Faucher de Saint-Maurice, À la brunante, Montréal, Duvernay et Dansereau éditeurs, 1874, 347 p.
Le recueil est dédié à J. A. N. Provencher. Lors d’une rencontre sur les bords de la rivière Chaudière, les deux se sont promis de raconter « sous la dictée du peuple, ces mille et un riens si poétiques qui, lorsque tombe la brunante et s’allonge la veillée, accourent à tire-d’aile hanter les coins du feu de notre cher pays ».
La Femme à l'Aiguille
Alice est volage. Elle a trois amoureux, dont son cousin et voisin Édouard. Il vient de quitter l’armée avec le titre de capitaine des lanciers. Édouard, un peu jaloux, veut forcer sa cousine à révéler ses véritables sentiments. Par lettre, il lui demande sa main. Pour toute réponse, elle coud sur sa lettre le mot « non ». Fou de douleur, il veut mourir. Revenu à la raison, il essaie de l’oublier. Arrive ce qui devait arriver : Alice se rend compte qu’Édouard lui manque. Quelques mois plus tard, le hasard faisant bien les choses, ils se rencontrent. Alice lui fait comprendre que ses sentiments à son égard ont changé. Ils se marient et son amoureux lui offre une aiguille d’or, gage de fidélité. Saint-Maurice révèle que cette « femme à l’aiguille » était sa grand-mère.
Le baiser d'une morte
Histoire de revenant. Édouard vit avec sa mère jusqu’à ce qu’il s’éprenne d’Ursule Trépanier. Sa mère s’oppose à leur mariage. Les deux amoureux s’enfuient et se marient. Sa mère coupe tout lien avec eux. Plusieurs années plus tard, Édouard apprend qu’elle est morte et qu’il hérite de tous ses biens. Un soir, un revenant surgit chez lui, embrasse leur enfant et s'en retourne. Il reconnaît sa mère. Le manège se répète toutes les nuits. Pour que sa mère repose en paix, il promet à Dieu que son enfant deviendra prêtre.
Belle aux cheveux blonds
15 septembre 1862. Rose est la plus jolie fille des environs. Elle vient de terminer ses études, tout comme Jules d’ailleurs, son voisin et amoureux. Ce qui les empêche de se marier, c’est que Jules n’arrive pas à choisir une profession qui leur permettrait de bien vivre. Le père de Rose est si fier de sa fille qu'il organise un grand bal pour que toute la paroisse puisse l’admirer. La jeune fille règne sur la fête. Pourtant, avant la fin de la soirée, elle se retire, ressentant un malaise. Jules s’en retourne chez lui, mais remarque que la lumière ne s’éteint pas dans la chambre de sa bien-aimée. Quand il voit passer le prêtre, il accourt et la découvre mourante. Le médecin étant occupé ailleurs, la jeune fille meurt d’une « angine couenneuse ». Pour honorer la mémoire de Rose, Jules décide de se consacrer à la médecine. Nous le retrouvons six mois plus tard avec ses copains, Ceux-ci fréquentent de temps à autre les cimetières et ramènent des cadavres pour leurs expériences. Ce jour-là, c’est le cadavre de Rose qu’il ramène. À sa vue, notre « pauvre » Jules perd connaissance et sombre dans la folie.
Le père Michel
Michel travaillait avec son oncle au moulin à farine de Beaumont. Il était amoureux de Marguerite, la fille adoptive de ce dernier. Quand survient la guerre de 1812, il est conscrit. Après son entraînement à Québec, il participe à la victoire de Salaberry à Chateauguay. L’hiver suivant, il demeure à Montréal car les Américains, malgré leur défaite, n’ont pas abandonné la partie. Au printemps, il participe et est blessé à la bataille d’Oddeltown. Après quelques mois de traitement, il est démobilisé et, n’ayant pas eu de nouvelles de Beaumont depuis quatre mois, il s’empresse de rentrer chez lui. À l’approche du village, il rencontre un jeune garçon qui lui apprend que son oncle est mort et que Marguerite est mariée.
Le feu des Roussi
« Il est bon de vous dire que le petit Cyprien Roussi n’avait pas fait ses Pâques depuis six ans et onze mois. » Cyprien risque d’être transformé en loup-garou ! Fatigué de courir la prétentaine, il se décide à aller conter fleurette à une jeune modiste en visite chez un oncle de Beauport. Celle-ci, connaissant sa réputation de noceur, lui sert tout un sermon sur son mauvais comportement. Cyprien change du tout au tout, communie et promet à la jeune fille de rester sobre toute sa vie si elle l’épouse. Ils déménagent à Paspébiac. Cyprien travaille pour les Robin. Quinze ans de bonheur tranquille. Le malheur finit par frapper. La belle Marie meurt ébouillantée. Avant de mourir, Cyprien lui réitère sa promesse. Un de ses anciens amis noceurs débarque à Paspébiac. Il essaie sans succès d’entraîner Cyprien dans son ancien vice. Lors d’une excursion de pêche, Cyprien, son fils et son ami sont victimes d’une violente tempête. Son ami l’encourage à boire un peu pour se réchauffer. Cyprien finit par céder. Mal lui en prend, car le bateau chavire et il se noie avec son fils. Depuis ce temps, à « mi-distance entre Caraquet et Paspébiac », on aperçoit « une flamme bleuâtre courir sur la baie » . Ce sont les Roussi qui demandent des prières pour leur âme.
