Jean-Charles Harvey, Les Demi-Civilisés, Montréal, Éditions du Totem, 1934, 223 pages. (Harvey a présenté une nouvelle version du roman en 1962)
Au sortir de ses études, Max Hubert hésite entre divers métiers, avec un penchant marqué pour le droit, qu’on lui déconseille, vu la moralité douteuse qui s’attache à la profession. Son amie Dorothée Meunier lui conseille le journalisme. Elle lui propose de s’associer pour lancer une revue, que son père, un parvenu qui a fait sa fortune dans la contrebande, financera. Ainsi le « Vingtième siècle » voit le jour. Cette revue prétend donner une voix à la nouvelle génération, en étirant autant que possible la marge de liberté qu’on peut avoir dans la société de l’époque. La revue trouve un lectorat et l’amitié entre Max et Dorothée se transforme en amour. Entre eux, il n'est pas question de mariage pour autant; ils préfèrent l’amour libre.
Tout va bien pour Max Hubert et puis, un jour, son petit monde bascule. C’est d’abord Dorothée qui, sans raison, lui annonce qu’elle le quitte. Max comprend qu’elle le fait contre son gré. Dépité, il collectionne les aventures, méprisant les femmes qui lui tombent dans les bras. Ensuite, une secousse va provoquer la disparition de la revue : dans un article virulent, un de ses collaborateurs s’attaque au peuple canadien-français. Une levée de boucliers, entre autres des cercles religieux, s’en suit. Hubert et sa revue perdent tous les protecteurs qu’ils se sont attachés au fil des ans : politiciens, professeurs, bourgeois influents, religieux, personne ne veut se compromettre. Dernier drame dans la vie d’Hubert, il apprend que Dorothée entre chez les religieuses.
Les derniers chapitres nous donnent le fin fond de l’énigme, concernant Dorothée. Son père a tué, sans se faire prendre, l’amant de sa femme. Or, il y a tout lieu de croire que ce dernier était le véritable père de la jeune fille. C’est cette découverte qui est à l’origine de sa « vocation religieuse ». Apprenant cela, Max se rend au couvent et essaie de la convaincre de ne pas prononcer ses vœux. C’est elle, finalement, qui viendra le rejoindre, par un temps glacial, habillée de la blanche robe de son initiation.
Que ce soit un roman important, il ne faut pas en douter. Bien entendu, comme chacun le sait, le roman fut censuré et Jean-Charles Harvey, qui avait ses entrées auprès du premier ministre, perdit sa fonction de directeur du Soleil. Il dut signer un papier dans lequel il désavouait son roman, Que voulez-vous, il avait six enfants à nourrir!
Le roman avait tout pour faire scandale : Max Hubert et ses amis participent à des « wild party » qui ne sont pas loin de l’orgie, pratiquent l’amour libre, certains se droguent, d’autres sont bootleggers. Les femmes ne sont pas des mères mais des amantes. Les hommes se veulent libres penseurs. La recherche du plaisir est le but de plusieurs personnages. Cette pratique de l’hédonisme sans remords heurtait de plein fouet la morale judéo-chrétienne de l’époque, il va sans dire.
Quant à moi, le principal mérite de ce roman, c’est de décrire la place d’un intellectuel indépendant dans la société québécoise de l’époque. C’est très simple : on n’attendait qu’un faux pas pour lui tomber dessus et le broyer. Ce qui est amusant, c’est que Harvey décrit dans son roman ce qui va lui arriver dans la vraie vie. L’effet de miroir est saisissant!
C’est un roman important, mais ce n’est pas un très bon roman. D’abord, Harvey n’a aucun sens du dialogue. Ses personnages monologuent, dissertent sans cesse. Les idées ne passent jamais par l’action : on parle, on parle et on parle encore! Et c’est pire encore lorsque les personnages échangent des sentiments. C’est à peu près le langage romantique du début du XIXe siècle. Et comme on l’a vu dans ses œuvres précédentes, Harvey est médiocre lorsqu’il se mêle de développer une intrigue amoureuse. C’est toujours mièvre, même si, ici, les personnages font preuve de beaucoup de liberté sexuelle.
