Edouard Chauvin, Figurines. Gazettes rimées, Le Devoir, Montréal, 1918 132 p. Couverture illustrée (vue de L'Arche : lieu de rencontre de la Tribu des casoars).
Édouard Chauvin fréquenta L’Arche et fit partie de la Tribu des casoars (voir les références ci-dessous). Figurines contient des gazettes rimées, c’est-à-dire des poèmes qui traitent de l’actualité, souvent de façon satirique, mais sans prétention littéraire. La tradition de la gazette rimée est très ancienne. Au Québec, il y avait de tels poèmes dans les journaux du début du XXe siècle.
Figurines, le premier recueil d'Edouard Chauvin, est divisé en sept parties : Quartier Latin, À « L'arche », Figurines du pavé, Figurines sous l'abat-jour, Figurines de couvent, Figurines paysagistes, Figurines de poètes.
Le poème liminaire donne le ton du recueil : « Ces vers du quartier latin / Et d’un poète / Qui préfère le ton badin / À l’ode sombre et désuète ».
Quartier Latin
Chauvin se moque de ses maîtres et de l’éducation reçue, en associant dans le même quatrain haute culture et facéties d’étudiants : « Enterre Cicéron phraseur / Au fond d'une vieille valise, / Pour courir chez le confiseur / Croquer du sucre avec Denise. » Il termine par un adieu nostalgique à ses anciens copains : « Adieu Philippe, Ubald, Roger, Jean, Paul, Victor, / Et toi, Marcel, vieux frère, au style et au cœur d'or, / Amants des bérets noirs et des pipes de plâtre! » On reconnaîtra Philippe Panneton, Ubald Paquin, Roger Maillet, Jean Chauvin, Paul Ranger et Victor Barbeau.
À « L'Arche »
« On nous appelle gens de rien, / Toqués, blasés et grands vauriens. / Mais nous vivons heureux quand même, / A la Bohême. // « L'Arche » est le lieu de nos amours, / Pour nous, c'est notre Luxembourg ». Sa vie de bohème et ses amours de jeunesse sont des sources d’inspiration. Suite au poème « La tribu des Casoars », dont certaines références nous échappent, l’auteur nous révèle dans une note explicative un aspect de L’Arche : chaque membre recevait un pseudonyme, plutôt dadaiste. (Lire l’extrait)
Figurines du pavé
Chauvin nous présente dix types : par exemple « L’Adonis » est le type même du dandy; « Le Gueux » est un déclassé social; « Le Philistin » nage dans sa richesse, etc. Deux poèmes sont consacrés aux prostituées, ces « épaves de chairs dégoutantes, ces « fornicatrices de beauté », ces « Ames en détresses de nuit, / Ames tristes, âmes tuées, / Qu’on devrait fuir… mais que l’on suit. »
Figurines sous l'abat-jour
Chauvin oublie quelque peu le « ton badin » dans les quatre poèmes de cette partie. On entre dans l’intimité du poète, on a droit à ses épanchements amoureux. Ne serait-ce quelques passages ironiques qui désamorcent la portée émotive, on se croirait chez un poète romantique : « Je rêve aux soirs, quand le vent pleure, / Où l'on a besoin de sentir, / Tout près, quelqu'un pour s'y blottir, / Pour oublier le vent et l'heure. // Alors, près de l'abat -jour bleu. / Dans le complet oubli des choses. / Comme le vent berce les roses, / Je bercerai ton corps frileux. »
Figurines de couvent
Seulement deux poèmes dans cette partie. Le premier présente avec respect les nonnes; le second est plus gouailleur : Marguerite, enfermé dans un couvent, écrit une lettre à son amoureux.
Figurines paysagistes
Les quatre poèmes se déclinent sur un ton léger. Le meilleur est sans doute « Paysage blanc », à cause du pittoresque des rimes. « Les sillons dorment sous la neige. / La bourrasque siffle en sacrant. / Le grand vent du Nord désagrège / Les bancs de neige dans le « rang ».
Figurines de poètes
Cette partie compte quatre poèmes : « Le poète-misère », « Le poète divague », « Le poète a un cauchemar » et « Le retour ». Chauvin évoque d’abord les aléas de la vie du poète et finit par cette strophe qui résume assez bien son recueil : « J'ai chanté, sincère toujours, / La femme, le vin, la bohème, / Les nuits d'ivresse et les beaux jours: / Car je suis un poète blême. »
La question qui se pose à la suite de la lecture de ce recueil : pourquoi Chauvin considère-t-il Figurines comme un recueil de « gazettes rimées »? Certes l’auteur n’a aucune prétention littéraire, le ton est très léger, parfois iconoclaste, mais comme il ne cesse d’évoquer sa vie, il me semble qu’on est très loin de l’actualité et donc très loin des « gazettes rimées ». Pour le reste, le principal intérêt de ce recueil tient au fait que l’auteur a fait partie de la Tribu des Casoars et qu’on peut y découvrir en partie l’esprit qui animait ce groupe.
Sur la Tribu des Casoars
Richard Foisy, Les Casoars
Paul Bennet, L’Aventure intellectuelle audacieuse de L’Arche
LA TRIBU DES CASOARS
dédié aux bons zigues de « l'Arche »
Ce soir, loin de l'été brûlant,
Assis auprès de la fournaise
Qui me donne un reflet sanglant,
Je songe à la saison mauvaise,
Et mon cœur est un gueux tremblant.
Le « Cerbère » et l'« Homo » s'entêtent
A défricher le jeu des rois,
— Le jeu d'échecs —. Moi, ça m'embête,
Par ces temps de guerre on en voit,
Par malheur, trop de ces sornettes!
La lune argente les chromos
Cloués à la muraille blanche.
J'écris, currente calamo,
Des tas de vers en avalanche
Que je débite mot à mot.
La molle chandelle s'écrase;
La cire pend au chandelier
Comme des glaçons du Caucase.
Le vent grimpe par l'escalier,
Mais je me f... de son ukase.
Ses doigts sautillant sur les trous,
Le « Sphinx » joue un air sur sa flûte.
Je scande mes vers en courroux ;
Mais, bang! une chaise culbute:
Zut! je mets la Muse à l'écrou.
Le pouls de l'horloge est plus lent :
L'heure doit allonger sa marche.
L'« Hiérophante » est là, ronflant
Sur le meilleur grabat de l’ « Arche ».
Et cela se passait en l'an…
NOTE : Le lecteur remarquera, avec effroi!, les noms baroques autant que mystérieux qui se sont glissés dans cette pièce. Ceux qui n'ont pas eu le bonheur d'assister à ces galas de l'« Arche », de vivifiante mémoire, seront peut-être heureux de savoir que chaque membre de la « Tribu des Casoars «, — société littéraire non moins qu'artistique — est affublé, lors de son initiation dans l'« Arche », d'un pseudonyme symbolique. Il serait peut-être bon, au point de vue historique, de livrer au public les noms des Casoars, au cas où cette race tendrait à disparaître! Ce sont donc: le « Tsé-tsé humanitaire », la « Fourmi savante », l'« Hiérophante essentiel », le «Vibrion sceptique », le «Trombone gallinacé », l'« Homo cavernarum», le « Sphinx d'Halifax », le « Cerbère thésauriseur», le « Diamant natatoire », le « Xiphias édenté » et l'« Icare illuné ».
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