C'est le trois janvier enfin!... On a fini de serrer et de resserrer ma pauvre main tout ampoulée. On a fini d'avoir du bonheur par-dessus la tête et de s'en souhaiter mutuellement à s'en rendre malade. Les paresseux ont eu leur congé du deux de l'an sans compter celui du premier, lequel est obligatoire, mais non gratuit. De braves gens, mes compatriotes, que je ne vois pas une heure de toute l'année durant, ont voulu rattraper le temps perdu; ils se sont précipités sur ma main comme sur des étrennes, et l'ont engloutie dans leurs transports; il me semble qu'ils la tiennent encore. Pendant deux jours, elle a été à tout le monde, excepté à moi, et j'ai peine à la reconnaître maintenant qu'elle m'est revenue.
Je regarde cette pauvre main qui essaie de reprendre la plume, et j'ai envie de lui souhaiter la bonne année. Si je me la serrais ! C'est une vraie frénésie. Le jour de l'an est épidémique: j'ignorais cela; s'il durait seulement une semaine, on ne pourrait plus se lâcher.
Les amis de nos amis sont nos amis; c'est le cas de le dire. Pour moi, j'en ai vu de nombreux, qui ne sont certainement pas les miens, ce que je regrette, car ils m'eussent sans doute épargné — je les ai vus s'élancer vers moi, du plus loin qu'ils me voyaient, frémissant d'allégresse, transportés de bonheur. « Je vous la souhaite ! » s'écriaient-ils tour à tour comme hors d'eux-mêmes. D'autres, ne faisant qu'un bond à travers la rue: « Je vous la souhaite ! » s'écriaient-ils aussi, et crac, c'était encore un serrement de main à me faire trouver mal. Il y a même des amis de mes amis qui m'ont souhaité les compliments de la saison; d'autres, beaucoup d'heureux retours ! Chacun fait et dit comme il peut; le jour de l'an étant le jour de tout le monde, il ne faut pas se montrer trop difficile sur la langue.
Cette opération du serrement de main étant subie deux ou trois cents fois, j'avoue que, pour ma part, je ne déteste pas le jour de l'an. Mon triste état de vieux garçon m'oblige malheureusement à tout apprécier à un point de vue personnel; eh bien ! je le déclare, le jour de l'an me plaît, malgré le danger que je cours d'une paralysie absolue du bras droit. Ce jour-là, je me distingue des sept-huitièmes de mes compatriotes; ce jour-là, plus que tout autre, je suis libre et je savoure ma sauvage indépendance, comme si je devais la perdre pour le reste de l'année; je ne fais pas une visite, non, pas une, je m'affranchis de ce supplice ridicule et je ne vais pas marmotter à deux cents personnes indifférentes mes souhaits de convention.
Si le jour de l'an est vraiment un jour de bonheur, j'entends en jouir. Je garde au fond de mon cœur des trésors de souhaits pour mes amis, mes vrais amis, et je me garde bien d'aller confondre ces souhaits avec le flot de banalités qu'ils se condamnent à entendre. Pour les autres, les personnages, les gens à position, dont un abîme me séparera toujours, je me contente de les plaindre. Je les plains d'avoir tant de devoirs à remplir en un seul jour, et d'en avoir si peu tout le reste de l'année, puisqu'il est entendu que nous vivons dans un pays de cocagne où la sinécure est l'objet légitime des plus honnêtes ambitions.
Je regarde cette pauvre main qui essaie de reprendre la plume, et j'ai envie de lui souhaiter la bonne année. Si je me la serrais ! C'est une vraie frénésie. Le jour de l'an est épidémique: j'ignorais cela; s'il durait seulement une semaine, on ne pourrait plus se lâcher.
Les amis de nos amis sont nos amis; c'est le cas de le dire. Pour moi, j'en ai vu de nombreux, qui ne sont certainement pas les miens, ce que je regrette, car ils m'eussent sans doute épargné — je les ai vus s'élancer vers moi, du plus loin qu'ils me voyaient, frémissant d'allégresse, transportés de bonheur. « Je vous la souhaite ! » s'écriaient-ils tour à tour comme hors d'eux-mêmes. D'autres, ne faisant qu'un bond à travers la rue: « Je vous la souhaite ! » s'écriaient-ils aussi, et crac, c'était encore un serrement de main à me faire trouver mal. Il y a même des amis de mes amis qui m'ont souhaité les compliments de la saison; d'autres, beaucoup d'heureux retours ! Chacun fait et dit comme il peut; le jour de l'an étant le jour de tout le monde, il ne faut pas se montrer trop difficile sur la langue.
Cette opération du serrement de main étant subie deux ou trois cents fois, j'avoue que, pour ma part, je ne déteste pas le jour de l'an. Mon triste état de vieux garçon m'oblige malheureusement à tout apprécier à un point de vue personnel; eh bien ! je le déclare, le jour de l'an me plaît, malgré le danger que je cours d'une paralysie absolue du bras droit. Ce jour-là, je me distingue des sept-huitièmes de mes compatriotes; ce jour-là, plus que tout autre, je suis libre et je savoure ma sauvage indépendance, comme si je devais la perdre pour le reste de l'année; je ne fais pas une visite, non, pas une, je m'affranchis de ce supplice ridicule et je ne vais pas marmotter à deux cents personnes indifférentes mes souhaits de convention.
Si le jour de l'an est vraiment un jour de bonheur, j'entends en jouir. Je garde au fond de mon cœur des trésors de souhaits pour mes amis, mes vrais amis, et je me garde bien d'aller confondre ces souhaits avec le flot de banalités qu'ils se condamnent à entendre. Pour les autres, les personnages, les gens à position, dont un abîme me séparera toujours, je me contente de les plaindre. Je les plains d'avoir tant de devoirs à remplir en un seul jour, et d'en avoir si peu tout le reste de l'année, puisqu'il est entendu que nous vivons dans un pays de cocagne où la sinécure est l'objet légitime des plus honnêtes ambitions.
Arthur Buies
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