, / Sans pour but lui fixer la gloire ou l'héroïsme, / Ne paraître au regard cruel du scepticisme / Qu'un orgueilleux naïf de chimères épris, / Puis passer anxieux, et comme une jeunesse / Sans amours, des amours qui taisent leur émoi, / Un printemps sans que l'âme à sa verdeur, renaisse, / Un homme sans patrie ou qui cherche une foi ! » Ailleurs on découvre un poète désillusionné, qui a perdu sa jeunesse, en recherche d’amour, en fait un homme seul, comme dans « Je contemple mon rêve » (lire l’extrait), « Automne » ou « La ballade du vagabond ».
La dernière partie, intitulée « Poèmes », contient des œuvres que le poète n’a pu insérer ailleurs, on le devine. « Promenade sylvestre » est un poème exotique à la Paul Morin, « Les arbres » reprend un thème classique de la littérature du terroir, « Laus solis », « Dementia solis » et « Vox solis » sont trois hymnes au Soleil où apparaît le paganisme du poète : « Comme les corps qu’embrasera ta pureté, / Que mon âme, ô Soleil! Foyer de vérité! / Aille s’unir à ta grande âme de clarté! »
René Chopin n’est pas un poète exotique par son inspiration. Le terme « universaliste » lui conviendrait beaucoup mieux. Contrairement à Morin, il ne trouve par ses sujets en Europe ou en Orient. Quelques rares poèmes font appel à la mythologie grecque. La nature nordique et sa vie intérieure sont ses principales sources d’inspiration. On ne trouve pas non plus cette recherche du mot rare si chère à Morin. Par contre, on peut dire que le poète travaille beaucoup la « forme » de ses poèmes. On trouve des sonnets, mais aussi plusieurs poèmes composés de distiques, de tercets, de quatrains. Et il varie aussi beaucoup la métrique, des poèmes étant construits en alexandrins, en décasyllabes ou octosyllabes, parfois se succédant au rythme de 10 pieds/4 pieds ou 8 pieds/4 pieds…
Je contemple mon rêve
Je contemple mon rêve ainsi qu'une ruine
Où pierre à pierre croule un somptueux palais.
Chaque jour, sur le mur qui plus vétusté incline
Par touffes rampe et croît le lichen, plus épais.
La porte se lézarde où de l'ombre est entrée,
Le plâtre s'en effrite et le marbre y noircit;
Une fenêtre à jour et de lierre encadrée
Dans une vieille tour se fronce, haut sourcil.
Au château de mon rêve, invasion brutale,
A leurs poings lourds portant la pique et le flambeau,
Ils ont passé, le cœur aigri, de salle en salle;
De chaque sanctuaire ils ont fait un tombeau.
Ils ont voulu briser mes plus chères statues,
Riant de mes trésors, méprisant la Beauté;
Le sol est tout jonché d'idoles abattues,
Reliques à présent du passé dévasté.
L'étang morne et glacé n'est plus qu'un marécage
Et les Oiseaux divins, familiers du vieux parc,
Qui criaient leur plaisir, on les a mis en cage,
Ou, plus cruels, on a vers eux tiré de l'arc.
Comme autrefois, le soir, lunaires promenades,
En leur barque glissant nonchalante sur l'eau,
D'intimes ménestrels, donneurs de sérénades,
N'auront plus célébré la Dame du Château,
Ma Muse, maintenant, hélas ! qui me repousse,
Celle parfois dont l'Ombre accoude sa pâleur
Et sa robe de deuil sur un vieux banc de mousse,
Au fond de la ruine où s'effrite mon cœur.
Dès le poème « Liminaire », René Chopin annonce ses couleurs : il entend prendre « racine au rocher orgueilleux et robuste / De l’idéalité » tel ce « maigre cerisier » accroché « au bord du précipice » dont le « front [finit] par s’orner de fragiles, de rares / Et méritoires fleurs ».