Par contre, la charge critique ne peut être plus forte. On pourrait dire que Harvey tire sur tout ce qui bouge. Il décrit ainsi la ville de Québec : « Parmi ces laideurs de la masse puante, cloaque bouillonnant de plaisir, de vices, de sourdes résignations… » Il écorche les femmes : « Les vraies femmes ne se délectent guère à la conversation d’autres femmes ». Il vilipende le clergé, osant dire qu’il est riche, vénal, qu’il maintient le peuple dans l’ignorance : « Hermann se demandait quel serait le Christ du vingtième siècle avec des temples magnifiques bâtis par l'argent des gueux sous la peur de l'enfer; avec des biens immenses cotés par la haute finance et ne rendant pas tribut à César, le César honni, à qui le pauvre Jésus rendait son effigie et son denier ». Il attaque les petits politiciens véreux, les bourgeois qui n’ont aucune vie intellectuelle : « Chez les êtres qui, au lieu de leur chapeau, ont accroché leur cerveau à une patère, et qui croient que la tête est un appendice non seulement inutile, mais nuisible, les attitudes ridicules ont le champ libre. » Tout compte fait, ce qu’il dénonce, c’est une société qui ne pense pas, qui n’a pas de culture, une société à l’esprit anémique, qui se replie sur son histoire et ses églises, qui se répand en courbettes devant les colonisateurs.
Pour expliquer ce manque d’envergure du peuple canadien-français, il évoque les effets de la Conquête : elle nous aurait maintenus trop longtemps dans notre rôle de paysans et elle aurait fait de nous des résignés, inaptes à affronter la société moderne. Il ne faudrait pas croire pour autant que l’auteur dénigre la paysannerie. Au contraire, il n’y a qu’elle qui trouve grâce à ses yeux. Ainsi après avoir vécu tous ses déboires, Max retourne à la campagne, revoir la maison abandonnée de ses ancêtres (le motif de la « maison condamnée » est fréquent dans les œuvres du terroir). Et on a droit à un véritable morceau de bravoure que les terroiristes les plus convaincus ne renieraient pas. « Toute la nation repose sur ces obscurs qui ont été presque les seuls à vraiment souffrir pour la sauver. Ce qu'ils ont fait, eux, ils ne l'ont pas crié sur les toits, ils ne l'ont ni publié, ni hurlé dans les parlements: ils l'ont fait par devoir, sans espoir de récompense humaine. Abandonnés à la conquête, ils ont continué à labourer et à engendrer sans se soucier des nouveaux maîtres. Puis ils ont fait ce qu'on leur disait de faire. Ils n'ont pas maugréé; ils ont tout accepté, les yeux fermés, tout subi, tout enduré. Ils sont pourtant restés fiers, intelligents, originaux, raisonnables et personnels. Il me semble que notre paysannerie est la plus civilisée qui soit au monde. Elle est la base sur laquelle nous bâtissons sans cesse. Ce n'est pas chez elle qu'on trouve la plaie des demi-civilisés: c'est dans notre élite même. »
Extrait
- Notre petite bourgeoisie est toute formée de déracinés. Il suffit de remonter à une ou deux générations pour y rencontrer le paysan. Tout le fond de la race est là. Aussi longtemps que les nôtres sont paysans et demeurent près de la nature, ils possèdent les dons les plus riches de l'humanité: intégrité, douceur, ordre, sacrifice, oubli de soi, sincérité de foi et de mœurs. Le pays leur doit tout. Prenez-les et essayez de leur faire une vie cérébrale, après leurs trois siècles d'atavisme terrien ou forestier. Vous faites d'eux surtout des égarés. Dans leur champ, ils pensent juste, et leur pensée s'arrête à la limite que leur prescrit l'autorité, non pas parce qu'ils sont dupes ou veules, mais parce qu'ils savent qu'il est nécessaire d'obéir à quelqu'un en ce monde. La soumission du bon sens, quoi. C'est cet esprit qui les a grandis et les a poussés à des actes d'un courage et d'une beauté inouïs. Instruisez maintenant ces hommes si près de la nature. Si vous n'êtes pas en état de les élever jusqu'à la plus haute culture et jusqu'à la plus forte discipline de l'esprit, vous faites d'eux une génération de ratés. Vous créez en leur âme un état artificiel qui, chez les vieilles races, serait considéré comme un acheminement, et qui, chez