Claude Haeffely et Gaston Miron
Photo : Georges Dutil. Droits : Pierre Filion
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(Texte publié sur Cyberscol en 2003)
Gaston Miron et Claude Haeffely ont tenu une correspondance
entre 1954 et 1965. À bout portant contient 52 lettres, toutes écrites
par Miron, celles de Haeffely ayant été perdues, il semblerait. Pour compenser
cette perte, Haeffely a écrit de courts billets «qui permettent de faire le
pont d’une lettre à l’autre». (page 9)
Rappelons que Claude Haeffely, éditeur et poète, a d’abord
résidé au Québec en 1953 et s’est lié d’amitié avec Miron. Il s’établira
définitivement au pays en 1962.
Que nous apprennent ces lettres? D’abord, Miron tient une
chronique de la vie littéraire au profit de son ami français. Les lettres se
font l’écho des modestes débuts des éditions de l’Hexagone, de l’indigente vie
culturelle des années cinquante. Sur un autre plan, Miron dévoile l’extrême
dénuement de sa vie, lui qui est confiné à une minuscule chambre, qui doit
presque mendier pour vivre (« je n’avais qu’une seule idée en tête, me
trouver 50¢ pour pouvoir manger » Lettre du 1 décembre 1954), ce
qui finit par altérer sa santé.
Pourtant là n’est pas l’essentiel. Au fil des lettres
apparaît le nœud qui dynamise la vie de Miron et qui constitue la thématique de
maints poèmes : comment arrimer la poésie à l’amour et à l’action? La
poésie ne serait-elle qu’un exutoire qui gomme le manque d’amour et la vieille
nécessité de s’engager, découverte auprès des plombiers de Saint-Jérôme? En ce
cas, vaut-il la peine d’écrire si on n’est pas aimé? « L'amour fut, dans la projection de
ma vie, la pierre d'angle, la raison de vivre unique. Et cet amour n'est jamais
apparu à la ligne d'horizon. Alors, qu'est-ce que ça me foute la santé, la
poésie et autres sornettes, quand je n'ai pas même le minimum vital d'affection
humaine. Si la pierre d'angle n'y est pas, quel sens a l'édifice?» Lettre du
20 juillet 58) La poésie ne doit-elle pas céder place à l’action? « La seule voie de ma
génération, c’est l’action. Et c’est pourquoi je ne puis pas écrire. » Lettre
du 13 février 1958)
En fait, la poésie finit par empoisonner sa vie. Par tous
les moyens, sous tous les prétextes, pourrait-on dire, Miron essaie de s’en
délivrer. Pourtant, même s’il avoue sa faillite en poésie, son imposture (« Je dis que la poésie chez
moi est une imposture » Lettre du 16 avril 58), même s’il
dénonce la pression que son entourage exerce sur lui qui l’oblige à tenir un
rôle qui lui répugne, même quand il évoque la nécessité de préserver sa santé
mentale et physique, même quand la poésie ne « parvient pas à naître dans
le poème », rien n’y fait : Miron est toujours poète.
Toutes ces lettres témoignent de cette difficulté d’être
poète malgré soi : hésitations, dénégation de soi, sentiment d’imposture,
angoisse, découragement, recherche identitaire, quête du langage et du sens.
Voici quelques citations :
« Je ne serai jamais qu’une bestiole de la poésie et qu’un
chicot de poésie.» Lettre du 29 juillet 1954
« J’écris dans l’impossible. Je rate. Je bafouille tous
les alphabets. Je me cherche les indices de moi.» Lettre du 21 septembre
1955
« Tout ce que j’écris m’apparaît aussitôt
lamentablement défait. Je ne suis plus capable d’aucune structure. Ce se
sont que lambeaux de poèmes, guenilles,
seulement quelques vers à luire tristement.» Lettre du 21 février 1956
«Nous sommes à un tel point menacés, du dedans et du dehors
à la fois, par le haut et par le bas, que nous nous sommes peu à peu pétrifiés
en un bloc de résistance, long à réagir positivement.» Lettre du 3 juillet
1956
«Oui, la poésie, je la vis jusqu’à l’anéantissement. Mais
elle ne parvient pas à naître dans le poème, un poème. Je me sens toujours
aussi vide qu’il y a deux ans. Bien sûr que j’aligne des mots, des vers. Mais
ça ne vaut rien. Rien.» Lettre du 26 novembre 1956
« Tu sais que je suis l’écrivain de langue française
qui écrit le plus mal sa langue aujourd’hui! Mal. Avoir mal. Être mal. MAIS
VIVANT. » Lettre du 11 septembre 1957
« Je dois m’avouer, en toute sincérité et objectivité,
que l’écriture est bien stérilisée chez moi, que la poésie est bien morte, bel
et bien, il n’y a plus rien à chercher ou à tirer de ce côté-là.. En dépit de
mes dénégations des dernières années, j’attendais un choc qui me redonnât à
nouveau la flamme et le don; je comptais sur l’Europe à cette fin… » Lettre
du 15 novembre 1959
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