Surprise! La première partie du recueil s’intitule « Peintures canadiennes ». La plupart des poèmes prennent pour cadre la nature, une nature qui ne me semble pas toujours canadienne : ainsi commence le premier poème, « Feu printanier » : « Prends à la vigne en fleur… » Le poème suivant rétablit les choses : « Le beau lac ignoré, perle des Laurentides » Il est difficile de trouver un thème récurrent, même si on perçoit que le soir et l’eau inspirent le poète. Pour le reste ce sont de petits tableaux dont n‘émane pas vraiment de sens, Chopin pratiquant l’art pour l’art cher aux Parnassiens. À la différence de Morin, Chopin se permet de petits poèmes fantaisistes, comme « La truite saumonée » ou « L’épitaphe au grillon » dont je cite un extrait : « C'est septembre. Poussant leur clameur ahurie / Tous les cris-cris, ivres et trébuchants, / Sauteurs trapus et lourds, insectes acrobates / Que tannent les effervescents midis, / Détendent le ressort de leurs cassantes pattes / Et de leurs mille bonds ces étourdis, / Offensent la pensive et sage pâquerette / Qui, n'aimant pas le tapage, le bruit, / Resserre, blancs godrons, sa fine collerette. »
Le titre de la deuxième partie, « Écrans de neige », suppose que la neige transformera le regard de l’observateur. C’est le cas du premier poème « Fleurs de gel » : Chopin décrit une vitre givrée dans laquelle il voit le symbole de l’imaginaire : « Mais tous ces frais mirages / Sur la vitre d’azur posés / Ne sont-ils pas l’image / De nos éphémères pensers, // Sur la vitre frivole / De notre imagination » Dans les poèmes subséquents, il décrit comment l’hiver peut faire du monde ambiant une féérie digne des plus grands artistes : « La forêt se dessine au bord des routes blanches, / Flore artificielle aux parterres d’hiver ». Ou encore : « Le vitrier Hiver / Expose par la ville / Son œuvre d’art fragile. »
« Effets de neige » semble s’inscrire dans la suite de la partie précédente. Chopin présente une série de petits tableaux hivernaux. Deux poèmes évoquent les conquérants du Pôle Nord, deux autres sont dédiés au vent (« Grand vent de cette nuit! O grand vent d’Amérique! »). Le poème « La splendeur du vide » est une réflexion angoissée sur le vide de l’univers. « Chanson dolente », qui clôt cette partie, étonne par son lyrisme : « Puisque le monde nous isole / La neige au vent vole, vole… / Vivons notre amour, aimons-nous / Voici mon front sur tes genoux. »
« Le cœur vierge » contient dix poèmes consacrés aux jeunes filles en fleur. On rencontre une jeune fileuse qui attend son guerrier qui ne reviendra pas, des « Vierges pensives » de quinze ans qui « vont, blanches corolles », une petite tzigane italienne « sculpturale [et] cambrant la hanche », Naïs la jeune « fille d’Ève / Sensible aux charmes de l’amour », une « Ève jeune et belle, plus que sœur », une « Ève en robe de fée, doux corps puéril / Qui […] promet l’immense ivresse initiale! » La section se termine par un poème dédié à sa muse, à l’étoile Alcyone, l’ « inspiratrice de [s]es nuits ».
« Les branches du cyprès », la meilleure partie du recueil selon moi, est dédiée à Marcel Dugas. Les thèmes abordés sont plus personnels, quoique le traitement ne soit pas lyrique. Ainsi va le premier quatrain de « Bulles » : « Bulles d'or et d'azur, bulles remémorées / De mon heureuse enfance et du vaste jardin / Où parmi la blancheur éparse du matin / La pourpre ensanglantait les roses diaprées ». Ou encore ce court poème, où malgré la distance, on sent une personnalité blessée : « Dissiper sa jeunesse en des labeurs aigris, / Sans pour but lui fixer la gloire ou l'héroïsme, / Ne paraître au regard cruel du scepticisme / Qu'un orgueilleux naïf de chimères épris, / Puis passer anxieux, et comme une jeunesse / Sans amours, des amours qui taisent leur émoi, / Un printemps sans que l'âme à sa verdeur, renaisse, / Un homme sans patrie ou qui cherche une foi ! » Ailleurs on découvre un poète désillusionné, qui a perdu sa jeunesse, en recherche d’amour, en fait un homme seul, comme dans « Je contemple mon rêve » (lire l’extrait), « Automne » ou « La ballade du vagabond ».
