19 mai 2017

La Gaspésie

Jean-Baptiste-Antoine Ferland, La Gaspésie, Québec,  A. Côté, 1877, 298 pages (1re édition : La littérature canadienne de 1850-1860, tome I, pages  259-365 – sous la direction du Foyer canadien)

À l’été 1836, l’abbé Ferland (1805-1865), simple curé de Saint-Isidore,  accompagne Mgr Pierre-Flavien Turgeon dans sa visite épiscopale en Gaspésie. Ferland publiera le récit de ce voyage 25 ans plus tard, soit en 1861. Dans « L’avis au lecteur », il précise que ce sont des notes qu’il a prises pendant le voyage, notes qu’il a «  éventées, époussetées et vernies », qui constituent la matière de son livre. Il s'est permis quand même d’ajouter quelques informations supplémentaires dans des notes en bas de page.

La Sara (la goélette) quitte le port de Québec le 15 juin; le 19 ils sont à  Rimouski, le 27  à Gaspé, le 29 à Percé, le 5 juillet à Newport, le 7 à Port-Daniel, le 15 à Cascapédiac, le 18 à Carleton, le 21 à Ristigouche, le 23 à Campbellton et le 27, à Caraquet.  Le 29 juillet s’amorce le retour à Québec qu’ils atteindront le 9 août. Ferland ne voyage pas seul et dès le départ, il nous présente ses compagnons de voyage, aussi bien les matelots que ceux qui accompagnent l’évêque. Durant tout le voyage, il va faire des remarques sur la navigation, sur les conditions atmosphériques qui permettent à la goélette d’avancer ou pas et sur la vie au quotidien sur le bateau.

Le récit de voyage de Ferland n’a rien d’un guide touristique. Oui, il trace le portrait des gens et esquisse le décor des endroits qu’ils visitent, évaluant  la population, ses origines linguistiques, ses ressources, et parfois sa religion, car il y a des anglais protestants dans la région. Oui, il décrit la topographie des lieux, les facilités d’accostage, la faune marine… Mais son récit déborde largement ces aspects plus attendus dans un tel récit.  La mission première de ce déplacement, c’est d’assurer des services religieux (la confirmation que seul un évêque peut donner) à des populations éloignées. Il décrit les préparatifs qu’on réserve à la venue d’un évêque, il mentionne les prêtres en fonction et les conditions difficiles d’exercice de leur sacerdoce sur un aussi vaste territoire. « Nous avons ici l’occasion d’observer tout le bien moral qui résulte de la présence du missionnaire au milieu de ses ouailles. »  

Mais son regard porte plus loin que la religion. Il regarde un peu les régions visitées comme le ferait un politicien : la pêche ne fait pas vivre ou ne permet pas d’augmenter les effectifs de la population, et il rêve au développement de   l’agriculture : « Dans l’intérieur, les terres sont bonnes, nous dit-on, et pourraient nourrir un grand nombre de familles. En ouvrant des chemins pour lier cette portion du pays avec le district de Québec, la législature encouragerait à s’y établir les cultivateurs peu fortunés des anciennes paroisses. »  Il déplore que la surpêche ait réduit les ressources et il ne se gêne pas de critiquer les Robin qui exploitent les pêcheurs.

Même s’il  reproche aux Micmacs leur incapacité à se prendre en main, il leur démontre une sympathie certaine : « Lorsque, sous cette humble voûte, noircie par les années, et consacrée par les prières des premiers chrétiens de la Gaspésie, les descendants des enfants de la forêt entonnent des cantiques de douleur et de repentir, où quelque prière pour les morts, la pensée se reporte avec tristesse sur ce peuple, jadis maître de toute la contrée, et aujourd’hui disparaissant rapidement en présence de la civilisation européenne. »

Il remarque qu’aux « endroits du district de Gaspé, où l’on a établi des écoles, les habitants remplissent  leurs devoirs  civils et religieux mieux que leurs voisins qui sont privés de ce grand avantage ».  

Ferland est un homme de culture qui connaît son histoire et les légendes de son pays, mais  aussi un littéraire qui s’abandonne au lyrisme ici et là dans son récit : « Cependant, Morphée a beau entasser ses pavots sur nos paupières, il nous coûte de laisser le pont pour la chambre. Le temps est si calme ; la lumière de la lune tombe si mollement  sur les masses obscures des montagnes ! Voyez au large ces feux glissant silencieusement  sur la mer ; une lueur rougeâtre s’attache aux canots, et aux figures fantastiques qui les guident ; elle se répand au loin et s’étend sur les eaux, comme un vaste linceul ensanglanté. » (p.47) La pêche lui inspire un peu de philosophie : « N’est-ce pas là une édition abrégée de la vie de l’homme ? Il a cru apercevoir le bonheur glissant auprès de lui ; et, pour le joindre, il a lancé sa nef. Elle vogue gaîment, légèrement, à la poursuite de l’objet séduisant. Au moment où il va le saisir, le fantôme lui échappe et brille un peu plus loin, pour disparaître de nouveau. Alors naissent des réflexions. »

Les auteurs du XIXe siècle sont parfois difficiles à lire, tant leur manière nous apparaît vieillotte, mais non Ferland : l’écriture est fluide, l’aspect chronologique efficacement rendu, il se permet certaines anecdotes plus faciles, il est capable aussi bien d’humour et de poésie que de notations scientifiques. Bref ce livre est encore très « fréquentable ».


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