4 septembre 2007

Le Chercheur de trésors

Philippe Aubert de Gaspé (fils), Le Chercheur de trésors ou L’Influence d’un livre, Québec, Léger Brousseau, 1878, 166 p. (1re édition : Québec, William Cowan et fils, 1837).

C'est le premier roman canadien et l'auteur, le fils de Philippe Aubert de Gaspé, n'a que 23 ans au moment de la publication. Il décèdera en 1841 à l'âge de 27 ans. On pense que le chapitre cinq - un personnage raconte la légende de Rose Latulippe - a été écrit ou largement inspiré par le père de l’auteur.

La version de 1878, celle que je présente, a été expurgée par l’abbé Casgrain quand il en a donné une nouvelle version en 1864 dans La Littérature canadienne de 1850 à 1860.  Entre autres, tout ce qui touchait à la morale de près ou de loin a été modifié ou rayé. Et Casgrain a même changé le titre :  L’influence d’un livre est devenu Le Chercheur de Trésors ou L'influence d'un livre. 

Saint-Jean-Port-Joli, 182… Aubert de Gaspé fils raconte principalement l’histoire d’un alchimiste, Charles Amand, ses tentatives infructueuses de trouver la pierre philosophale. C'est un homme naïf qui souffre de monomanie et qui, le plus souvent, est la risée de son entourage. Il croit que des livres, comme Le Petit Albert, contiennent de terribles secrets que les gens instruits cachent au pauvre type comme lui. Il va donc faire quelques tentatives de changer en or différents métaux, tantôt par des conjurations, tantôt en faisant appel à des objets supposément magiques. Par exemple, il croit que des chandelles de suif de pendu peuvent, à l’image du coudre du sourcier, pointer l’endroit où se cache un trésor, ou encore qu’une main-de-gloire (main de pendu) permet de pénétrer où l’on veut. Il va donc se procurer l’une et l’autre, chez des étudiants en médecine, rue de l’Arsenal à Québec. Sur le chemin de retour vers Port-Joli, il traverse le fleuve jusqu’à Baie-Saint-Paul, parce qu’il s’y trouve une grotte qui contiendrait des trésors. Il est berné par deux étudiants qui s’amusent à ses dépens, il  affronte une vilaine tempête au retour, chavire et est embarqué par une goélette qui l’emmène à Anticosti. Il y reste cinq ans, trouve par hasard un petit trésor, revient chez lui juste à temps pour assister au mariage de sa fille Amélie avec Saint-Céran, le héros romantique de cette histoire. Il finit sa vie en cherchant toujours et en vain la pierre philosophale (voir l’extrait).

Cette intrigue principale est entrecoupée de textes de chanson, de poèmes, et surtout d’un conte, celui de Rose Latulippe. Beaucoup d’autres histoires secondaires – celle du meurtrier Mareuil, celle de Rodrigue Bras-de-Fer, celle du pirate Clenricard – viennent aussi interrompre le récit.

Que dire de ce premier roman du Canada français? D’un point de vue purement narratologique, le roman présente certaines lacunes, dont celle d’utiliser des intrigues dilatoires sans lien avec l’intrigue principale. Comme certains critiques l’ont noté, l’enchaînement entre les différents épisodes laisse souvent à désirer.

Ce que j’aime bien dans ce roman, c’est le ton. Il y a un joyeux mélange des genres. Il ne faut pas se leurrer, le romancier ne se prend pas trop au sérieux. Il s’adresse continuellement aux lecteurs, dénigrant – un sourire en coin il me semble - sa technique romanesque bien inférieure à celle de tous ces « grands » auteurs que ses lecteurs ont l’habitude de lire! Ainsi au début de la préface : « Ceux qui liront cet ouvrage, le cours de Littérature de Laharpe à la main…seront bien trompés. » Ou encore, toujours dans la préface, cette fausse modestie et un certain persiflage, il me semble : « J'offre à mon pays le premier roman de mœurs canadien, et en le présentant à mes compatriotes je réclame leur indulgence à ce titre. Les mœurs pures de nos campagnes sont une vaste mine à exploiter […] Le Canada, pays vierge, encore dans son enfance, n'offre aucun de ces grands caractères marqués, qui ont fourni un champ si vaste au génie des romanciers de la vieille Europe. Il a donc fallu me contenter de peindre des hommes tels qu'ils se rencontrent dans la vie usuelle. » Si Charles Armand, Mareuil, l’homme du Labrador, Rose Latulippe et quelques autres sont des personnages de la « vie usuelle » et si cette histoire ne raconte que les « mœurs pures de nos campagnes », quelle vie extraordinaire devait être celle de nos ancêtres !

