23 avril 2009

Images et Proses

Rina Lasnier, Images et Proses, Saint-Jean, Les éditions du Richelieu, 1941, 118 pages. (Illustré de 24 photographies dont 23 de Jarvi)

C’est le premier recueil de Rina Lasnier J’aurais envie de dire : ce n’est pas encore du Rina Lasnier, et pourtant… Si le style n'a pas l’ampleur qu’il atteindra dans Mémoire sans jours, il me semble que la thématique lyrique et spirituelle qui sera la sienne est déjà bien présente. Le recueil compte deux parties. La deuxième est constituée d’un long poème religieux « Chemin de croix », dont je ne parlerai pas dans ma critique.

On a accolé à Rina Lasnier, comme on le fera aux Garneau, Grandbois ou Hébert, l’appellation de « poète de la solitude ». Et, de fait, il est facile de retrouver chez Lasnier les mêmes sentiments de refrènement, d’empêchement, d’impuissance, de retranchement, bien présents chez les trois autres poètes de la solitude. Images et proses ne dit que cela.

Sa solitude, on ne lui a pas imposée; au contraire, elle la revendique : « Laissez-moi mon chemin détourné de vos maisons et de vos villages joyeux […] / ma descente où s’épanouit pour moi seul la grande fleur bleue du ciel… » On ne peut pas dire pour autant qu’elle y consent. Assise à sa fenêtre, elle attend, elle ne sait plus si c’est le retour de l’amant ou simplement la venue d’un poème : « le lucide regard de la fenêtre où passent des sources de larmes, où tanguent des nuages à la dérive, / ces carreaux de lumière, nuancés des couleurs du temps, mieux qu’un vitrail te racontent la joie de la Création. » On comprend l’inconfort de sa position. Ainsi elle ne peut étouffer complètement le sentiment amoureux : « Il est des soirs où le cœur sent ramper autour de lui tant de solitude que l’ombre de l’amour suffit à le rassurer… » Et elle s’interroge à savoir si elle trouvera le repos de l’âme : « Mon cœur résonne comme une forêt libre... / reprendrons-nous la sagesse des jours sans amour? »

Même si une certaine spiritualité vient la consoler : « Que je vois loin sur le champ ce soir! J’ai aimé si fidèlement que Dieu m’a donné une joie plus lumineuse que la neige », les regrets, les doutes l’assaillent sans cesse. En se coupant du réel, en accentuant ainsi son isolement, sa solitude n’est-elle pas devenue une prison? « Pourquoi chercher si loin l’émerveillement d’aujourd’hui et la joie de demain, quand le grain de blé porte la gloire de la terre et le mystère de l’amour. » Elle sait qu’il lui faudrait rompre les entraves (la spiritualité, la création) qui l’empêchent désormais de se libérer : « Entre Vous et moi, il y a l’embûche de ma ferveur / Ma vie est un arbre aux multiples désirs, où palpite une colombe; / si ma vie délivrait l’âme captive, je saurais l’ampleur de mon essor… l’infini / Seigneur… déliez mes liens. »

Que vaut une vie, même liée à la transcendance, si elle n’irradie pas sur le monde qui l’entoure? « L’île bienheureuse, où s’éteint parfois un tourbillon d’oiseaux, appareillera bientôt. » L’arbre sans oiseaux est inutile : « ses feuilles savent encore chanter sous les doigts du vent, mais en détruisant le silence on détruit aussi la chanson… et les oiseaux ».

Ne faut-il pas revenir au réel? « La parole qui chassa l’homme du paradis le fiança à la terre pour toujours. » Et elle adresse cette requête à l’amoureux : « Reviens… tu as faussé ta vie en accordant ton désir au désir des villes. » (Voir l’extrait) Comment dompter la passion qui remue le corps jusqu’à l’exaspération ? « je connais ma soif, le vent ne peut violenter mon cœur fugace et me détourner de ma voie exaspérée; / je cours apprendre si la profondeur de la mer me désire comme je la désire. » Cet appel tardif, cet appel dans le vide ne reçoit aucune réponse : « tu me refuses de devenir la table porteuse de pain et de joie, le lit rempli de songes; / tu me greffes deux bras morts, deux roues sous lesquelles surgissent la pierre de trébuchement et l’ornière sournoise ».

Finalement, au terme de cette démarche, faite de doutes, de regrets, de remises en question, d’avances et de reculs, elle comprend qu’il lui faut revenir aux idéaux qu’elle s’était donnés (l’art et la spiritualité) : « Heureux les rêves lentement recueillis en poésie ». L’oiseau aux « ailes brisées » peut toujours espérer être recueilli par les « mains tendues de l’Oiseleur » : « Il t’emportera si haut que tu ne verras plus le cercle étroit de la terre. »

Rina Lasnier a souvent reproché aux critiques de faire une lecture trop religieuse de son œuvre. Elle l’a dit et redit : elle n’est pas une mystique, même si le spirituel est très important pour elle. Dans ma lecture, j'ai essayé de saisir la composition d’ensemble, de suivre le fil conducteur. On lui a souvent reproché son hermétisme : c’est vrai qu’il faut interpréter, essayer de bien lire un certain nombre de symboles récurrents (l’oiseau, la neige, l’arbre). Les vers sont longs, les articulations logiques entre les strophes très réduites et les images nombreuses, mais il n’empêche qu’un recueil comme Images et Proses demeure très accessible.

Certes, le recueil est inégal. Certes, Rina Lasnier ne réussit pas à évacuer complètement la vieille tradition de la poésie québécoise : on y retrouve de vagues relents de la littérature du terroir. Mais on y trouve aussi le questionnement spirituel propre aux artistes de La Relève. Peut-être que le « Chemin de croix » qui clôt le recueil n’aurait pas dû en faire partie. Par contre, jamais n'avait-on vu un vers qui ait cette ampleur, qui déborde de la ligne, « décorsetté » pour tout dire. Déjà la prose envahit cette poésie. Sur cet aspect, elle prolonge Garneau, met de côté la poésie perçue comme un chant, encore si présente chez la première Anne Hébert. Il y a hors de tout doute une modernité dans ce premier recueil de Lasnier. J’ai bien aimé et je me promets de replonger dans cette œuvre que j’ai négligée.


LA MAISON
Reviens... tu as faussé ta vie en accordant ton désir au désir de la ville;
je veille sans feu ni lumière et mes vitres, où jaillissaient des sources de clarté, se brisent en silence;
reviens, une maison vide est une coquille morte, la tristesse la remplit sans la combler;
as-tu oublié le rythme des berceaux, semblable au rythme des moissons inclinées sous le vent?
la qualité du jour épars sur le pré? la douce résistance de la tige qui vibre quand on l'arrache du sol?
le vol de tes regards me caressait mieux qu'un effleurement d'aile;
rien ne s'efface, ni les ors des blés, ni l'étoile de ta joie, excepté le chemin de tes pas;
j'envoie au devant de toi le vent avec l'odeur des phlox et les bêlements éperdus des brebis;
j'ai fermé les yeux sur ta désertion, abritant ma solitude derrière les volets.
Voici le vent... et si, d'un geste brusque, il vient de m'arracher à ma nuit, c'est que là-bas pointe l'aube de ton retour. (pages 75-76)

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