Georges Bouchard, Vieilles choses vieilles gens, Montréal, Granger frères, 1943, 184 pages. (Illustré par Edwin Holgate) (1re édition : 1926)
Georges Bouchard était sans doute meilleur agronome qu’écrivain. Son livre intéresse encore beaucoup les collectionneurs, à cause de la qualité des illustrations qu’on y trouve, mais peu les littéraires. Probablement aussi qu’un ethnologue, qui veut trouver des descriptions assez précises des métiers disparus, y trouverait son compte, l’auteur connaissant d’expérience les us et coutumes hérités du XIXe siècle. Vieilles choses vieilles gens a été illustré par Edwin Holgate et c'est ce qui en assure la pérennité.
On sait que ce titre, Vieilles choses vieilles gens, était le sous-titre des Rapaillages de Lionel Groulx. Le livre de Bouchard s’inscrit dans la lignée des Roy, Lemay, Rivard, Groulx… Il s’agit de décrire d’anciens usages, d’anciens objets, d’anciens métiers, d’anciens artisans avant que ceux-ci ne soient happés définitivement par la mécanisation du début du siècle.
Comme il se doit, Bouchard commence par le sacré. Dans de courts chapitres, il décrit l’église et son clocher, le vieux curé, le vieux maître-chantre, le bedeau, le crieur, la ménagère du curé, tous gens merveilleux, sauf la ménagère bien entendu. Ensuite, on s’éloigne de l’église et on rencontre quelques-uns des personnages clefs du village : on visite le forgeron dans sa forge, le cordonnier dans son atelier, le meunier dans son moulin, la maîtresse d’école dans sa petite école. Encore une fois, seule la maîtresse d’école ne soulève pas entièrement son enthousiasme, elle qu’on associe à « la rigueur du premier châtiment corporel ». Ayant passé en revue les principaux lieux publics, Bouchard se rapproche des lieux privés. On quitte le village, on rencontre en chemin une « maison condamnée » à cause d’une femme qui n'a pas « second[é] son homme », puis une ménagère autour du vieux four, une femme admirable il va de soi, un maquignon qui vient marchander un cheval, un violoneux qui anime les soirées, un remmancheux pour réparer les bras endoloris. Enfin, si on s’éloigne de la maison, qu’on ouvre la barrière qui nous mène aux champs, on croise au gré des saisons le laboureur, le semeur, les paysans occupés à la fenaison, les coupeurs à la faucille, les engerbeurs, les batteurs au fléau, les vanneurs, les brayeurs. On quitte les champs juste à temps pour l’heure des vaches et on pénètre dans l’ancienne laiterie. Le soir venu, on veille dans la vieille maison en compagnie de la fileuse.
Bouchard n’est pas le premier à présenter ces images du passé. Personne ne l’a fait de façon aussi complète, à ma connaissance. Ces tableaux, qui n’ont pas la finesse de ceux de Rivard, sont plutôt figés même si, de temps à autre, Bouchard introduit un personnage qui nous sert de guide. Ce qui ressort de toutes ces descriptions, c’est le sentiment de nostalgie qui habite l’auteur. Bouchard fait grand usage de superlatifs quand il s'agit de décrire la vaillance et l’ingéniosité de nos ancêtres, qualité en train de se perdre, selon lui. Il nous fait bien comprendre que les métiers et les usages d’autrefois obligeaient les gens à s’entraider, ce qui encourageait les relations de bons voisinages et créait une vie communautaire beaucoup plus intense. Tout était prétexte à fêter, à se rencontrer, à raconter des histoires… Souvent ses chapitres se terminent par un appel au lecteur, l’exhortant à sauvegarder, sinon le patrimoine, du moins le souvenir de cette époque révolue.
Extrait (passage qui termine le recueil)
Filez, filez, grand'mère, pour que votre petite fille sache que le rouet est un instrument qui l'attache à la terre et au pays.
Filez, filez, grand'mère, parce que le rouet chasse du foyer la tristesse, l'oisiveté et la misère.
Filez, filez, grand'mère, parce que le pied qui fait tourner le rouet est celui qui agite le ber : un foyer sans ronronnement et sans gazouillis d'enfants est un foyer désert.
Filez, filez, grand'mère, pour dire aux générations dont le courage s'amoindrit que vous avez résisté par le travail au courant qui entraîne vers les cités populeuses.
Filez, filez, grand'mère, pour que régénérés par l'art moderne, les arts rustiques se rétablissent dans les foyers ruraux qui, véritables ruches, bourdonneront d'une incessante activité.
Filez, filez, grand'mère! les poètes, les artistes, les économistes, les moralistes vous en supplient pour le charme et la prospérité de nos campagnes et surtout pour empêcher que, vers les États voisins, vos petites filles filent!
