26 juin 2014

Petits Poèmes domestiques

Alberte Langlais-Campagna, Petits Poèmes domestiques, Montréal, L'Institut familial, Éditions Fides, 1942, 219 p. (Préface de Richard Thivierge o.f.m. et 36 photos hors-texte de Ric)

En préface, Richard Thivierge nous avertit que « Petits poèmes domestiques nous racontent ingénument le bonheur d’une famille heureuse, et quelle famille!… »  Et il précise que  « l’auteur est une maman, mais quelle maman !...» et que cette mère « d’enfants adoptifs nous chante le bonheur d’un rêve conquis sur le désert et l’égoïsme d’une existence bourgeoise ». Enfin, Thivierge recommande le recueil à  « toutes les mamans,  – et  sont-elles si rares ? – qui voient dans leurs enfants un fardeau trop lourd pour leurs épaules de femmes modernes ». 

En lisant le poème liminaire, on pense tout de suite à un bonheur d’occasion : « J’aurais voulu devenir une étoile! / faire du théâtre; vivre des vies /  qui n’étaient pas la mienne » […] D’ingénieux et très heureux détours / m’ont amené à livrer mes ailes /…/ sur la scène de la vie ». Pourtant, rien de tel ne subsiste dans la suite : ce recueil est une hymne aux enfants, et peut-être encore plus une défense de l’enfant adopté.

C’est l’histoire bien réelle de sa famille qu’Alberte Langlais-Campagna raconte dans ce recueil. Rien n’est caché, ni les noms, ni le lieu : « Face à la mouvante Baie des Chaleurs / … / il est une maison blanche ». Plus globalement, une réalité bien disparue revit dans cette poésie : celle des crèches, des enfants adoptés.

La conquête d’un rêve
L’auteure raconte la visite à l’orphelinat, l’arrivée de l’orphelin ébloui par son nouveau milieu, lui qui n’est jamais sorti de sa crèche. Louis vient en premier : « Tu étais malade, frêle et chétif, / tes jambes refusaient de te porter ». Suit Dominique : « Nous sommes allés chercher Dominique / parce que, dans la maison, ça faisait triste / de ne plus avoir de bébé ». La troisième  s’appellera Michelle et le petit dernier, du même âge que Louis, Jean.

Paradis caché
La vie va, faite d’émerveillements et de joies, émerveillements des enfants devant la nature et joies des parents de constater que les petits sont heureux. De la fête de Noël à celle des enfants, de mots tendres en gestes amoureux : « Dans leurs petits lits clos, / leurs paupières se ferment… / la paix se fige / sur les frimousses roses »

Dans le sentier de la sagesse
Ce sentier de la sagesse commence par l’imitation de la grand-mère, du père médecin. La sagesse vient avec l’éducation que promulguent les parents puisqu’ils « savent ce qui est bon pour notre santé / physique et morale… »

Vie montante
« Après de longues années d’attente vaine, nous voici riches de quatre plantes acquises, / qui ne manqueront plus jamais de sève, / ni d’eau, ni d’air, ni de lumière, / ni de ces petits soins qui aident à fleurir. » La mère se demande ce qu’il faut donner aux enfants pour qu’ils soient prêts à affronter la vie. Sa pensée est teintée de principes évangéliques : la générosité, l’humilité, mais aussi l’obéissance, la douceur. « C’est l’apanage de la sagesse / de se créer une personnalité / intérieure, morale et physique, une personnalité capable d’enrichir les autres, / capable aussi de se suffire à soi-même. »

Les yeux qui s’ouvrent
Vient un temps où il faut expliquer aux enfants qu’ils sont des « enfants d’adoption ». Plus encore, il faut convaincre les gens qu’ils ne sont pas moins aimés que les enfants biologiques. Et surtout, il faut combattre les préjugés (des enfants de filles-mères !) qui collent aux orphelins. « Comment voudriez-vous / que nous soyons plus sûrs / de nos enfants, que vous autres / de ceux que vous avez… choisis? » Et les « adoptés » doivent s’imposer quitte à brandir le poing.

L`humour qui s’ignore
Cette partie recoupe un peu toutes les autres : mots d’enfants drôles ou songés, petites déceptions, raisonnements loufoques, jeux, promenades, facéties, découvertes.