Ce ton, on le retrouve tout au long, comme en fait foi cette adresse aux jeunes lectrices avant de clore l’histoire d’amour : « Tiens, dira la jeune fille en arrivant aux dernières pages de cet ouvrage, ils vont le marier, et ils n’ont seulement pas eu un petit refroidissement ; c'est drôle. » Ou encore ce conseil, toujours pour ses jeunes lectrices qui veulent garantir la pérennité de leurs amours : « elles n’ont qu’à voir leurs galants tous les six mois, et pour deux ou trois jours seulement. » Mêmes ses personnages, il ne les prend pas au sérieux, caricaturant l’alchimiste Charles Armand, le capitaine pirate, les étudiants en médecine (ils volent les organes des trépassés) ou encore les amours du jeune noble et de la jeune campagnarde, caricaturant pour tout dire les excès de la littérature romantique de son époque. Rien ne résiste à sa plume : tantôt il dénigre l’ignorance crasse des campagnards, tantôt l’arrivisme de la classe supérieure qui fréquente les bals. ****

Lire l'édition originale



Extrait (dernier chapitre)
L'épouse d'Amand, dont nous n'avons fait nulle mention dans le cours de cet ouvrage, parce qu'elle ne prit aucune part aux événements que nous avons décrits, mourut peu de temps après le mariage d'Amélie.

Amand se trouva donc seul dans le monde. Semblable à l'étudiant ambitieux de Bulwer, il aurait pu s'enfermer dans son cabinet, méditer sur les poètes, et regarder avec tristesse le soleil levant ; mais lui, il n'avait pas de cabinet ni de fenêtres « Aux longs panneaux de soie » ; aussi se livra-t-il à ses éludes alchimiques, près de l’âtre de l'humble chaumière où nous l'avons trouvé en commençant cette histoire, et où il mourra probablement ; car, voyez-vous, son âme à lui, c'est dans ce foyer. Ne l'accusez pas de folie, au moins dans cela, car le foyer c'est le royaume des illusions, c'est la source des rêves de bonheur. Vous tous, nés au sein de l'aisance, ne faites-vous pas consister une partie des délices de la vie à être couchés près d'un feu pétillant, en vous reposant de ce que vous appelez les fatigues de la journée ? N'est-ce pas parmi ces brasiers, aux images fantastiques, que votre imagination cherche une autre existence qui puisse vous dédommager d'un monde où vous ne trouvez que des intérêts plus vils les uns que les autres, et qui s'entrechoquent sans cesse ? N'est-ce pas près du foyer que la jeune Canadienne, que l'éducation n'a pas encore perfectionnée, se demande si parmi cette foule d'hommes élégants qui l'entourent, elle ne trouvera pas une âme poétique, dont les cordes vibrent à l'unisson de la sienne ? Enfin, n'est-ce pas le temple du souvenir? Eh bien ! lui, s'il n'a pas une de ces magnifiques grilles qui décorent nos salons ennuyeux, il peut néanmoins savourer la même jouissance ; car c'est en contemplant un métal brillant qui reluit au fond d'un creuset, entouré de quelques petits charbons ardents, qu'il cherche à jeter dans l'oubli toute l'amertume de l'existence.

Amand se livra donc entièrement à l'étude des merveilles de la nature, dont Saint-Céran lui avait donné la clef, à ce qu'il disait ; et, s'il perdit le goût de faire des conjurations, cela ne l'empêchait pas soit qu'il se trouvât la nuit dans un bois, ou sur le rivage, de s'entretenir souvent avec quelques gnomes solitaires (qu'il décorait du nom pompeux de gagnomes), cachés dans quelques taillis ou gémissant sur quelques rochers que la marée montante allait ensevelir : c'était les seules distractions qu'il se permettait, et encore assurait-il que c'était purement par accident qu'il rencontrait ces esprits infortunés. (p. 160-163)


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