Claude-Henri Grignon, Le Déserteur et autres récits de la terre, Montréal, Le Vieux Chêne, 1934, 219 p.
Le déserteur
Isidore Dubras, poussé par sa fille et sa femme, décide de vendre sa terre et de déménager en ville. Il faut dire qu’un vague ami lui a promis de lui trouver un logement et un travail pour lui, ses deux filles et son fils. En ville il déchante vite : ses enfants trouvent un emploi mal payé et lui, rien. En outre, ils habitent un logement malsain. Pourtant, sa femme et ses enfants mènent grande vie. Pour noyer son ennui, il commence à boire. L’argent tiré de la vente de sa terre fond à vue d’œil. La Crise survient, la situation devient encore plus difficile. Un an ayant passé, il achète un restaurant. Une bagarre éclate entre les deux prétendants de sa fille : il frappe l’un des belligérants et le tue. Il se retrouve avec sept ans de prison.
La piste
Prosper Lepin est coureur des bois. Il s’est établi avec sa femme en retrait d’un village. Lepin chasse ou plutôt braconne. Comme tout le monde le craint, personne ne lui cherche noise. Pourtant, même si ses affaires sont florissantes, il n’est pas heureux. Il se sent méprisé par les villageois et lui-même sent que son mode de vie n’est pas très noble. Un jour, s’apercevant qu’un de ses pièges a été saccagé, il poursuit le voleur. Il marche et marche et finit par croiser une terre en début de culture mais abandonnée. Une illumination se fait en lui : cette terre sera sienne, ce à quoi sa femme consent de tout cœur.
Le dernier lot
1889. Nord de Montréal. Jean-Jean Ouellet est parti chercher fortune au Colorado parce qu’il avait hérité d’une terre de misère. Il envoie à sa famille un certain montant chaque mois. Pendant ce temps, sans le lui dire, sa femme, ses enfants et quelques engagés continuent de développer la terre. Il revient au bout de cinq ans avec l’intention de déménager tout son monde aux États-Unis. Il a l’heureuse surprise de découvrir que sa terre de misère est devenue prospère : sa femme a transformé la maison, acheté des animaux, défriché 30 acres, payé toutes leurs dettes. Il décide de rester.
Le père aux œillets
Les habitants de Sainte-Marguerite sont bien intrigués par Tousaint Longchamps. Il cultive des œillets, semble avoir beaucoup d’argent et se rend à Montréal à tout bout de champ. Aimable avec tout le monde, il élude poliment toutes les questions qui pourraient éclairer le but de ses nombreux voyages en ville. Aussi émet-on des hypothèses plus rocambolesques les unes que les autres. On découvre la vérité quand il meurt, et cette vérité est assez décevante du point de vue du lecteur : il a une terre très florissante près de Montréal que son neveu cultive.
Le triomphe de Virgile (le poète)
Joachim Dursol, 70 ans, prend conscience qu’il ne peut plus entretenir sa terre. Il décide de la vendre. Il a un fils qui étudie à Montréal en vue de devenir médecin ou notaire. Contre toute attente, le vieux Dursol entre dans une colère terrible lorsque son fils lui apprend qu’il veut devenir colon. Le fils est même obligé de s’engager chez un autre fermier pour apprendre son métier. Quelques semaines passent et le vieux Dursol finit par regretter son geste et va chercher son fils pour le ramener à la maison.
Réconciliation
Fortunat Boulard dut partir en ville pour gagner sa vie, son père ayant cédé sa terre à l’aîné. Après une période d’instabilité et de dévergondage, il se maria et devint menuisier. Comme il était un bon travailleur, tout allait pour le mieux. Il put même s’offrir une Ford T. Toute sa vie bascula lorsque survint la Crise. Il perdit tout ce qu’il avait et même s’endetta. Il en était rendu au « secours direct ». Un soir d’août, il rencontra un agent de colonisation qui lui offrit une « terre en bois debout » au Témiscamingue. Le gouvernement payait le voyage et offrait 600$ pour l’installation. Sa femme, et même sa fille qu’il avait fait instruire, souscrivirent avec enthousiasme au projet. Boulard construit un camp et commence à abattre les arbres. L’hiver passe ainsi. Au printemps, avec d’autres colons comme lui, il arrache les souches et prépare le terrain. Un soir, un étranger mal en point frappe à sa porte. Il finit par reconnaître son frère aîné. Il a vendu la terre paternelle, s’est lancé en affaires, a fait faillite, est devenu bootlegger en Abitibi et maintenant quête. Les frères, malgré leur ancienne rancune sur la répartition du bien paternel, se réconcilient. Fortunat l’engage en attendant de lui faire avoir la terre voisine de la sienne. Voir sur le même sujet La Rivière solitaire et Récits laurentiens.
