Berthelot Brunet, Les Hypocrites. La folle expérience de Philippe, Montréal, L’Arbre, 1945, 235 pages.
Le roman est présenté comme le premier tome d’une suite qui ne sera jamais publiée, l’auteur étant décédé en 1948. Ce roman serait très largement autobiographique. « Le lecteur d‘aujourd’hui, qui ignore tout de la personnalité et de la carrière de Brunet, est dérouté par cette prose échevelé, déroutante par la forme paradoxale et par l’allure fantaisiste » écrivait Samuel Baillargeon à la fin des années cinquante. On comprendra que le jugement a encore plus de portée pour le lecteur de 2008. C’est un roman daté dont certaines références nous échappent.
Dans un style pour le moins chaotique, échevelé, Brunet nous raconte la « folle aventure de Philipe » (il n’a pas de patronyme). Jeune garçon issu d’un milieu bourgeois, orphelin, il fait des études classiques et devient notaire. Il n’exerce pour ainsi dire pas, préférant la littérature et une vie de bohème. Très jeune il est aspiré par le vice et la débauche, par les tripots et les lupanars, et ce sera ainsi sa vie durant. Comme il ne veut pas pratiquer un métier qui prendrait tout son temps, il est désargenté et vit d’expédients : il écrit de petits articles, qu’il veut vitrioliques, dans des revues et, surtout, il extorque ses amis, des compagnons de débauche, des femmes et monsieur le curé. Très rapidement sa bohème devient descente aux enfers. Il boit sans cesse et se dope au « jaune ». Il connaît quelques femmes, dont Claire qu’il aime bien mais pas trop, vit dans des chambres miteuses, parasite ses amis, s’humilie, s’avilit, vend sa conscience pour un peu de dope, trompe, mendie, dénigre qui l’aide, s’embourbe dans ses mensonges, dans ses flagorneries. Personnage toujours en représentation – il le faut bien s’il veut conserver un quelconque crédibilité face à ses victimes – il joue à fond son personnage, assez brillant pour avoir honte de lui, lassé par ce double dont il ne peut rompre.
Au bord de la folie, de la mort, il finit par se ressaisir. Il fait une désintoxication, retourne vivre chez une vieille tante, retrouve un certain équilibre et, surtout, retrouve Dieu. Excessif, il pratique une religion angoissée, une religion qui lave sa conscience, une religion qui se nourrit de la peur de l’enfer, une religion purificatrice. Il ne cesse d’interroger sa sincérité, de débusquer l’hypocrisie dans toutes les facettes de sa vie. Il finit par épouser Claire, parce qu’elle le veut bien, parce qu’elle vient d’hériter d’une petite somme d’argent et, sans doute aussi, parce qu’il l’aime bien un peu, cette veuve si maternelle. Ainsi se termine la « folle expérience de Philippe ».
Dans son Histoire de la littérature canadienne-française, Brunet présente Les Hypocrites comme «le premier tome d’un grand roman… dont les uns ont dit qu’il leur rappelait Céline et d’autres qu’il n’avait de hardiesse que parce qu’il était écrit au Canada. » C'est vrai que ce roman présente certaines hardiesses. Je suppose que bien des dents ont dû grincer dans les presbytères. On peut le rapprocher de Céline, seulement pour la vision assez désespérée du monde qui leur est commune. Là s’arrête la comparaison. En fait, c'est un roman psychologique, moins banal que beaucoup d’autres, dont l’écriture est souvent impressionnante, qui aurait pu être un bon roman s’il avait été mieux associé au milieu social, moins centré sur le personnage, débarrassé de certaines scories (on a l’impression que l’auteur vise des gens de son époque) et plus travaillé dans sa structure. ***
Extrait
Cependant, Philippe baissait. Il vivait maintenant dans la terreur. À tout instant, il se jetait à bas de son lit, des crampes dans les jambes. Certains moments, il ne se retrouvait plus, cherchait jusqu'à son nom. Et ce n'était qu'images fantastiques qui lui passaient devant les yeux. Des souvenirs, puis un présent déformé.
