3 mai 2009

De livres en livres

Maurice Hébert,
De livres en livres, Essais de critique littéraire, Montréal et New York, Louis Carrier-Les éditions du Mercure, 1929, 251 p. (Préface de Mgr Camille Roy)


Maurice Hébert, surtout connu pour avoir initié sa fille Anne à la poésie, nous a laissé quelques œuvres non publiées en livre et, surtout, des recueils de critiques littéraires. Dans De livres en livres, comme œuvres poétiques en préparation, il annonce L’Île d’azur, Le Cycle de Don Juan et La Fable en liberté.

Dans la préface, Camille Roy nous apprend que les critiques, réunies dans ce recueil, ont d’abord paru dans Le Canada français, revue de l’Université Laval. Hébert écrit un article sur l’œuvre de Crémazie, un autre sur Maria Chapdelaine. Le reste du recueil est consacré à des livres contemporains : La Campagne canadienne, Le Français, L’Erreur de Pierre Giroir, La Sève immortelle, D’un Océan à l’autre, La Maison vide, La Pension Leblanc... et À travers les vents de Robert Choquette, critique qui m’a amené à regarder de plus près le recueil de Hébert.

Je n’avais pas lu sa critique d’À travers les vents quand j’ai fait la mienne (en fait, ce sont plutôt des comptes rendus que je fais). Hébert fait d’abord état des louanges qui ont encensé la parution de l’œuvre du jeune poète et entend y mettre son bémol. N’aurait-on pas salué davantage « l’euphorie poétique » de ce talent précoce que la qualité proprement dite de cette poésie ? Il émet des réserves sur la « charge écolière » de l’avant-propos, mais approuve le parti pris régionaliste et la volonté de s’éloigner de toute « gracilité littéraire ».

Suivons Hébert dans le recueil. « Ce que nous constaterons le mieux, c’est qu’une imagination quasi royale, furibonde, et si 1830! emporte le poète ». Pour Hébert, il est évident que le jeune Choquette, tellement entiché des mots qu’il en oublie le sens, pèche par excès, ce qui produit parfois des absurdités, tels ces deux vers qu’il cite (parmi d’autres) : « Mais ma bouche qui s’ouvre comme un antre vide / Où la morne impuissance habite et fait son lit. » Mais Hébert ne se lance pas dans une entreprise de démolition. Pour quelques mauvais vers, il cite plusieurs passages « méritoires », comme celui-ci : « Un très doux vent roucoule, et les étoiles vagues / Se détachent du ciel comme une effeuillaison. »

Il déplore que Choquette ne se soit pas plus attaché « au notoire renouveau poétique » introduit par l’École littéraire de Montréal, qu’il s’en tienne à la « tradition de notre vieille école de 1860 ». Hébert trouve son bonheur dans ce recueil quand il rencontre « le calme des vers plus vrais », quand « s’entend un organe qui ne blanchit pas à tonitruer ».

Après avoir reproché à Choquette son « hugolatrie », Hébert avoue apprécier le jeune auteur quand il assimile ses influences françaises, en introduisant, par exemple, dans son œuvre les « orignaux », les « loups », bref en donnant une couleur locale à son inspiration.

Hébert note les qualités musicales et rythmiques de cette poésie et constate, en ces points, la supériorité de Choquette sur les auteurs de son époque. Trop souvent, pour lui, la poésie se contente de s’énoncer platement, alors que Choquette présente une poésie tout en mouvements, vivante pour tout dire. Par exemple, il souligne le jeu métrique (8-6-12-6) dans ce quatrain : « Qu’est-ce donc que l’homme ici-bas? / Est-ce un obscur atome / Qui vit quelques moments sous un abri de chaume / Et fait quatre ou cinq pas? »

L’auteur termine sa critique en répétant que l’auteur, qui a reçu « sans conteste » le don de poète, doit tempérer ses ardeurs s’il veut devenir « le poète que le Canada français espère ».

Que dire de la critique de Hébert? D’abord, remarquons qu’il s’intéresse surtout à la facture du texte. Il lit de très près le travail du poète, son usage du langage; il cite à l’appui de ses jugements des vers faibles, certaines images qu’il trouve vulgaire, des passages réussis. En ce sens, la critique est juste et intéressante, même si on sent qu’il ménage le jeune Choquette, s’empressant de lui trouver une qualité après avoir cité un passage qui le fait mal paraître. D’une certaine façon, Hébert « joue » au professeur, qui tape sur les doigts mais ne veut pas décourager un talent naissant.

S’il souligne les influences, il ne dit à peu près rien de la composition d’ensemble. Pourquoi les quatre vents? Qu’est-ce qui fait qu’un poème appartient à l’un et non à l’autre? Par ailleurs, bien que parrainé par Camille Roy, ce qui est déjà une posture idéologique, il ne questionne pas plus qu’il ne situe le contenu idéologique de cette œuvre. On comprend que Maurice Hébert partage la volonté de Choquette de s’inspirer du terreau laurentien, sans pour autant revenir à l’École de 1860, mais en acceptant les avancées de l’École littéraire de Montréal. Il aurait pu questionner davantage la filiation régionaliste, du moins la situer. Par ailleurs, comment ne pas relever que Choquette, qui prétend parler au peuple, montre souvent son mépris pour la « vile multitude »? Comment expliquer l’extrême vitalité qui se dégage de ses poèmes? Enthousiasme de la jeunesse ou esprit du siècle nouveau? Il me semble que ce sont des questions que soulève ce recueil.


Lire la critique de Saint-Denys Garneau

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