Grignon raconte bien. Ses récits sont vifs, la description est précise et bien intégrée à la narration. C’est très conservateur. Il mâchouille toujours la même idée : la terre, la terre, la terre! On y trouve une charge contre la ville. Comme solution à la crise, il propose le retour à la terre. « Le retour à la terre n’est pas tant un remède à la crise économique qu’à la crise morale. » On trouve quelques ébauches de personnages qui seront repris dans Un homme et son péché : le Jean-Jean Ouellet de la seconde nouvelle, c’est Alexis Labranche. On a aussi un personnage qui s’appelle le notaire Lepotiron dans « Le triomphe Virgile ». Ces nouvelles réalistes sont parues, un an après la sortie d’Un homme et son péché (1933). Ont-elles été écrites avant? S’était-il fait la main avec ces nouvelles? Grignon scénarisa pour la radio, avec sa cousine Germaine Guèvremont, « Le déserteur ». Ce radio-roman fut le précurseur des Belles Histoires des pays d’en haut.
Extrait (le départ dans « Le déserteur »)
À dix heures moins le quart on avait fini de placer les meubles, les caisses et les valises dans le camion. Il ne restait plus que la famille, sur le perron. Médor, cependant, ne voulait pas sortir; il tournait dans la cuisine et de temps à autre il laissait entendre un hurlement plaintif, d'une mélancolie à fendre l'âme.
Une dernière fois, Dubras alla faire le tour des bâtiments de la ferme. Il regarda partout sans rien voir. Il se sentait triste, et il aurait préféré ne pas partir, mais il avait son orgueil. On le vit traverser la cour et s'arrêter pour flatter la petite jument brune. Elle tourna vers son ancien maître sa tête intelligente. Puis, l'homme se dirigea du côté de la maison. Sans savoir pourquoi, il s'arrêta une dernière fois près du puits; il se pencha au-dessus, plongeant son regard jusqu'au fond, où l'eau, reflétant un coin du ciel et son visage, restait lisse comme un miroir. Il y vit tout son passé.
Ce coin de terre qu'il abandonnait lui paraissait sacré maintenant. C'est ici qu'il était né, qu'il avait grandi; qu'il avait tant travaillé pour hériter enfin de cette ferme de laquelle il tirait, depuis quinze ans, le pain de chaque jour. Il n'osa pas se demander pourquoi il désertait le sol qui le nourrissait lui avait rendu cent pour un. Il avait peut-être trop écouté ses enfants, sa fille Adeline surtout. Sa femme même, depuis quelques mois, semblait s'ennuyer et lui faisait des reproches amers. Lui, au moins, il n'aurait pas dû céder. Maintenant, il était trop tard.
Le déserteur se débarrassa comme il put de ces idées et il entra dans la cuisine, en condamna la porte par l'intérieur, vérifia l'occlusion des fenêtres. On le vit sortir peu après par en avant. Sur le mur de la maison, à droite, il cloua un écriteau: « Terres à vandre avec mason. Bons prix. S'adressez au voisin. » Puis, il décrocha une contre-porte, faite de planches de bois mou et la cadenassa.
