Robert Lalonde, Charivari des rues, Montréal, Atys, 1970, 72 pages (Illustration de la couverture : Carlos Labrosse)
Disons-le dès le départ, l’écriture est plus contenue que dans le recueil précédent, même si on lit encore quelques poèmes qui valsent en tout sens. Le recueil est plus lisible et plus attachant.
Il me semble que deux sujets alimentent le recueil. Le poète est au cœur de plusieurs poèmes et on découvre un être désillusionné (les mots « rêve » et « illusion » et d’autres synonymes reviennent sans cesse), en désaffection de soi, inquiet de son avenir : « l’impasse du lendemain » succède à la « remorque des rêves » et aux « tams tams des déboires ». La désillusion qu’on lit dans « La rengaine du p’tit vieux » est sans doute aussi la sienne : « un jour de plus, un jour de moins / au bord de la mort, sans ami / trop vieux et de trop dans la vie ». C’est peut-être dans le poème « Portrait d’un enragé » qu’on comprend mieux la source de son mal de vivre. Je cite le début : « Sans le sou, sans terre et fier de son coup / sans but ni métier, sans rêve ni papier // Sans joie, capable de tout et de rien / nomade sans parole et sans foyer ».
Le second sujet — qui le rapproche de Jean Narrache — n’est pas très éloigné du premier. Lalonde trace un portrait poétique de la petite faune urbaine qu’il côtoie, celle des déshérités, des laissés-pour-compte, des personnages qui, à bien des égards, ne sont que des doubles de lui-même. Ainsi en est-il des poèmes « Camelot des quatre saisons », « Portrait d’une catin », « Balayeurs des rues », « Rues », « L’entrecroisé des rues » et « Le marginal des rues » dont je cite deux strophes : « l’on te voit, homme des rues, déserter le cafard / par les cahots et les bruits, avec ton chien de hasard / nez-à-nez au carré des bancs délabrés // à tourner la meule du quotidien pas à pas / de la plainte des mains à la racine des rides ».
On l’a dit, Robert Lalonde était métis et s’en réclamait. Doit-on y voir une cause de son malaise social? L’auteur lui-même ne fait pas ce lien, pourtant… En guise d’extrait, je vous propose un poème dédié à son père et à sa ville natale.
PORTRAIT D’UN MINEUR
pour mon père, pour Sudbury, Ont.
ville aux mille visages
où le temps ravage les mirages
dur d’oreille à l’appel
des monts noirs et chauves
crue des saisons de boue et de slague
où l’homme pétrit dans le roc son image
nickel à l’abandon d’un crique vert acide
où l’air de sulfure plein de brûlure drague
mines où l’homme s’affronte sous terre
de la sueur au cuivre la rouille et le fer
crachant dans le noir son espoir et son rêve
à l’usure son sang perfore la nuit,
coi d’ardeur à l’attente d’une femme en émoi
marteau-piqueur à l’étincelle de froid
l’éclair au cœur à briser la lie
dans cet enfer trime de son bras une trêve.
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