Roland Giguère, Le défaut des ruines est
d’avoir des habitants, Montréal, Erta, 1957, 107 pages. [illustré de 3
dessins de l'auteur]
Le défaut des ruines est d’avoir des
habitants réunit sept poèmes en prose écrit entre 1950 et 1956. S’il en
était encore besoin, ce recueil viendrait une fois de plus confirmer que
Giguère est l’un des intellectuels les plus éclairés des années 50. Il partage
l’immense solitude des poètes de sa génération, tout en cherchant les racines
de son mal dans l’environnement social
de ces années de grande noirceur. Comment habiter une société en ruines, telle
est la question qu’il soulève dans ce recueil. Voici un aperçu des sept poèmes.
Miror (1950-51)
Miror
n’était plus que l’ombre de lui-même. Il craint que les miroirs ne puissent
« lui renvoyer [que] le blanc visage de sa solitude ». Incapable de
s’harmoniser à la nature et au temps, avec « sa pauvre cervelle noyée dans
une eau noire », il n’arrive à rien. Prisonnier qui attend sa
condamnation, il se contente de « louvoyer dans sa cellule ». S’échapper,
il le voudrait bien… mais on n’échappe pas à soi-même. Autour de lui, il ne
trouve que luttes intestines et blessures. Ses tentatives, si minimes
soient-elles, de se rapprocher, échouent. Il faudrait partir, mais il en est
incapable. Il plonge au fond de lui-même, mais ne rencontre qu’un
« gouffre pavé de cœurs en loques ». Lors d’un voyage en forêt, il
perd sa vie. Il a beau alerter tout le monde, il ne la retrouve pas : «
Elle me faisait souvent du mal mais je m’y étais habitué, nous avions si
longtemps vécu ensemble... Nous avions nos habitudes, tous les deux, nos
petites habitudes de vie... Ma petite chienne de vie qui faisait la belle, la
voilà partie, perdue, comme ça, pour rien du tout... Je l’ai perdue bêtement,
sans y penser, comme on perd une vieille dent ou une clef... je ne sais plus quoi...
je ne sais plus ce que je ferai sans elle mainteant seul... je ne sais plus . .
. je ne sais plus. »
Signaux (1953)
Le
poème décrit le décor d’un pays dévasté et des humains qui
préfèrent «apprivois[er] les monstres » plutôt que de
« découvrir [...] les racines de l’obscur ».
Entre
le 10 octobre et le 29 novembre, le narrateur envoie onze lettres à un
destinataire inconnu. Il lui raconte son mal de vivre dans un pays qu’il
n’habite pas vraiment, les faux semblants, ses illusions, son désespoir, une
certaine apathie consentie. « Il n’y a plus de doute possible, la vie
serait ici intenable si l’on ne possédait le pouvoir d’être absent. »
Grimoire (1955)
Il
arrive assez souvent que Giguère fasse appel au vocabulaire de la magie. Dans
ce poème, il nous offre différentes « recettes » pour améliorer notre
mieux être. Les unes sont purement ironiques, d’autres quelque peu surréalistes
et certaines plus terre-à-terre. Ma préférée : « Pour aller loin : ne
jamais demander son chemin à qui ne sait pas s’égarer. » Peut-être
préférerez-vous celle-ci : « Pour faire le vide dans une forêt : énoncer à
haute voie quelques théorèmes de géométrie plane. » Bien entendu, derrière
tout cela, pèse la même solitude que l’on retrouve dans les autres poèmes du
recueil.
Lieux exemplaires (1954-55)
Le
poèmes compte 13 sections, toutes titrées. L’ensemble donne davantage dans le
surréalisme. Giguère décrit un monde chaotique, asphyxiant, dans lequel les
humains essaient en vain de trouver un peu de paix, un peu d’espoir. Le poème
« Signaux inutiles » peut donner une idée : « On signale depuis
longtemps un satellite nuisible, un autre non moins nuisible mais invisible
celui-là, enfin un anneau qui brise tout élan. On signale d’autre part les
innombrables avaries qu’a subies notre planète en cours de route. Ne sachant plus où vivre, quoi réparer, quoi
détruire, nous laissons tout crouler. » Peut-être que le mieux, c’est de
« partir après nous être démunis de tout souvenir ».
Peut-on
renier son passé ? Comment affronter les crises qui nous secouent si nous ne
reconnaissons pas d’abord le sol où nous marchons? « Tout est à apprivoiser : l’air et le
vent, la parole et le chant qui écume sur des lèvres lourdes de givre. Il
faudra aussi semer des clairières pour que vive cette forêt nouvelle car
déjà la flétrissure germe dans la racine. » Personne ne viendra nous
sauver : « On croit être sauvé à l’instant fatal par une illusoire lame de
fond, comme si le bourreau allait échanger le cou coupé pour la main
tendue... » Travail difficile s’il en est qui exige une
« transfiguration » de l’individu, une plongée dans l’inconnu
« Et j’avance. J’avance une planète verte et vierge au pied de la
découverte, j’avance une main libre sur le corps du délit, j’avance mille feux
follets pour un loup garou, j’avance et j’abandonne le chemin parcouru aux
aveugles de demain. »
La main de l’homme détermine la moisson
(1952)
Court
poème en prose d’une dizaine de lignes. Très facile à lire. La pureté des
intentions ne suffit pas. On ne peut pas laisser tout aller. Il faut intervenir
pour protéger la beauté, la justice...
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