— Ça y est, fit-il, en s'adressant au père Lafond qui le regardait agir sans dire un mot, impuissant à cacher sa tristesse. Voici les clefs, mon Baptiste. S'il arrivait quelque chose, voudrais-tu m'écrire en ville? (p. 21-22)
Le déserteur
Isidore Dubras, poussé par sa fille et sa femme, décide de vendre sa terre et de déménager en ville. Il faut dire qu’un vague ami lui a promis de lui trouver un logement et un travail pour lui, ses deux filles et son fils. En ville il déchante vite : ses enfants trouvent un emploi mal payé et lui, rien. En outre, ils habitent un logement malsain. Pourtant, sa femme et ses enfants mènent grande vie. Pour noyer son ennui, il commence à boire. L’argent tiré de la vente de sa terre fond à vue d’œil. La Crise survient, la situation devient encore plus difficile. Un an ayant passé, il achète un restaurant. Une bagarre éclate entre les deux prétendants de sa fille : il frappe l’un des belligérants et le tue. Il se retrouve avec sept ans de prison.
La piste
Prosper Lepin est coureur des bois. Il s’est établi avec sa femme en retrait d’un village. Lepin chasse ou plutôt braconne. Comme tout le monde le craint, personne ne lui cherche noise. Pourtant, même si ses affaires sont florissantes, il n’est pas heureux. Il se sent méprisé par les villageois et lui-même sent que son mode de vie n’est pas très noble. Un jour, s’apercevant qu’un de ses pièges a été saccagé, il poursuit le voleur. Il marche et marche et finit par croiser une terre en début de culture mais abandonnée. Une illumination se fait en lui : cette terre sera sienne, ce à quoi sa femme consent de tout cœur.
Le dernier lot
1889. Nord de Montréal. Jean-Jean Ouellet est parti chercher fortune au Colorado parce qu’il avait hérité d’une terre de misère. Il envoie à sa famille un certain montant chaque mois. Pendant ce temps, sans le lui dire, sa femme, ses enfants et quelques engagés continuent de développer la terre. Il revient au bout de cinq ans avec l’intention de déménager tout son monde aux États-Unis. Il a l’heureuse surprise de découvrir que sa terre de misère est devenue prospère : sa femme a transformé la maison, acheté des animaux, défriché 30 acres, payé toutes leurs dettes. Il décide de rester.
Le père aux œillets
Les habitants de Sainte-Marguerite sont bien intrigués par Tousaint Longchamps. Il cultive des œillets, semble avoir beaucoup d’argent et se rend à Montréal à tout bout de champ. Aimable avec tout le monde, il élude poliment toutes les questions qui pourraient éclairer le but de ses nombreux voyages en ville. Aussi émet-on des hypothèses plus rocambolesques les unes que les autres. On découvre la vérité quand il meurt, et cette vérité est assez décevante du point de vue du lecteur : il a une terre très florissante près de Montréal que son neveu cultive.
Le triomphe de Virgile (le poète)
Joachim Dursol, 70 ans, prend conscience qu’il ne peut plus entretenir sa terre. Il décide de la vendre. Il a un fils qui étudie à Montréal en vue de devenir médecin ou notaire. Contre toute attente, le vieux Dursol entre dans une colère terrible lorsque son fils lui apprend qu’il veut devenir colon. Le fils est même obligé de s’engager chez un autre fermier pour apprendre son métier. Quelques semaines passent et le vieux Dursol finit par regretter son geste et va chercher son fils pour le ramener à la maison.
Réconciliation
Fortunat Boulard dut partir en ville pour gagner sa vie, son père ayant cédé sa terre à l’aîné. Après une période d’instabilité et de dévergondage, il se maria et devint menuisier. Comme il était un bon travailleur, tout allait pour le mieux. Il put même s’offrir une Ford T. Toute sa vie bascula lorsque survint la Crise. Il perdit tout ce qu’il avait et même s’endetta. Il en était rendu au « secours direct ». Un soir d’août, il rencontra un agent de colonisation qui lui offrit une « terre en bois debout » au Témiscamingue. Le gouvernement payait le voyage et offrait 600$ pour l’installation. Sa femme, et même sa fille qu’il avait fait instruire, souscrivirent avec enthousiasme au projet. Boulard construit un camp et commence à abattre les arbres. L’hiver passe ainsi. Au printemps, avec d’autres colons comme lui, il arrache les souches et prépare le terrain. Un soir, un étranger mal en point frappe à sa porte. Il finit par reconnaître son frère aîné. Il a vendu la terre paternelle, s’est lancé en affaires, a fait faillite, est devenu bootlegger en Abitibi et maintenant quête. Les frères, malgré leur ancienne rancune sur la répartition du bien paternel, se réconcilient. Fortunat l’engage en attendant de lui faire avoir la terre voisine de la sienne. Voir sur le même sujet La Rivière solitaire et Récits laurentiens.