D'autres fois, il était dégoûté de lui à vomir. Jamais il n'avait eu d'amitiés pures, nettes. Il aurait si volontiers volé la femme de Dufort, lorsque son mari était mourant. Sa liaison avec Claire, c'était une vengeance posthume contre Julien. Même Florence il l'avait arrachée au jeune Américain. Il lui revenait encore d'autres histoires. Longtemps, il avait été lié avec François, à demi divorcé et qui, dans un hôtel, oubliait ses amours entre ses livres et une bouteille de whisky. Des mois, Philippe l'avait vu chaque jour, causant longuement avec lui. Puis, invité un soir chez la femme de François, à la fin d'une beuverie, il l'avait prise dans ses bras, l'embrassant à pleine bouche. Ensuite, une seule fois, elle s'était donnée à lui, comme pour se venger, elle aussi, de son mari. Et François, il ne l'avait plus revu, et, quelques mois après, dans sa solitude, il s'était suicidé. Philippe ne voyait que des bassesses dans sa vie. En ce moment, il était couché, parce que, trompant un pauvre fou (et qui sait ? ce naïf avait peut-être un grand cœur !), il avait dépensé l'argent que l'autre destinait après tout, si niais fût-il, à une belle action. Alors des rages prenaient Philippe. Il appelait le séminariste :
— Je veux bien revenir à la pratique religieuse, mais tout me scandalise... (p. 182-183)
Le roman est présenté comme le premier tome d’une suite qui ne sera jamais publiée, l’auteur étant décédé en 1948. Ce roman serait très largement autobiographique. « Le lecteur d‘aujourd’hui, qui ignore tout de la personnalité et de la carrière de Brunet, est dérouté par cette prose échevelé, déroutante par la forme paradoxale et par l’allure fantaisiste » écrivait Samuel Baillargeon à la fin des années cinquante. On comprendra que le jugement a encore plus de portée pour le lecteur de 2008. C’est un roman daté dont certaines références nous échappent.
Dans un style pour le moins chaotique, échevelé, Brunet nous raconte la « folle aventure de Philipe » (il n’a pas de patronyme). Jeune garçon issu d’un milieu bourgeois, orphelin, il fait des études classiques et devient notaire. Il n’exerce pour ainsi dire pas, préférant la littérature et une vie de bohème. Très jeune il est aspiré par le vice et la débauche, par les tripots et les lupanars, et ce sera ainsi sa vie durant. Comme il ne veut pas pratiquer un métier qui prendrait tout son temps, il est désargenté et vit d’expédients : il écrit de petits articles, qu’il veut vitrioliques, dans des revues et, surtout, il extorque ses amis, des compagnons de débauche, des femmes et monsieur le curé. Très rapidement sa bohème devient descente aux enfers. Il boit sans cesse et se dope au « jaune ». Il connaît quelques femmes, dont Claire qu’il aime bien mais pas trop, vit dans des chambres miteuses, parasite ses amis, s’humilie, s’avilit, vend sa conscience pour un peu de dope, trompe, mendie, dénigre qui l’aide, s’embourbe dans ses mensonges, dans ses flagorneries. Personnage toujours en représentation – il le faut bien s’il veut conserver un quelconque crédibilité face à ses victimes – il joue à fond son personnage, assez brillant pour avoir honte de lui, lassé par ce double dont il ne peut rompre.
Au bord de la folie, de la mort, il finit par se ressaisir. Il fait une désintoxication, retourne vivre chez une vieille tante, retrouve un certain équilibre et, surtout, retrouve Dieu. Excessif, il pratique une religion angoissée, une religion qui lave sa conscience, une religion qui se nourrit de la peur de l’enfer, une religion purificatrice. Il ne cesse d’interroger sa sincérité, de débusquer l’hypocrisie dans toutes les facettes de sa vie. Il finit par épouser Claire, parce qu’elle le veut bien, parce qu’elle vient d’hériter d’une petite somme d’argent et, sans doute aussi, parce qu’il l’aime bien un peu, cette veuve si maternelle. Ainsi se termine la « folle expérience de Philippe ».