Le fantôme de la Roche
On est en 1764. Le capitaine Frazer, qui a fait partie de l’armée de Montgomery, a épousé une Canadienne française et opère un magasin sur la rue Notre-Dame à Montréal. Avant de partir pour les pays d’en-haut, Martial Dubé, un voyageur à qui Frazer a épargné la vie pendant la guerre de 1760, demande de lui faire crédit, ce que Frazer ne fait jamais. Il se laisse pourtant attendrir. Quelques jours plus tard, alors qu’il s’apprête à se coucher, lui apparaît le fantôme de Dubé qui vient de mourir. Il lui promet de payer sa dette. Quinze ans passent et Frazer vit maintenant à Beaumont dans un beau manoir. Un jour, sur une roche, le fantôme de Dubé lui apparaît : il vient l’avertir qu’il va mourir dans la nuit. Frazer réunit sa famille et ses ouvriers, leur fait ses adieux, fait venir le curé et attend la mort.
Mon ami Jean
Julie et Jean s’aiment depuis leur tendre enfance. Après ses études, Jean épouse Julie et ils reprennent la terre paternelle, déjà lourdement hypothéquée. Trois ans passent et c’est la faillite. Jean, sa femme et leurs deux enfants émigrent aux États-Unis. Là, en plus de vivre dans l’indigence la plus totale, ils meurent les uns après autres.
L'amiral du Brouillard
Deux matelots, à la recherche d’un trésor sur l’Île-aux-Œufs, discutent du naufrage d’une grande partie de la flotte de Walker venue attaquer Québec. Walker aurait été trompé par un certain capitaine Paradis qu’il avait fait prisonnier et contraint à l’amener à bon port. La fiancée de Walker se trouvait sur l’un des navires qui a fait naufrage. On dit que l’amiral continue de hanter les battures de l’Île-aux-Œufs par jour de grands brouillards. (lire l’extrait)
Madeleine Bouvart
On est en 1775. Arnold et Montgomery sont aux portes de Québec, attendant le moment propice pour porter l’attaque décisive. Comme d’autres bourgeois, Madeleine Bouvart continue de quitter les murs et d’aller faire étalage de ses richesses sur le chemin de Cap-Rouge, malgré la présence des soldats ennemis. Carleton, craignant une trahison, lui interdit l’entrée de la ville. Humiliée, elle fréquente les Bostonnais. Ayant appris que c’est Montgomery lui-même qui a ordonné la mort de son père et de son frère (en 1760), elle décide de se venger. Elle espionne, découvre le plan d’attaque des Américains, rentre à Québec pour en avertir Carleton. Elle est tuée lors de la bataille qui s’ensuit. On retrouve son corps près de celui de Montgomery.
Dodo! l'enfant!
La grand-mère du narrateur égaye la vie de son petit-fils Charles qui a une santé fragile. Le narrateur va rencontrer le pape et rapporte un chapelet à la grand-mère. Celle-ci pense qu’il peut avoir des vertus miraculeuses. La grand-mère meurt, et malgré sa peine, le petit Charles trouve dans cette mort une force qui l’aide à affronter la sienne.
À la veillée
Jérôme Tanguay était né pour « faire un monsieur ». Il a fait différents métiers, travaillant juste assez pour vivre. Trois fois par année, il organise chez lui des soirées. L'auteur décrit l'une de ces veillées. Après des danses et des chansons, deux conteurs, Bidou et Jean Bart, s’affrontent pour ainsi dire à coups d’histoires plus « énormes » les unes que les autres. La soirée est arrosée de whisky. D’autres histoires, des légendes, d’autres chansons viennent clore la veillée.
Les Blessures de la Vie
Le narrateur, lors d’une soirée, promet de capter l’attention des convives en leur offrant un « récit bien simple, un récit naïf, une histoire de tous les jours ». Il leur raconte la vie mélodramatique de Paul Arnaud. Devenu orphelin, il a essayé d’étudier tout en prenant soin de sa sœur. En raison de son intégrité et de sa fierté ombrageuse, il a subi toutes les rebuffades sociales. Sa sœur adorée, à qui il avait consacré sa vie, meurt. Un peu plus tard, il meurt lui aussi dans l’indigence la plus totale. Bref toute une vie de malheurs.
Faucher de Saint-Maurice - BAnQ |
Extrait
Debout sur son banc de quart, l'oreille et l'œil au guet, il cherchait à interroger ce vague gris qui absorbait l'horizon.
Peut-être songeait-il à l'anglais, lorsque tout-à-coup il entrevit la silhouette d'un vaisseau. Puis ils furent deux, puis huit, puis vingt qui s'avançaient à travers l'impénétrable banc de brume.
Le père Paradis croyait rêver, et pourtant c'est horrible à dire; mais il n'y avait pas à douter, c'était L’Edgar qui glissait silencieusement sur le flot, suivi de son convoi. À mesure qu'ils filaient, le brouillard semblait suivre leur sillage, et bientôt, à l'exception de L’Edgar et de quelques autres, tous doublèrent la Pointe-aux-Anglais, entrèrent dans la passe et allèrent s'évanouir sur les récifs de l'Île-aux-Œufs.
C'était Walker.
Depuis, chaque fois que sur le golfe la brume s'étend froide et serrée, l'amiral du brouillard revient croiser en ces parages.
Il s'en va baiser au front sa blanche fiancée, et derrière lui voguent les vaisseaux surpris par la brume dans ces endroits désolés.
Sans que les matelots le sachent, il les entraîne à sa suite, — et chaque année, les nombreux et terribles naufragés de l'Île-aux-Œufs et de ses environs te montrent, Louison, que le triste cortège ne fait jamais défaut à celui qui, honteux de son entreprise sacrilège contre notre pays, n'aime plus à voguer maintenant que dans le silence et par les ténèbres. (p. 188-189)
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