nous, n'est que trop souvent le terme de la formation. D'une instruction de transition, on fait, chez nous, une éducation cristallisée. L'individu des vieux pays qui tend vers l'élite et qui commence son entraînement intellectuel, une fois entré dans la période artificielle dont je viens de parler, s'échappe de cet état de déformation relative afin d'aller plus loin, beaucoup plus loin, dans le perfectionnement de sa personnalité; et il se rapproche de nouveau de la nature, cette nature qui est le commencement et la fin de toute valeur humain portée à son raffinement suprême. Le malheur, en ce pays, je le répète, c'est que la plupart s'enlisent dans la période de l'artifice. Plus de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des Canadiens instruits sont des primaires. Après leur vingtième année, ils n'apprennent plus rien que la routine de l'expérience et il ne pensent plus à rien qu'à ce qu'on leur a dit de penser. Ils s'atrophient. Vois-tu la gravité d'une telle situation? Notre élite, ce qu'on appelle sans ironie notre élite, porte fièrement sa petite provision de connaissances sur l'histoire, les mœurs, la philosophie et les arts du monde. On dirait un éléphant attelé à une brouette d'enfant. Comme toute nourriture spirituelle porte en soi des ferments de dissolution morale, c'est cette dissolution seulement qui agit sur nos pseudo-intellectuels. De là, chez eux, tant de signes de dégénérescence précoce. Je leur préfère de beaucoup les paysans de vieille souche, qui ont gardé la mesure, le bon sens, l'équilibre.En écoutant Lucien, je revoyais ma petite enfance. Moi aussi, j'étais issu de la terre. J'avais marché dans les labours, à la suite de mon aïeul, vieillard à barbe blanche, qui besognait du petit jour jusqu'au coucher du soleil, qui garda jusqu'à la mort sa jeunesse de cœur, et dont le visage ne refléta jamais l'ombre d'une passion mauvaise.- Je veux, dis-je à mon ami, revoir la vieille maison de mes ancêtres. J'ai besoin de m'y retremper. Viens-tu avec moi? (pages 192-194)
Lire L'Affaire «Les Demi-Civilisés»
Au sortir de ses études, Max Hubert hésite entre divers métiers, avec un penchant marqué pour le droit, qu’on lui déconseille, vu la moralité douteuse qui s’attache à la profession. Son amie Dorothée Meunier lui conseille le journalisme. Elle lui propose de s’associer pour lancer une revue, que son père, un parvenu qui a fait sa fortune dans la contrebande, financera. Ainsi le « Vingtième siècle » voit le jour. Cette revue prétend donner une voix à la nouvelle génération, en étirant autant que possible la marge de liberté qu’on peut avoir dans la société de l’époque. La revue trouve un lectorat et l’amitié entre Max et Dorothée se transforme en amour. Entre eux, il n'est pas question de mariage pour autant; ils préfèrent l’amour libre.
Tout va bien pour Max Hubert et puis, un jour, son petit monde bascule. C’est d’abord Dorothée qui, sans raison, lui annonce qu’elle le quitte. Max comprend qu’elle le fait contre son gré. Dépité, il collectionne les aventures, méprisant les femmes qui lui tombent dans les bras. Ensuite, une secousse va provoquer la disparition de la revue : dans un article virulent, un de ses collaborateurs s’attaque au peuple canadien-français. Une levée de boucliers, entre autres des cercles religieux, s’en suit. Hubert et sa revue perdent tous les protecteurs qu’ils se sont attachés au fil des ans : politiciens, professeurs, bourgeois influents, religieux, personne ne veut se compromettre. Dernier drame dans la vie d’Hubert, il apprend que Dorothée entre chez les religieuses.
Les derniers chapitres nous donnent le fin fond de l’énigme, concernant Dorothée. Son père a tué, sans se faire prendre, l’amant de sa femme. Or, il y a tout lieu de croire que ce dernier était le véritable père de la jeune fille. C’est cette découverte qui est à l’origine de sa « vocation religieuse ». Apprenant cela, Max se rend au couvent et essaie de la convaincre de ne pas prononcer ses vœux. C’est elle, finalement, qui viendra le rejoindre, par un temps glacial, habillée de la blanche robe de son initiation.