Dans son Histoire de la littérature canadienne-française, Brunet présente Les Hypocrites comme «le premier tome d’un grand roman… dont les uns ont dit qu’il leur rappelait Céline et d’autres qu’il n’avait de hardiesse que parce qu’il était écrit au Canada. » C'est vrai que ce roman présente certaines hardiesses. Je suppose que bien des dents ont dû grincer dans les presbytères. On peut le rapprocher de Céline, seulement pour la vision assez désespérée du monde qui leur est commune. Là s’arrête la comparaison. En fait, c'est un roman psychologique, moins banal que beaucoup d’autres, dont l’écriture est souvent impressionnante, qui aurait pu être un bon roman s’il avait été mieux associé au milieu social, moins centré sur le personnage, débarrassé de certaines scories (on a l’impression que l’auteur vise des gens de son époque) et plus travaillé dans sa structure. ***
Berthelot Brunet - photo : La Presse |
Cependant, Philippe baissait. Il vivait maintenant dans la terreur. À tout instant, il se jetait à bas de son lit, des crampes dans les jambes. Certains moments, il ne se retrouvait plus, cherchait jusqu'à son nom. Et ce n'était qu'images fantastiques qui lui passaient devant les yeux. Des souvenirs, puis un présent déformé.
D'autres fois, il était dégoûté de lui à vomir. Jamais il n'avait eu d'amitiés pures, nettes. Il aurait si volontiers volé la femme de Dufort, lorsque son mari était mourant. Sa liaison avec Claire, c'était une vengeance posthume contre Julien. Même Florence il l'avait arrachée au jeune Américain. Il lui revenait encore d'autres histoires. Longtemps, il avait été lié avec François, à demi divorcé et qui, dans un hôtel, oubliait ses amours entre ses livres et une bouteille de whisky. Des mois, Philippe l'avait vu chaque jour, causant longuement avec lui. Puis, invité un soir chez la femme de François, à la fin d'une beuverie, il l'avait prise dans ses bras, l'embrassant à pleine bouche. Ensuite, une seule fois, elle s'était donnée à lui, comme pour se venger, elle aussi, de son mari. Et François, il ne l'avait plus revu, et, quelques mois après, dans sa solitude, il s'était suicidé. Philippe ne voyait que des bassesses dans sa vie. En ce moment, il était couché, parce que, trompant un pauvre fou (et qui sait ? ce naïf avait peut-être un grand cœur !), il avait dépensé l'argent que l'autre destinait après tout, si niais fût-il, à une belle action. Alors des rages prenaient Philippe. Il appelait le séminariste :
— Je veux bien revenir à la pratique religieuse, mais tout me scandalise... (p. 182-183)
J'ai lu ton blog et il est intéressant.
RépondreEffacerJe connais déjà tous les auteurs que tu mentionnes ; pas tous les livres par contre.
J'ai lu tellement de vieux livres que j'ai parfois d'avoir 400 ans, bien que je me trompe parfois.
Je te mets à défi de trouver et de faire la revue de quelques livres rares :
*Souvenirs de prison, Jules Fournier, 1910
*États-Unis, Manitoba et Nord-Ouest : notes de voyage, Narcisse-Eutrope Dionne, 1882
*Laurent-Olivier David, Les deux Papineau, Montréal, Eusèbe Sénécal & Fils Imprimeurs, 1896
*Le Coffret de Crusoé, Louis Dantin, 1932
*Les États-Unis au XXe siècle, Joseph-Israel Tarte, 1904.
*Les alternances : poèmes, Alphonse Beauregard, 1921
*Charles DeBelle, peintre-poète, Albert Laberge, 1949
Bonjour,
RépondreEffacerBien heureux de voir quelqu'un qui partage ma passion. Quant à moi, c'est un intérêt assez récent (2-3 ans). Comme tu le dis, il faut parfois les trouver les vieux livres avant de les lire. Le Coffret de Crusoé et Les Alternances sont sur ma liste. Si je les trouve, j'en ferai volontiers le compte rendu.
Je m'intéresse moins aux essais.