22 mai 2015

Cherche tes mots, cherche tes pas


Roch Carrier, Cherche tes mots, cherche tes pas, Montréal, Éditions Nocturne, 1958, n.p.

Cherche tes mots, cherche tes pas est le deuxième recueil de Carrier. Il avait déjà publié aux éditions Nocturne Les Jeux incompris en 1956. Le recueil compte 14 poèmes : six dans « Cherche tes mots », sept dans  « Cherche tes pas » et un qui sert de préface. 

Comment lire le titre? Est-ce que le poète s’adresse à lui-même, à son lecteur ou reprend-il de façon ironique un « conseil » qu’on lui a donné?  Est-ce une invitation, un appel au dépassement ou une rebuffade?

Dans le poème-préface, toujours en mode impératif, le sujet se compare à un corps violé, à un ballon que des figures bibliques négatives (Hérode, Ponce Pilate) malmènent.  Il y parle de la solitude humaine.

Cherche tes mots
Il y a dans ce recueil un mélange entre le thème de l’absurde et celui du pays. On rencontre des personnages (il y en a beaucoup) qui ne savent pas trop ce qu’ils font et qui semblent peu s’en soucier. « Prosternons-nous devant l’humanité  / A quatre pattes / Une clouée sur chaque point cardinal. » Ces êtres vides s’activent dans un monde mou, sans consistance : « Ce pays ressemble à un jeu de blocs effondré ou que l’on va  construire / C’est un pays où l’on prie le bon Dieu pour le soleil et les oiseaux pour les têtes ». Non seulement les humains n’ont pas de prise sur leur réel, mais ils sont entraînés dans un engrenage qui broie leur singularité : « Il y a des vieux il y a leurs fils / Leurs fils ont la même peau que l’univers / Ils sèment les villes comme ils ont vu semer le blé / Pendant que leurs frères pétris par la machine aux longs / doigts deviennent des pains savoureux. »

 Cherche tes pas
La seconde partie reprend où la première nous a laissés : « Tant d’hommes et moi dans un pays si lointain qu’on n’y a jamais habité / Tant d’hommes et moi plantés dans leur mission de tenir une planche de la baraque ». Le ton devient plus cassant, le sujet se projette dans un avenir problématique : « Le feu bientôt recouvrera la chaleur cordiale / Envenimée dans les orgies la haine ». Le pays devient plus concret, la critique politique affleure : « Les chefs de gouvernements font des mots croisés sur la planète / Sans jamais trouver le mot qui va / verticalement et horizontalement ». La révolte a de la difficulté à s’exprimer : « Si t’as envie de mordre / Gruge ta niche / Ou tâche d’avaler tes canines, ma chienne ma vie ». Le titre des deux derniers poèmes (« Les conquérants » et « Le beau voyage ») donne aussi dans l’ironie : conquérants, l’avons-nous jamais été? « Le chemin aux cercles du rouet se dévidait / Les mères ne se rappelaient jamais si l’armoire / Était du passé ou de la laine ». Je cite aussi les deux derniers vers du recueil : « Je ne pourrai jamais me tailler des semelles dans ce mauvais cuir. / Des souvenirs. » Vous l’aurez compris, le « beau voyage » n’aura pas lieu.

Dans Cherche tes mots cherche tes pas, Carrier reprend un peu les thèmes en vigueur à son époque, mais il me semble qu’il nous emmène plus loin même si, ironiquement, le dernier poème du recueil nous dit le contraire. 

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