Vinceslas Eugène Dick, L’Enfant mystérieux, Québec, J. A. Langlais éditeur, 1890, tome 1 : 225 pages, tome 2 : 297 pages. (Paru d’abord dans L'Album des familles, en 1880-1881)
Le troisième roman de Vinceslas Eugène Dick compte plus de 500 pages réparties sur deux tomes. Comme tout bon roman d’aventures, il fourmille d’événements invraisemblables, de retournements de situation impossibles, de hasards trop beaux pour être vrais. Peu importe, dans de tels romans, il faut savoir baisser la garde et se laisser porter par les événements. J’ai pris plaisir à lire ce roman.
Tome 1, première partie
Saint-Famille, Île d’Orléans, 1840. Pierre Bouet et sa femme Marianne seraient parfaitement heureux s’ils avaient un enfant. Un soir alors que le mari pêche, une barque venue du large accoste le rivage. Un marin qui parle une langue étrangère en descend et lui remet une enfant, une petite fille de 3 mois. On l’appellera Anna. (C’est la petite fille de Richard et Eugénie Walpole. Lui est en Angleterre et malade; elle a pris le premier bateau avec leur jeune enfant pour le rejoindre. Voyant qu’elle perdait la raison, le capitaine a décidé qu’il valait mieux laisser l’enfant au Québec. Le bateau fera naufrage près de Terre-Neuve et Eugénie, n’ayant pas recouvré sa raison, sera prise en charge par les Micmacs.) Les paysans sont fous de joie. Par contre, le frère de Pierre, Antoine, voit d’un mauvais œil cette enfant. Pauvre, il espérait assurer l’avenir de sa famille en héritant de son frère. Il s’organise pour que Pierre Bouet ne fasse pas de testament qui avantagerait sa fille adoptive. Son amie La Démone, la sorcière de l’île, fait croire aux parents naïfs qu’ils ne doivent faire aucun testament, qui favoriserait Anna avant qu’elle ait 17 ans, sous peine de la voir transformée en loup-garou.
Tome 1, deuxième partie
À l’est de l’Ile d’Orléans se trouve un chapelet d’îles qui forment l’archipel de l’Île-aux-Grues. Dick a choisi une petite ile inhabitée comme décor pour la suite de son récit : l’Île-à-deux-têtes. Dix-sept ans ont passé. Pierre s’apprête à faire un testament en faveur de sa fille. Antoine, toujours poussé par la Démone, est maintenant chercheur de trésors. Ses recherches l’amènent sur l’Île-à-deux-têtes où il rencontre un Autochtone en fuite : Tamahou. Les deux font une alliance : contre des produits de première nécessité et de l’argent, Tamahou enlève Anna et la retient prisonnière sur l’île. Malgré toutes les recherches, les habitants ne retrouvent pas la jeune fille. Sa mère Marianne en meurt.
Tome 2, première partie
Anna a un amoureux, Charles Hamelin, un contrebandier parti en mer depuis deux ans pour faire fortune. Au retour de son voyage, pour se cacher des douaniers, il accoste avec son équipage dans une anse perdue de l’Île-à-deux-têtes. Tamahou, se pensant menacé, tire un coup de fusil pour les faire fuir. Les marins décident de partir à la recherche de l’agresseur et finissent par découvrir sa cache. Le capitaine Hamelin est sidéré d’y retrouver son amoureuse. Entre-temps, les agents de douane, avertis par Antoine Bouet, ont saisi son bateau. Après maintes difficultés, Anna, Charles et son équipage finissent par rejoindre l’Île-d’Orléans. Pierre Brouet est fou de joie. Craignant que la Démone ne sache pas tenir sa langue, Antoine tente de l’assassiner. La veille sorcière survivra.