Que ce soit un roman important, il ne faut pas en douter. Bien entendu, comme chacun le sait, le roman fut censuré et Jean-Charles Harvey, qui avait ses entrées auprès du premier ministre, perdit sa fonction de directeur du Soleil. Il dut signer un papier dans lequel il désavouait son roman, Que voulez-vous, il avait six enfants à nourrir!
Le roman avait tout pour faire scandale : Max Hubert et ses amis participent à des « wild party » qui ne sont pas loin de l’orgie, pratiquent l’amour libre, certains se droguent, d’autres sont bootleggers. Les femmes ne sont pas des mères mais des amantes. Les hommes se veulent libres penseurs. La recherche du plaisir est le but de plusieurs personnages. Cette pratique de l’hédonisme sans remords heurtait de plein fouet la morale judéo-chrétienne de l’époque, il va sans dire.
Quant à moi, le principal mérite de ce roman, c’est de décrire la place d’un intellectuel indépendant dans la société québécoise de l’époque. C’est très simple : on n’attendait qu’un faux pas pour lui tomber dessus et le broyer. Ce qui est amusant, c’est que Harvey décrit dans son roman ce qui va lui arriver dans la vraie vie. L’effet de miroir est saisissant!
C’est un roman important, mais ce n’est pas un très bon roman. D’abord, Harvey n’a aucun sens du dialogue. Ses personnages monologuent, dissertent sans cesse. Les idées ne passent jamais par l’action : on parle, on parle et on parle encore! Et c’est pire encore lorsque les personnages échangent des sentiments. C’est à peu près le langage romantique du début du XIXe siècle. Et comme on l’a vu dans ses œuvres précédentes, Harvey est médiocre lorsqu’il se mêle de développer une intrigue amoureuse. C’est toujours mièvre, même si, ici, les personnages font preuve de beaucoup de liberté sexuelle.
Par contre, la charge critique ne peut être plus forte. On pourrait dire que Harvey tire sur tout ce qui bouge. Il décrit ainsi la ville de Québec : « Parmi ces laideurs de la masse puante, cloaque bouillonnant de plaisir, de vices, de sourdes résignations… » Il écorche les femmes : « Les vraies femmes ne se délectent guère à la conversation d’autres femmes ». Il vilipende le clergé, osant dire qu’il est riche, vénal, qu’il maintient le peuple dans l’ignorance : « Hermann se demandait quel serait le Christ du vingtième siècle avec des temples magnifiques bâtis par l'argent des gueux sous la peur de l'enfer; avec des biens immenses cotés par la haute finance et ne rendant pas tribut à César, le César honni, à qui le pauvre Jésus rendait son effigie et son denier ». Il attaque les petits politiciens véreux, les bourgeois qui n’ont aucune vie intellectuelle : « Chez les êtres qui, au lieu de leur chapeau, ont accroché leur cerveau à une patère, et qui croient que la tête est un appendice non seulement inutile, mais nuisible, les attitudes ridicules ont le champ libre. » Tout compte fait, ce qu’il dénonce, c’est une société qui ne pense pas, qui n’a pas de culture, une société à l’esprit anémique, qui se replie sur son histoire et ses églises, qui se répand en courbettes devant les colonisateurs.
