Disons-le
d’emblée, ces 25 petits contes, dont la plupart ne font pas plus de trois pages, sont très réussis. Carrier fait
preuve d’une imagination qui surprendra tous ceux et celles qui s’en seraient
tenus à ses principales œuvres, plus réalistes : « La guerre, yes Sir »,
« Il n’y a pas de pays sans grand-père ». Comme le recueil est encore
disponible sur le marché, je vais me contenter d’énoncer le point de départ de
chacune de ces « Petites tragédies pour adultes ».
L'oiseau Si une période de glaciation nous tombait abruptement dessus...
La tête C’est ce qui arrive quand on prend au pied de la lettre l’expression
« perdre la tête ».
La jeune fille Tout le monde suit la jeune fille nue.
Le destin Un empereur, qui a fait ériger une statue de sa personne sur la place
publique, tue tous ceux qui n’arrivent pas à empêcher les oiseaux de la
souiller.
Les pommes Un marchand ambulant vend des pommes miraculeuses qui ont le pouvoir
d’exaucer les rêves de celui qui en tranche une.
L'encre La plume du général qui signe un traité de paix se met à cracher de l’encre.
Le parchemin, le bureau, l’immeuble, la ville, le pays, tout est envahi.
Un dompteur de
lions Jamais une bête ne lui a résisté jusqu’à ce qu’il rencontre Boum, le
lion rebelle.
L'eau Contrairement à son mari, Victorine ne dort pas. Elle entend une goutte
d’eau qui dégouline. Puis plusieurs gouttes d’eau.
Le revolver Jack-le-poignard est chargé de tuer la femme d’un riche. Mais la femme est si belle...
La création Dieu est condamné pour avoir fait sauter un édifice à l’explosif.
L'amour des
bêtes Un jour, Boby devient oiseau.
Les pas En revenant chez lui, un homme constate que sa demeure et son
village sont disparus.
Histoire
d'amour Un pompier sauve une jeune fille qui, pour guérir ses insomnies, se
concentre sur la fumée, au lieu de compter des moutons.
Le réveille-matin Le réveille-matin petit à petit devient maître de la maison.
La fin Un homme découvre, en écoutant la radio, qu’il est mort.
L'invention Le professeur Mac Anton a construit un moteur révolutionnaire.
La science Ouke frappe depuis toujours à
l’une des 3333 portes de la science. Son problème : il n’a pas de mémoire.
L'ouvrier
modèle Un ouvrier, chargé de faire briller la plaque de cuivre sur laquelle est
gravé le nom de son patron, finit par user ses mains, ses bras, ses jambes.
L'âge d'or On découvre de l’or dans une ville. Il y en a tant et tant que tout
devient or.
La paix Un vieux soldat regarde le monde depuis sa fenêtre, impassible. Une
vieille dame passe tous les jours en faisant résonner ses sabots.
Le téléphone Un téléphoniste est chargé de répondre que son patron est en mission
d’affaires aux îles Canaries.
Magie
noire Un hôtelier finit par accepter un Noir dans son hôtel.
Le métro Le narrateur découvre qu’il n’y a plus que des vieux dans la ville, à
commencer par lui-même.
Le pain Un étranger fraîchement débarqué est engagé comme balayeur. Le
problème : personne ne vient lui dire que le soir, il faut s’arrêter.
Le titre suggère l’ironie de ces petits contes. La plupart se terminent mal, mais souvent la chute, ou même le développement, font sourire, surtout quand la bêtise humaine sert d’amorce. En fait, le merveilleux, mais aussi l’absurdité et l’exagération désamorcent l’effet dramatique.
La recette est connue, mais encore faut-il savoir l’appliquer avec talent. Tantôt Carrier démarre avec une situation hypothétique qu’il pousse jusqu’à l’absurde (La tête, L’oiseau, Les pas, Le métro), tantôt il fait en sorte qu’une situation plausible dérape (L’eau, La paix), ou il raconte tout simplement un fait impossible (Les pommes, L’encre, La fin). Il aime beaucoup les histoires qui tournent en rond (L’encre, Le téléphone, La création, L’âge d’or) et les retournements de situation (Un dompteur de lions, L’amour des bêtes, La paix), Certaines histoires ont une portée sociale (l’abus de pouvoir, l’exploitation de l’ouvrier, la bêtise des puissants) et pourraient être lues comme des allégories (Le destin, L’ouvrier modèle, Le téléphone). On pense à Alphonse Allais, Marcel Aymé, Italo Calvino et, pourquoi pas, au Voltaire de Candide.
Quelle imagination débordante ! J'ai beaucoup aimé La guerre. Yes Sir! alors que j'étais au cégep. Ce qui ne me rajeunit pas, j'en ai peur. Beau travail de mémoire ! Je ne connais pas d'autre blog qui nous présente la littérature ancienne d'ici d'une façon aussi intéressante.
RépondreEffacerMerci. La guerre, yes Sir, c'était le roman ou la pièce de théâtre? ( les 2 versions ont été publiées). Moi, j'ai enseigné dans les années 1970 Le Deux millième étage. Dans mon souvenir, les élèves aimaient bien.
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