Épilogue
« Vivre, c’est battre de l’aile / et s’envoler vers le pays du soleil » Comme on peut le constater dans les extraits, il y a bien peu de poésie dans ces textes. Cela aurait pu tout aussi bien être un « livre de famille ». L’auteure découpe sa prose en vers, souvent de façon assez arbitraire. On sent quand même derrière ces textes une femme aimante, une mère qui défend ses enfants becs et ongles contre les préjugés de l’époque.

20 juin 2014

La Mer qui meurt

Lionel Boisseau, La Mer qui meurt, Montréal, Éditions du Zodiaque & Librairie Déom Frère, 1939, 208 p. (Préface de Marie Le Franc)

La longue préface (56 pages!) de Marie Le Franc est la reprise d'une conférence prononcée devant L'Alliance Française à Montréal.
Le récit se passe à Grande-Anse et met en scène la famille de Jacques Couture. Le père est pêcheur (et un peu agriculteur) et le meilleur constructeur de barges des environs.
Le roman est divisé en deux parties. Dans la première, l'auteur présente une série d'événements plus ou moins rattachés entre eux. On est plus près de la chronique (et même du documentaire) que du roman. Il n'y a pas d'intrigue. Par exemple, dans le chapitre 2, l'auteur raconte avec un brin de cynisme les déboires d'un chimiste venu de Montréal avec l'intention de fonder une usine. Tout ce qu’il laissera à la région, ce sont des travailleurs non rémunérés. Le père Couture nous laisse comprendre que ce n’est pas la première fois qu’un tel scénario se produit. Dans le chapitre suivant, Georges, le fils ainé des Couture, est surpris en train de braconner du saumon dans une rivière qui appartient aux Américains. Ici aussi, le message de Boisseau est très clair : « Le vol des rivières à saumon, c'est une autre page navrante de l'histoire de la Gaspésie. » Un autre chapitre porte sur les élections. Le père Couture n’est pas tendre à l’égard du député sortant : « C'est avec des maudits farceurs comme ça que la Gaspésie s'en va au diable. » Bref, tous ces petits chapitres, plus ou moins liés à la famille Couture, n'ont qu'un but : dénoncer l'exploitation dont sont victimes les Gaspésiens, dépossédés de leur coin de pays, travaillant à la solde de leurs maîtres anglais (Les Robin sont mentionnés une fois dans le roman). L'auteur décrit leur pauvreté, la misère, leur mentalité de colonisé et la déchéance physique et morale qui en découle. « La race gaspésienne blessée, honnie, persécutée scientifiquement et méthodiquement par les orangistes et les loges maçonniques, par la veulerie des lâches, des traîtres, elle criait dans ses colonies nouvelles par sa ténacité, sa volonté de survivre, de perpétuer le verbe de France et la religion de Rome. »
La deuxième partie met en scène Louis, le second fils des Couture. Grâce aux œuvres sacerdotales, il a pu étudier au Séminaire de Gaspé. Malheureusement, avant d'entamer ses dernières années, il est atteint de tuberculose. On l'envoie dans un sanatorium à Laval où pour passer le temps il tient un journal. Il parle peu des soins qu’on lui prodigue. Lui qui rêvait de participer au relèvement de la Gaspésie, il dénonce avec beaucoup de vigueur le système qui maintient les Gaspésiens dans leur aliénation. En quelque sorte, cette deuxième partie vient développer ce qui était annoncé dans la première. (lire l’extrait)
Techniquement, le roman n'est pas très réussi. Il manque d'unité dans la construction et la mise en scène romanesque est déficiente. L’auteur décrit bien le milieu de la pêche et on retient son plaidoyer, moins bien présenté, mais plus dur que celui de Félix-Antoine Savard dans Menaud maître-draveur,  paru deux ans plus tôt.
Et pour finir, le 400e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier fait l’objet d’un chapitre et on rencontre à la page 179 le verbe « se bonjourer ».

Extrait
Combien de fois je me suis vu à la tête d'une paroisse quelque part, heureux dans la solitude de mon presbytère modeste, disant à pas lents les louanges du Seigneur, visitant des vieux, des vieilles cassées, édentées, causant avec tous, leur donnant des conseils, pour faire de ces paroissiens non plus des esclaves courbés sous le péché ou sous la férule d'étrangers sans foi ni conscience, mais des hommes libres, indépendants, honnêtes -- rouage précieux dans le mécanisme national, intelligences capables de produire et de grandir, après l'enlèvement des scories que certains se plaisent à laisser.