Pour expliquer ce manque d’envergure du peuple canadien-français, il évoque les effets de la Conquête : elle nous aurait maintenus trop longtemps dans notre rôle de paysans et elle aurait fait de nous des résignés, inaptes à affronter la société moderne. Il ne faudrait pas croire pour autant que l’auteur dénigre la paysannerie. Au contraire, il n’y a qu’elle qui trouve grâce à ses yeux. Ainsi après avoir vécu tous ses déboires, Max retourne à la campagne, revoir la maison abandonnée de ses ancêtres (le motif de la « maison condamnée » est fréquent dans les œuvres du terroir). Et on a droit à un véritable morceau de bravoure que les terroiristes les plus convaincus ne renieraient pas. « Toute la nation repose sur ces obscurs qui ont été presque les seuls à vraiment souffrir pour la sauver. Ce qu'ils ont fait, eux, ils ne l'ont pas crié sur les toits, ils ne l'ont ni publié, ni hurlé dans les parlements: ils l'ont fait par devoir, sans espoir de récompense humaine. Abandonnés à la conquête, ils ont continué à labourer et à engendrer sans se soucier des nouveaux maîtres. Puis ils ont fait ce qu'on leur disait de faire. Ils n'ont pas maugréé; ils ont tout accepté, les yeux fermés, tout subi, tout enduré. Ils sont pourtant restés fiers, intelligents, originaux, raisonnables et personnels. Il me semble que notre paysannerie est la plus civilisée qui soit au monde. Elle est la base sur laquelle nous bâtissons sans cesse. Ce n'est pas chez elle qu'on trouve la plaie des demi-civilisés: c'est dans notre élite même. »
Extrait
- Notre petite bourgeoisie est toute formée de déracinés. Il suffit de remonter à une ou deux générations pour y rencontrer le paysan. Tout le fond de la race est là. Aussi longtemps que les nôtres sont paysans et demeurent près de la nature, ils possèdent les dons les plus riches de l'humanité: intégrité, douceur, ordre, sacrifice, oubli de soi, sincérité de foi et de mœurs. Le pays leur doit tout. Prenez-les et essayez de leur faire une vie cérébrale, après leurs trois siècles d'atavisme terrien ou forestier. Vous faites d'eux surtout des égarés. Dans leur champ, ils pensent juste, et leur pensée s'arrête à la limite que leur prescrit l'autorité, non pas parce qu'ils sont dupes ou veules, mais parce qu'ils savent qu'il est nécessaire d'obéir à quelqu'un en ce monde. La soumission du bon sens, quoi. C'est cet esprit qui les a grandis et les a poussés à des actes d'un courage et d'une beauté inouïs. Instruisez maintenant ces hommes si près de la nature. Si vous n'êtes pas en état de les élever jusqu'à la plus haute culture et jusqu'à la plus forte discipline de l'esprit, vous faites d'eux une génération de ratés. Vous créez en leur âme un état artificiel qui, chez les vieilles races, serait considéré comme un acheminement, et qui, chez nous, n'est que trop souvent le terme de la formation. D'une instruction de transition, on fait, chez nous, une éducation cristallisée. L'individu des vieux pays qui tend vers l'élite et qui commence son entraînement intellectuel, une fois entré dans la période artificielle dont je viens de parler, s'échappe de cet état de déformation relative afin d'aller plus loin, beaucoup plus loin, dans le perfectionnement de sa personnalité; et il se rapproche de nouveau de la nature, cette nature qui est le commencement et la fin de toute valeur humain portée à son raffinement suprême. Le malheur, en ce pays, je le répète, c'est que la plupart s'enlisent dans la période de l'artifice. Plus de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des Canadiens instruits sont des primaires. Après leur vingtième année, ils n'apprennent plus rien que la routine de l'expérience et il ne pensent plus à rien qu'à ce qu'on leur a dit de penser. Ils s'atrophient. Vois-tu la gravité d'une telle situation? Notre élite, ce qu'on appelle sans ironie notre élite, porte fièrement sa petite provision de connaissances sur l'histoire, les mœurs, la philosophie et les arts du monde. On dirait un éléphant attelé à une brouette d'enfant. Comme toute nourriture spirituelle porte en soi des ferments de dissolution morale, c'est cette dissolution seulement qui agit sur nos pseudo-intellectuels. De là, chez eux, tant de signes de dégénérescence précoce. Je leur préfère de beaucoup les paysans de vieille souche, qui ont gardé la mesure, le bon sens, l'équilibre.En écoutant Lucien, je revoyais ma petite enfance. Moi aussi, j'étais issu de la terre. J'avais marché dans les labours, à la suite de mon aïeul, vieillard à barbe blanche, qui besognait du petit jour jusqu'au coucher du soleil, qui garda jusqu'à la mort sa jeunesse de cœur, et dont le visage ne refléta jamais l'ombre d'une passion mauvaise.- Je veux, dis-je à mon ami, revoir la vieille maison de mes ancêtres. J'ai besoin de m'y retremper. Viens-tu avec moi? (pages 192-194)
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