Grignon raconte bien. Ses récits sont vifs, la description est précise et bien intégrée à la narration. C’est très conservateur. Il mâchouille toujours la même idée : la terre, la terre, la terre! On y trouve une charge contre la ville. Comme solution à la crise, il propose le retour à la terre. « Le retour à la terre n’est pas tant un remède à la crise économique qu’à la crise morale. » On trouve quelques ébauches de personnages qui seront repris dans Un homme et son péché : le Jean-Jean Ouellet de la seconde nouvelle, c’est Alexis Labranche. On a aussi un personnage qui s’appelle le notaire Lepotiron dans « Le triomphe Virgile ». Ces nouvelles réalistes sont parues, un an après la sortie d’Un homme et son péché (1933). Ont-elles été écrites avant? S’était-il fait la main avec ces nouvelles? Grignon scénarisa pour la radio, avec sa cousine Germaine Guèvremont, « Le déserteur ». Ce radio-roman fut le précurseur des Belles Histoires des pays d’en haut.
Extrait (le départ dans « Le déserteur »)
À dix heures moins le quart on avait fini de placer les meubles, les caisses et les valises dans le camion. Il ne restait plus que la famille, sur le perron. Médor, cependant, ne voulait pas sortir; il tournait dans la cuisine et de temps à autre il laissait entendre un hurlement plaintif, d'une mélancolie à fendre l'âme.
Une dernière fois, Dubras alla faire le tour des bâtiments de la ferme. Il regarda partout sans rien voir. Il se sentait triste, et il aurait préféré ne pas partir, mais il avait son orgueil. On le vit traverser la cour et s'arrêter pour flatter la petite jument brune. Elle tourna vers son ancien maître sa tête intelligente. Puis, l'homme se dirigea du côté de la maison. Sans savoir pourquoi, il s'arrêta une dernière fois près du puits; il se pencha au-dessus, plongeant son regard jusqu'au fond, où l'eau, reflétant un coin du ciel et son visage, restait lisse comme un miroir. Il y vit tout son passé.
Ce coin de terre qu'il abandonnait lui paraissait sacré maintenant. C'est ici qu'il était né, qu'il avait grandi; qu'il avait tant travaillé pour hériter enfin de cette ferme de laquelle il tirait, depuis quinze ans, le pain de chaque jour. Il n'osa pas se demander pourquoi il désertait le sol qui le nourrissait lui avait rendu cent pour un. Il avait peut-être trop écouté ses enfants, sa fille Adeline surtout. Sa femme même, depuis quelques mois, semblait s'ennuyer et lui faisait des reproches amers. Lui, au moins, il n'aurait pas dû céder. Maintenant, il était trop tard.
Le déserteur se débarrassa comme il put de ces idées et il entra dans la cuisine, en condamna la porte par l'intérieur, vérifia l'occlusion des fenêtres. On le vit sortir peu après par en avant. Sur le mur de la maison, à droite, il cloua un écriteau: « Terres à vandre avec mason. Bons prix. S'adressez au voisin. » Puis, il décrocha une contre-porte, faite de planches de bois mou et la cadenassa.
— Ça y est, fit-il, en s'adressant au père Lafond qui le regardait agir sans dire un mot, impuissant à cacher sa tristesse. Voici les clefs, mon Baptiste. S'il arrivait quelque chose, voudrais-tu m'écrire en ville? (p. 21-22)
Claude-Henri Grignon sur Laurentiana
Le Déserteur
Un homme et son péché (édition originale)
Un homme et son péché (édition du Vieux Chêne)
Ombres et Clameurs
Le Secret de Lindbergh
J'ai trouvé ce livre ancien dans mes affaires.
RépondreEffacerJ'ai adoré le lire.
André Dubuc