Claude Haeffely, La vie reculée, Montréal - Paris, Erta, 1954,
n. p. [32 p.] (5 linogravures d’Anne Kahane).
Claude
Haeffely est né en France en 1927. Il débarque au Québec en 1953, se lie à
Roland Giguère, mais retourne en France où il se fait agriculteur pendant un
temps. Après plusieurs vagabondages, entre autres à Toronto et Boston, il s’installe
au Québec en 1962. Il est décédé en 2017. (Jean Royer, Claude
Haeffely à la pointe du vent, Le Devoir, 3 mai, 2017)
Le
premier poème, « À la ville comme au bord de mer », donne le ton :
le recueil va aborder le thème de la résilience, soit la capacité de se reconstruire après une période difficile :
« la victoire dans ses mains / serpente à fleur de peau / et balance
toutes voiles dehors / ce navire de haute terre ». Encore dans le deuxième
poème, « Les oiseaux se passent le mot », se retrouve le même
cheminement : le sujet évolue vers un mieux-être, ici qui suit les voies
de l’amour et de l’érotisme : « le flot parlait parasol / à tes yeux qui n’en
finissaient plus de grandir / et moi de nouveau caché par les buissons de
cendres infinies / je te parle dans l’algue douce de nos corps ». Beaucoup
des 13 poèmes qui composent le recueil se termine dans l’amour salvateur, ou à
tout le moins, dans l’amour qui rend la vie habitable : « Le
visage des mimosas / je porte la houle de ces fleurs / jusqu’à ces yeux / jusqu’à
tes lèvres embrassées / par la faim l'exil et les coups de force de l’espoir »
(Percussion).
Quelle est la cause de ce mal-être que le
poète cherche à oublier ? Bien entendu, compte tenu du vécu de Haeffely
(né en 1927), on est porté à croire qu’il s’agit de la guerre. Et parfois,
cette explication est on ne peut plus plausible : « Il y a lumière
aux fenêtres des wagons / la tête des hommes aux portières / à travers les yeux
des femmes / qui regardent filer / le train du soir » (Sérieux-sourire). Mais
ce serait simplifier la portée du recueil de s’en tenir à cette interprétation :
on pourrait aussi bien dire qu’il s’agit d’une interrogation existentielle (c’est
l’époque!) qui est à l’origine de ce malaise : « Le poète et ses
oiseaux / des cages, des cages, des cages encore / pour les enfermer, les
oublier, les tuer, / parce que la poésie n'a plus cours sur terre / et que la
mer a bu tout le ciel des oiseaux » (L’épistolair [sic] des jours). Mais mieux
encore, il me semble, c’est tout le passé de l’auteur (ce qui englobe la
guerre), cette « vie reculée » qui est dure à porter, qui a engendré
le désir de partir et dont l’amour demeure la voie de l’apaisement :
LA VIE RECULÉE
Aux
frontières des mots frontière du rire
la
voix n’est déplacée par aucune onde d’outre-monde
je
n’entends ce soir au salon
que
les voix des femmes et parfois
une
note plus grave
les
paroles d’un homme durement éprouvé
par
des chagrins très loin retirés
dans
les jardins d’un précoce hiver
il
neige nos rêves sur la neige des nudités
l’oubli
la saveur des écorces d’incertitude
de
navires d’avions de chemins de fer encore
au
plus fort de nos colères
une
automobile dernier modèle
cela
signifie simplement les yeux cernés les mains fermées
sur
des silex sans force et sans chaleur.
Je
n’en puis plus de vie reculée, d’amis perdus.
Recherches faites dans les journaux de l’époque, il me
semble que ce recueil n’a pas reçu l’attention qu’il méritait. Cette poésie, dont
le surréalisme n’est pas envahissant, est riche et les illustrations de Kahane
sont d’une beauté rarement égalée.
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