Le
roman commence par une « présentation » : le narrateur,
enquêtant dans la région du Richelieu, a rencontré pendant 10 jours Arsène
Lalonde, un barbier qui en avait long à raconter. Il l’a enregistré, et le
roman est la transcription des treize bobines qu’il en a tiré. Au lieu de
chapitres, ce sont donc des bobines qui s’enchainent. À la fin de chacune
d’elles, le narrateur y va d’un commentaire à propos de ce qui vient d’être
raconté. Voilà pour la structure du roman « très années 1960 ».
Le
contenu : Arsène Lalonde, depuis sa plus tendre enfance, aime Imelda
Fortier. Après le décès de celle-ci, il raconte au narrateur pourquoi il ne l’a
pas épousée et le drame qui s’est joué quelques dizaines d’années plus tard.
Le
résumé : Arsène est un homme qui a choisi très tôt de ne pas faire de
vague. Il est devenu barbier. Imelda, quant à elle, a passé sa vie dans les
griffes impitoyables d’une mère marâtre qui l’a tenue en laisse à coups de
sermons et de pudibonderies. Pour Arsène,
épouser Imelda, c’était aussi épouser sa mère, ce qui était trop pour
lui… il a donc épousé une autre femme, sans jamais rompre son lien privilégié
avec Imelda. Cet état de fait, qui semblait vouloir durer toujours, bascule
pour une raison banale. Imelda trouve un collier qui a beaucoup de valeur à ses
yeux. C’est de mauvais gré qu’elle consent à avertir le curé qui, en chaire et
dans les journaux, essaie de retrouver la propriétaire. En possession
provisoire de ce collier, Imelda change. Elle commence à s’opposer à sa mère
marâtre et sa sensualité, toute solitaire, s’éveille. Ce collier lui ouvre
l’accès aux rêves, lui permet de vivre de l’intérieur, d’avoir une vie en
dehors de sa mère. Imelda en vient à
penser qu’elle ne peut plus vivre sans ce collier et de peur que quelqu’un le
réclame, elle se laisse mourir.
« Elle ne dut pas trouver immédiatement la
solution à ce dilemme. J’imagine que cela lui vint comme un éclair. Il n’y
avait qu’un moyen de s’assurer de façon définitive la possession de ce collier;
de s’en assurer à jamais. (Vous voyez comme ces mots persistent. Je suis
persuadé qu’ils servirent au raisonnement d’Imelda.) Vivante, elle jouirait du
collier. Morte, il n’importerait plus. Or, pour garantir la possession
continuelle, il n’y avait qu’un moyen, baroque, paradoxal si l’on veut, illogique
selon la logique grossière, mais d’une pure et éclatante logique selon le
raisonnement le plus spirituel possible : celui de mourir au plus vite. »
J’ai
bien dû lire une quinzaine de romans de Thériault dans ma vie, mais rien qui
ressemble au Grand roman de la vie d’un
petit homme. On le sait, Thériault a toujours privilégié l’action, n’a
jamais craint les grands drames, mais ce roman repose sur presque rien. Il avait tout au plus du matériel pour écrire
une nouvelle; il a écrit un roman dans lequel prime l’analyse psychologique. De
longues explications précèdent la moindre révélation, si bien qu’on lit et on
lit et on attend toujours que le narrateur nous révèle ce qui est arrivé à
Imelda. En outre, des commentaires théoriques, qui ont trait au caractère du
récit (voir l’extrait), viennent conclure certaines bobines. Thériault essaie
bien d’ajouter une dimension sociale, comme il le fait, dans d’autres romans (Le dompteur d’ours, La fille laide, Agaguk…),
mais le lien entre le drame d´Imelda et celui de la paroisse de Saint-Léonide
demeure trop artificiel.
Bref,
vous l’aurez compris, ce roman n’est pas des plus réussis. Même si le tout n’est
pas convaincant, le travail d’écrivain demeure impressionnant : Thériault
est capable de jongler avec de fines et longues analyses psychologiques, de
surfer sur des récits qui reposent sur presque rien, bref de tenir la distance…
Pas facile de faire accepter au lecteur qu’une femme puisse se laisser mourir
pour un collier. Et surtout, pas facile de toujours être intéressant dans une
entreprise aussi funambulesque.
Extrait (Commentaire de l’auteur
suivant la bobine no 7)
INTERRUPTION : « Je trouve bizarre que,
dans tout ce que vous me dites, il n’y ait pas un formant axe d’orientation. Jusqu’ici, vous
avez délibérément maintenu votre narration au niveau de la simple évocation et,
si j’osais, je dirais que vous le faites en poète. Mais pour l’usage que je
veux faire de votre récit — suivant l’entente qui existe entre nous — un plus
grand souci de réalisme s’impose.
« Par réalisme, j’entends que ni la vie
d’Imelda ni sa mort, ni votre vie, ni sa survie, n’ont de sens dans un drame à
deux dimensions, si l’histoire ne pivote pas sur un axe bien précis.
« C’est là la différence entre des
mémoires et une narration. Pour rien au monde je ne mettrais de côté ce que
vous avez dit jusqu’ici, mais il me tarde que vous en arriviez à un événement marquant.
Avez-vous vécu un roman qui, pour être sans histoire, a perdu son sens des
valeurs ? Je vous concède l’importance ou la joie secrète d’avoir aimé à
distance; il n’en reste pas moins que cela vous a également valu des
frustrations. Eûtes-vous si peu d’audace — pardonnez-moi le rappel de ce mot et
de l’idée qu’il insinue — que rien ne troublât l’idylle ? Ou si peu de
conscience ? Je m’excuse, mais c’est plus fort que moi : j’en viens à vous
reprocher la monotonie d’un amour sans péripéties. Et pourtant je conçois bien
que vous aviez posé les prémisses d’un amour qui ne pouvait être autrement.
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