Voir les illustrations de Holgate
Georges Bouchard était sans doute meilleur agronome qu’écrivain. Son livre intéresse encore beaucoup les collectionneurs, à cause de la qualité des illustrations qu’on y trouve, mais peu les littéraires. Probablement aussi qu’un ethnologue, qui veut trouver des descriptions assez précises des métiers disparus, y trouverait son compte, l’auteur connaissant d’expérience les us et coutumes hérités du XIXe siècle. Vieilles choses vieilles gens a été illustré par Edwin Holgate et c'est ce qui en assure la pérennité.
On sait que ce titre, Vieilles choses vieilles gens, était le sous-titre des Rapaillages de Lionel Groulx. Le livre de Bouchard s’inscrit dans la lignée des Roy, Lemay, Rivard, Groulx… Il s’agit de décrire d’anciens usages, d’anciens objets, d’anciens métiers, d’anciens artisans avant que ceux-ci ne soient happés définitivement par la mécanisation du début du siècle.
Comme il se doit, Bouchard commence par le sacré. Dans de courts chapitres, il décrit l’église et son clocher, le vieux curé, le vieux maître-chantre, le bedeau, le crieur, la ménagère du curé, tous gens merveilleux, sauf la ménagère bien entendu. Ensuite, on s’éloigne de l’église et on rencontre quelques-uns des personnages clefs du village : on visite le forgeron dans sa forge, le cordonnier dans son atelier, le meunier dans son moulin, la maîtresse d’école dans sa petite école. Encore une fois, seule la maîtresse d’école ne soulève pas entièrement son enthousiasme, elle qu’on associe à « la rigueur du premier châtiment corporel ». Ayant passé en revue les principaux lieux publics, Bouchard se rapproche des lieux privés. On quitte le village, on rencontre en chemin une « maison condamnée » à cause d’une femme qui n'a pas « second[é] son homme », puis une ménagère autour du vieux four, une femme admirable il va de soi, un maquignon qui vient marchander un cheval, un violoneux qui anime les soirées, un remmancheux pour réparer les bras endoloris. Enfin, si on s’éloigne de la maison, qu’on ouvre la barrière qui nous mène aux champs, on croise au gré des saisons le laboureur, le semeur, les paysans occupés à la fenaison, les coupeurs à la faucille, les engerbeurs, les batteurs au fléau, les vanneurs, les brayeurs. On quitte les champs juste à temps pour l’heure des vaches et on pénètre dans l’ancienne laiterie. Le soir venu, on veille dans la vieille maison en compagnie de la fileuse.
Bouchard n’est pas le premier à présenter ces images du passé. Personne ne l’a fait de façon aussi complète, à ma connaissance. Ces tableaux, qui n’ont pas la finesse de ceux de Rivard, sont plutôt figés même si, de temps à autre, Bouchard introduit un personnage qui nous sert de guide. Ce qui ressort de toutes ces descriptions, c’est le sentiment de nostalgie qui habite l’auteur. Bouchard fait grand usage de superlatifs quand il s'agit de décrire la vaillance et l’ingéniosité de nos ancêtres, qualité en train de se perdre, selon lui. Il nous fait bien comprendre que les métiers et les usages d’autrefois obligeaient les gens à s’entraider, ce qui encourageait les relations de bons voisinages et créait une vie communautaire beaucoup plus intense. Tout était prétexte à fêter, à se rencontrer, à raconter des histoires… Souvent ses chapitres se terminent par un appel au lecteur, l’exhortant à sauvegarder, sinon le patrimoine, du moins le souvenir de cette époque révolue.
Extrait (passage qui termine le recueil)
Filez, filez, grand'mère, pour que votre petite fille sache que le rouet est un instrument qui l'attache à la terre et au pays.
Filez, filez, grand'mère, parce que le rouet chasse du foyer la tristesse, l'oisiveté et la misère.
Filez, filez, grand'mère, parce que le pied qui fait tourner le rouet est celui qui agite le ber : un foyer sans ronronnement et sans gazouillis d'enfants est un foyer désert.
Filez, filez, grand'mère, pour dire aux générations dont le courage s'amoindrit que vous avez résisté par le travail au courant qui entraîne vers les cités populeuses.
Filez, filez, grand'mère, pour que régénérés par l'art moderne, les arts rustiques se rétablissent dans les foyers ruraux qui, véritables ruches, bourdonneront d'une incessante activité.
Filez, filez, grand'mère! les poètes, les artistes, les économistes, les moralistes vous en supplient pour le charme et la prospérité de nos campagnes et surtout pour empêcher que, vers les États voisins, vos petites filles filent!
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