Tome 2, deuxième partie
Pierre Bouet, soigné par sa fille, est très malade. Antoine, qui ignore que son frère a fait un testament qui lègue ses richesses à Anna, tente par tous les moyens de le pousser à bout pour qu’il crève au plus vite. Il finit par réussir. Comme Anna est mineure, c’est lui qui est chargé d’administrer les richesses de sa nièce. Il s’installe avec sa famille dans sa maison de son frère et agit comme si tout lui appartenait. La jeune femme passe beaucoup de temps avec une vieille dame à l’esprit dérangé que la mère de son fiancé a recueillie. Un jour, une barque et quelques marins qui conduisent un lord anglais s’échouent sur le rivage. C’est Richard Walpole. Il est accueilli par la mère de Charles Hamelin. Il reconnaît en elle sa femme et du même coup, sa fille Anna, grâce au portrait de sa mère qu’elle porte dans un pendentif. Tout finit pour le mieux. Se voyant perdu, Antoine Bouet se pend.
Mon résumé fait l’économie de beaucoup d’événements secondaires. Il semblerait que cette œuvre ait été bien accueillie au moment de sa publication. Ce roman se lit encore très bien, même si l’auteur utilise les techniques narratives du dix-neuvième siècle. Il arrête le récit pour décrire longuement un lieu ou pour tracer le portrait d’un personnage, il fait avancer une action, revient en arrière pour en reprendre une autre, ce qui l’oblige parfois à des pirouettes narratives qui nous sortent de la diégèse. Ses descriptions des habitants de l’Île d’Orléans, qui nous rappellent les tableaux de Brughel, me semblent assez bien réussies. Les paysans ne semblent pas très dégourdis, facilement manipulables, d’esprit grégaire, crédules. On y voit peu la place de la religion dans leur vie. Le surnaturel est plutôt le fait des sorcières.
On s’imagine souvent que le roman d’aventures a besoin d’un décor exotique pour rehausser ses intrigues. Dick nous prouve le contraire. L’Île d’Orléans et l’archipel de l’Ile-aux-grues tiennent fort bien ce rôle.
Extrait
Un bruit lointain de rames se faisait entendre, venant du large. Parfois même, le son encore mal défini d'une voix humaine dominait le sifflement de la brise.
Évidemment une embarcation faisait force de rames vers la terre, luttant péniblement contre la violence du vent et du courant.
Pierre Bouet ne respirait plus. Toutes ses facultés se concentraient dans ses yeux et ses oreilles.
Mais bientôt, plus de doutes! La chaloupe — car c'en est une — apparaît dans la zone lumineuse du fanal ; elle approche ; elle atterrit.
Un homme, tenant un paquet dans ses bras, saute sur les rochers et s'avance précipitamment vers Bouet ahuri, que l'étonnement rive aux galets. Sans crier gare! cet homme remet au pêcheur, qui le laisse faire, le singulier paquet, ainsi qu'un petit coffret assez lourd, puis regagne au pas de course son embarcation, en baragouinant quelque chose dans une langue que Bouet prend pour de l'anglais.
Et vogue la galère! voilà la chaloupe repartie, la vision évanouie au sein de la rafale, qui redouble d'intensité!
Pierre Bouet n'en revenait pas. — Il faut avouer qu'il y avait de quoi! Immobile et hagard, les bras chargés du mystérieux fardeau qu'on venait de lui confier si prestement, il regardait tout stupide les vagues qui déferlaient à ses pieds avec un bruit grandissant.
Tout à coup, ô miracle ! le paquet s'agita faiblement et un vagissement en sortit.
Bouet tressaillit jusqu'à la moelle dos os et faillit tomber à la renverse. Une seconde, il se crut fou ou le jouet d'un rêve.
Mais le sentiment de la réalité le domina vite et une chaude bouffée de sang lui monta au visage, en même temps que son vieux cœur s'emplissait d'une immense tendresse.
— Un enfant ! s'écria-t-il, un enfant ! Oh l
Et rapprochant de ses lèvres l'informe paquet de linge où palpitait une petite créature du bon Dieu, il le baisa fiévreusement. (tome 1, p. 22-24)
Eugène Dick sur Laurentiana
Un drame au Labrador
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