1 mai 2015

Les Temples effondrés

Yves Préfontaine, Les Temples effondrés, Montréal, Orphée, 1957, 77 pages.

« Vertige carnivore des mondes / J’érige l’angoisse de mon geste / Et je roule en fleuve de râles ».

C’est la première strophe du recueil. Déjà on constate une vision hyperbolique du désastre, l’écroulement du « je » et un choix de mots qui  frappent fort.

« Dispersant le visage des rives / J’invente les murs et je détruis / Et j’éclate au tréfonds des silences ».

Ce désastre, n’a-t-il pas lui-même contribué à l’ériger? Pour autant, pas question de crouler au pied du mur. La réaction est à la hauteur du mal : brutale.

« Au bout de mon cri que j’égorge / Crépuscule broyé spasme vain / Du gris incendié de ma paume /  — Je foudroie les temples et je marche ».

Contrairement à ce qu’on lit souvent dans la poésie de l’époque, on pressent le désir de se colleter avec son  malheur, de se battre (« détruis, éclate, foudroie, marche ») quitte à se faire mal.

Ce premier poème résume assez bien le recueil. La plupart des poèmes ont beaucoup d’amplitude, les vers sont longs, chargés d’adjectifs et de mots rares, les verbes sont très porteurs de sens : « Ravins d’éclats d’où jaillissent les orgies / De pierre et de sang dans la crudité des plages / Masques de murailles crucifiées en brouillard / Que parcourt l’ombre des dieux égorgés / Le chant du roc inonde les mers et je nage ».

Le titre pourrait laisser penser que le recueil a un caractère religieux. Ce n’est nullement le cas. Je n’y vois pas non plus de message social en prise directe sur la réalité d’ici. Le poète constate l’échec d’une civilisation et souhaite l’avènement d’un monde nouveau : « Vibrent et grondent les mers dans le geste des mondes / Éparpillant l’atroce pureté du songe premier / Et crèvent dans les mains nues les joyaux perpétués et vides ». Même l’amour semble être vécu comme une noyade : « Le gouffre où je nage crève dans le tumulte / Comme ton voile pourpre à la source du sang ». Ou : « Et les pluies du sang tracent le signe / D’un chant perdu parmi les cosmes / Et les larmes s’écroulent devant le mur / Que forge une chair au sourire de pieuvre ».

C’est en utilisant les éléments telluriques (eau, terre, feu) et des symboles qui ont trait au cosmos (dieux, foudre, constellation, étoile, ténèbres) et à l’archéologie (temple, arche, pilier, pierre sacrale, idole, stèle, ruine) que Préfontaine décrit ses « temples effondrés : « O les temples — les temples que je détruis / A chaque pas de néant sur chacun de mes cils / Les temples que je mords à chacun de mes cris / O les arches culbutées comme des songes / Dans les fanges sinistres des âges lourds ».

Derrière cette tempête verbale, se tient un individu qui se bat contre ses démons, coincé dans un monde étriqué, et qui rage de ne pouvoir tout détruire. Il y a quelque chose de l’adolescence (certains poèmes sont datés de 1954) dans Les Temples effondrés : un manque de retenue. On peut comprendre cette colère, si on se reporte à l’époque. Dans la copie que je possède, celle de Jean-Charles Falardeau, Préfontaine écrit dans une dédicace datée de 1964 : « ces poèmes presque affreux où l’on quêtait, malgré tout, un maître-mot qui n’est que mythe, la vibration de formes vierges ».

En 1957, en plus des Temples effondrés, il a fait paraître Boréal, proses poétiques que je ne connais pas. Je n’avais lu de Préfontaine que son magnifique Pays sans parole (1967).

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