La dernière partie, intitulée « Poèmes », contient des œuvres que le poète n’a pu insérer ailleurs, on le devine. « Promenade sylvestre » est un poème exotique à la Paul Morin, « Les arbres » reprend un thème classique de la littérature du terroir, « Laus solis », « Dementia solis » et « Vox solis » sont trois hymnes au Soleil où apparaît le paganisme du poète : « Comme les corps qu’embrasera ta pureté, / Que mon âme, ô Soleil! Foyer de vérité! / Aille s’unir à ta grande âme de clarté! »
René Chopin n’est pas un poète exotique par son inspiration. Le terme « universaliste » lui conviendrait beaucoup mieux. Contrairement à Morin, il ne trouve par ses sujets en Europe ou en Orient. Quelques rares poèmes font appel à la mythologie grecque. La nature nordique et sa vie intérieure sont ses principales sources d’inspiration. On ne trouve pas non plus cette recherche du mot rare si chère à Morin. Par contre, on peut dire que le poète travaille beaucoup la « forme » de ses poèmes. On trouve des sonnets, mais aussi plusieurs poèmes composés de distiques, de tercets, de quatrains. Et il varie aussi beaucoup la métrique, des poèmes étant construits en alexandrins, en décasyllabes ou octosyllabes, parfois se succédant au rythme de 10 pieds/4 pieds ou 8 pieds/4 pieds…
Je contemple mon rêve
Je contemple mon rêve ainsi qu'une ruine
Où pierre à pierre croule un somptueux palais.
Chaque jour, sur le mur qui plus vétusté incline
Par touffes rampe et croît le lichen, plus épais.
La porte se lézarde où de l'ombre est entrée,
Le plâtre s'en effrite et le marbre y noircit;
Une fenêtre à jour et de lierre encadrée
Dans une vieille tour se fronce, haut sourcil.
Au château de mon rêve, invasion brutale,
A leurs poings lourds portant la pique et le flambeau,
Ils ont passé, le cœur aigri, de salle en salle;
De chaque sanctuaire ils ont fait un tombeau.
Ils ont voulu briser mes plus chères statues,
Riant de mes trésors, méprisant la Beauté;
Le sol est tout jonché d'idoles abattues,
Reliques à présent du passé dévasté.
L'étang morne et glacé n'est plus qu'un marécage
Et les Oiseaux divins, familiers du vieux parc,
Qui criaient leur plaisir, on les a mis en cage,
Ou, plus cruels, on a vers eux tiré de l'arc.
Comme autrefois, le soir, lunaires promenades,
En leur barque glissant nonchalante sur l'eau,
D'intimes ménestrels, donneurs de sérénades,
N'auront plus célébré la Dame du Château,
Ma Muse, maintenant, hélas ! qui me repousse,
Celle parfois dont l'Ombre accoude sa pâleur
Et sa robe de deuil sur un vieux banc de mousse,
Au fond de la ruine où s'effrite mon cœur.
J'viens tout juste d'acheter ce livre dans une librairie. Je n'arrive pas à lire tout le livre; les feuillets ne sont pas coupés, et c'est pas moi qui va le faire !
RépondreEffacerBonjour Patrick,
RépondreEffacerJ'ignore si vous avez l'habitude de lire des vieux livres. Il faut juste y aller au bon moment, je crois.Je vous livre un secret : il y a 10 ans, j'étais incapable de mettre le bout du nez dans de tels livres. Votre message m'a fait rire. Ne le coupez pas; la valeur de revente est plus grande.
Quelques notes bibliographiques ou bibliophiliques, si vous le permettez. D'abord c'est un beau livre imprimé sur un bon papier vergé. Je n'ai jamais vu un des 13 exemplaires sur papier de Hollande mais ils existent probablement. On trouve des exemplaires sans mention d'édition et d'autres avec "Deuxième édition" sur la couverture et le titre (celui que vous avez reproduit). J'ai un exemplaire des deux et ils sont identiques y compris les achevés d'imprimer (donc pas un second tirage). Il s'agit probablement, comme il était commun avec les ouvrages de l'époque romantique, d'une astuce commerciale. Ce qui est difficile à trouver par contre, c'est un exemplaire avec un envoi. Je n'en ai vu qu'un (à Gaëtan Valois, le journaliste et ami)que je garde précieusement. Merci. Michel Brisebois
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