Yvonne Charrette, Nuances, Montréal, Le Devoir, 1919, 132
pages. (Préface de Marie-J. Gérin-Lajoie et image de la couverture d’Adrien
Hébert)
Les sujets d’Yvonne Charrette sont
plutôt abstraits, plus d’ordre philosophique que sociale. L’analyse est plus
présente que la description ou le récit dans ses billets. On a peu de
perspectives sur la vie urbaine. Je vous donne quelques titres qui disent assez
bien ce qui inspire Charrette : « L’idéal », « Le charme »,
« Sous les apparences », « Malentendus », « La
rancune », « Lâcheté »… Ces billets du soir sont parus dans Le Devoir en 1917 sous le pseudonyme de Joëla Rohu.
Le premier texte donne
une idée assez juste de sa démarche : « Ah oui! c'est une course
lassante celle qui tend à l'idéal. Le moindre caillou de la route révèle à
l'homme sa faiblesse, la moindre fleur, son attache à la volupté. Tandis qu'au
loin, là-bas, lui apparaît dans une radieuse lumière, le beau, le pur, le vrai,
l'uniquement vrai, il se sent dans la poussière, lamentablement impuissant,
épuisé, sali; dans son âme se lève le doute : va-t-il retourner en arrière? »
L’auteure s’intéresse aux
non-dits, aux malentendus, aux fausses
impressions, et plus globalement à tout ce qui pourrit les relations humaines,
par ignorance, par faiblesse, par lâcheté ou par malice. Dans plusieurs textes,
on retrouve cette quête obstinée d’un idéal et en même temps la crainte d’une désillusion : « Nous avons tort
de vouloir connaître le mensonge des étalages. Nous avons tort de rêver
d'affections faites de pleine confiance, de parfaite fusion d'âmes : le cœur
garde secrètes ses plus belles qualités. Il faut rester de l'autre côté de la
vitre, ne pas essayer de comprendre les âmes : nous garderons l'illusion que
toutes les pierres sont belles, toutes les pensées, sincères. Nous n'aurons pas
de joie mais nous aurons plus de sagesse, moins de souffrance. »
Derrière cette recherche d’idéal se
profile une posture assez rigide. Sans qu’on s’y réfère directement, la morale catholique rampe en sourdine.
Cette quête du bien ne va pas sans abnégation, sans une certaine souffrance très
judéo-chrétienne : « Les heures du temps s'inscrivent, en apparence
d'une façon uniforme; selon que notre cœur les vit, il faudrait une horloge
merveilleuse avec, des chiffres d'or ou
de feu, où le pendule saurait résister
à la fuite irrégulière des minutes qui prolongent dans la détresse ou
s'affolent dans la gaieté. / Ne vaudrait-il pas mieux, plutôt, régler les
mouvements de notre cœur au mouvement lent et régulier du petit pendule que,
tous les jours nous avons sous les yeux. Ce serait peut-être là, la vie sereine
et sage, sans emportement, sans exaltation, sans amour, sans douleur. »
Comme le titre l’indique, Yvonne
Charrette a le souci de nuancer le propos et cela se traduit par une certaine
tolérance. L’auteure essaie de démonter les rouages de comportements qu’elle
juge «déviants» sans pour autant tomber dans les condamnations.
Extrait : Lâcheté
II y a une lâcheté manifeste que
le monde, méprise et flagelle; il en est une autre qu'il ignore. Cette
dernière, dans le silence, agit en chacun de nous, se constitue dans l'ombre la
norme de nos résolutions et de nos actes. Elle ne cause pas de retentissantes
trahisons, mais elle découvre mille excuses, mille raisons pour diminuer notre
force d'endurance, attiédir notre courage et nous enliser dans l'indifférence
qui se garde de tous risques : risques de souffrance, risques de bonheur.
Si quelqu'un ose l'appeler par
son nom, révéler qu'elle nous détourne d'un grand nombre de bonnes actions et
nous retient de soulager les maux par la crainte d'en subir la vue, qu'elle
nous fait fuir même les décisions nécessaires à la direction de notre vie, nous
nions. .. Qui nous fait cependant redouter l'examen de conscience, éviter de
donner à chaque défaut son appellation réelle et d'appeler faiblesse ce qui est
faiblesse, lâcheté ce qui est lâcheté ?
Elle nous fait nous trahir
nous-mêmes; elle nourrit de tristes
et coupables négligences, atrophie notre volonté, nous
fait faillir à nos légitimes ambitions et manquer à notre idéal. À notre
insu, pendant longtemps,
elle peut dominer impérieusement
notre vie. Et peut-être nous
réveillerons-nous trop tard; trop tard verrons-nous que nous n'aimions pas
assez, que nous ne luttions pas, que nous ne vivions pas. Cette lâcheté qui
nous fait trahir les autres et nous-mêmes
est-elle moins honteuse,
moins méprisable que l'autre,
parce que le
monde l'ignore ? (p. 74-75)
Marie-Claire
Daveluy sur Nuances
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Voilà une billettiste qui jusqu’ici m’avait échappée. Après les romans et les contes, et la poésie, quelle bonne idée de consacrer à ces auteurs de billets des billets à votre tour.
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