3 juin 2025

Eukuan nin matshimanitu Innu-iskueu

An Antane Kapesh, Eukuan nin matshimanitu Innu-iskueu, Montréal, Lemeac, 1976, 238 p. (Anne André, Je suis une maudite Sauvagesse) (texte en langue innue et française) (traduit par José Mailhoux)

Eukuan nin matshimanitu Innu-iskueu est le premier livre écrit par une femme autochtone au Québec. Il date de 1976. (Pour en savoir plus sur An Antane Kapesh)

An Antane Kapesh a habité Schefferville, là où les « Blancs » ont exploité une mine de fer. Plus précisément au Lac John, près de Schefferville. Auparavant, elle a vécu dans une réserve près de Sept-Îles, mais aussi la vie nomade des Innus. Cette femme, qui a été chef-de-bande, est une résistante. Jamais elle n’a accepté la vie que les Blancs lui ont imposée. Elle reconnaît que son peuple ne s’est pas toujours conduit de façon exemplaire, mais à qui la faute?  

Son livre constitue l’acte d’accusation, empreint de colère, d’une femme qui assiste à la disparition de sa culture. Elle aborde différents thèmes qui, aujourd’hui encore, sont sur la place publique : elle revient d’abord sur l’arrivée des Blancs et l’appropriation sournoise du territoire autochtone; elle dénonce l’exploitation minière et les conséquences sur leur mode de vie; la scolarisation forcée et l’acculturation ainsi que la sédentarisation qui s’en suivent; les clubs de chasse et la destruction du cheptel des « animaux indiens »; le harnachement des rivières dans des territoires de chasse; les réglementations que des gardes-chasses ignares sont chargés d’imposer; l’introduction de débits de boisson et les conséquences désastreuses sur la jeunesse; les arrestations et emprisonnements accompagnés de violence;  l’image négative que journalistes et cinéastes véhiculent de l’Autochtone; le harcèlement des fonctionnaires face aux dissidents… La religion et ses représentants sont épargnés.  

Le style est oral, très direct, souvent martelé. Tout ce discours, cinquante ans plus tard, est connu, mais encore dérangeant. On devine la tristesse et on comprend la colère de cette femme qui assiste, impuissante, à la fin d’un monde qu’elle a beaucoup aimé.

Extraits

« Je pense, moi, que le Blanc a détruit notre culture à notre insu. À présent nos enfants sont incapables de vivre dans le bois comme nous vivions autrefois, nous avons de la difficulté à essayer de vivre comme auparavant. À présent, ce n’est pas dans ma culture à moi que je me trouve et ce n’est pas ma propre maison que j’habite. Je vis la vie du Blanc et vraiment, il n’y a pas une journée où je sois heureuse parce que, moi qui suis Indienne, je ne me gouverne pas moi-même, c’est le Blanc qui me gouverne. Dans notre manière actuelle de vivre, nous sommes pareils à l’animal : l’animal a toujours peur et il attend toujours d’être tué. C’est ce à quoi nous ressemblons maintenant que notre culture indienne a été détruite. » (p. 223)

« Je suis une maudite sauvagesse. Je suis très fière quand, aujourd’hui, je m’entends traiter de Sauvagesse. Quand j’entends le Blanc prononcer ce mot, je comprends qu’il me redit sans cesse que je suis une vraie Indienne et que c’est moi la première à avoir vécu dans le Bois. Or, toute chose qui vit dans le bois correspond à la vie la meilleure. Puisse le Blanc me toujours traiter de sauvagesse. » (p. 241)

Aller plus loin

Jean-François Villeneuve, La colère d'An Antane Kapesh, toujours aussi pertinente 43 ans plus tard

Nouvelle édition : Mémoire d’encrier 

 
Son autre livre

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