Je me suis vu encore ornant l'autel de fleurs rustiques ou domestiques, dispensant à tous une parole vivante à des vivants et pour les faire vivre davantage; me plaisant dans un sanctuaire propret, liturgique, près d'un Christ immense et artistique.

J'ai désiré une bibliothèque paroissiale pour répandre dans le peuple les richesses du génie latin et modérer son ardeur à lire les images et les annonces de magasins.

J'avais de plus songé à grouper en une puissante association, vivante encore celle-là, tous les jeunes pour les orienter vers la mer, ses industries et ses métiers. Les grouper pour occuper les loisirs qui se perdent en rabâchages politiques ou grivois aussi vides de dignité que de résultats. Réunir la jeunesse pour développer par des exercices de gymnastique ce physique difforme par lequel on peut discerner entre dix passants le Canadien à sa mine de chien battu ou de bourgeois ventripotent. (p. 163-165)

Autres romans sur la Gaspésie
Le Dernier voyage d'Eric Cecil Morris
Pêcheurs de Gaspésie de Marie Le Franc
Rédemption de Rodolphe Girard
L'Ampoule d'or de Léo-Paul Desrosiers

13 juin 2014

Mon cœur et mes chansons

Janette Bertrand, Mon cœur et mes chansons, Montréal, Pascal, 1946, 92 pages.

L’épigraphe va ainsi : « L’amour, c’est beaucoup plus que l’amour. Comment démêler un sentiment si simple ? Il y entre toujours autre chose, l’âme après les sens, l’âge, la douleur… » Jacques Chardonne

Dans Mon cœur et mes chansons, Janette Bertrand choisit de parler d’Amour avec un grand A. Même si de temps à autre, très rarement en fait, l’amour est conçu au sens plus large, le plus souvent il s’agit de sentimentalité, des rêves et des dépits d’une adolescente. On est un peu surpris par cette jeune fille, si avide d’amour qu’elle est prête à accepter n’importe quoi. « Qu’il me déteste! / Mais qu’un sentiment fasse trembler sa lèvre. / Qu’il me batte! / Mais qu’il s’occupe de moi! » Avec Janette, sait-on jamais, ce « je » qui s’exprime avec autant d’impudeur, est-ce vraiment le sien? L’incompréhension des hommes, la peine amoureuse, l’amant cruel auquel elle donne la parole, le sentiment d’abandon, inspirent la poète :


Pourquoi te retiendrais-je
Quand ton désir est ailleurs ?
Pars. Sans me regarder pleurer
Et frémir comme une feuille esseulée.
Pars.
La vie sera belle
Sans  moi, tu sais.
Pars, avant que je te crie la vérité,
Avant que finisse mon hypocrisie,
Et que tu lises dans mes yeux
Cette plainte,
Cette supplication :
Mon amour, ne pars pas !

La poète (ou la jeune fille) finit quand même par prendre une certaine distance :

La vie est-elle si morne, si décevante,
Qu'il faille attendre,
Toujours attendre ?
Tenir le bonheur au bout d'un fil,
Et passer sa vie à tirer sur le fil ?
Le ciel est gris et ennuyeux.
J'attends.
J'attends  quoi ? Tout.
La plénitude, la largesse.

C’est sûr que le tout est mièvre, plein de candeur, et le ton, plus près de la chanson que du poème. On trouve quelques poèmes de forme fixe (chanson, pantoum), une « Berceuse à ma mère » et un « Sourire d’enfant » tout à fait dans l’air du temps.  Et parfois, on rencontre des images surprenantes : « Toute la nuit j’ai lu ; toute la nuit j’ai vécu, / Alors que les vivants, plus que les morts, / Dorment goulûment. »; « Quand le vent savonne le fleuve »; « La rosée humecte le sombre pyjama / Qu’endosse la terre pour dormir ». Elle donne aussi des passages qui, par leur simplicité, ne sont pas dépourvus d’un certain charme : « Et je suis revenue / Avec le goût d’un gâteau / Savouré pleinement, / Et la vision d’un beau soir bleu / Qui m’enveloppait, me tuait. »

11 juin 2014

Refus Global de Borduas


[9 août 1948] 

« On procède à la publication de 400 exemplaires du «Refus global». Ce manifeste, signé par 16 membres du groupe automatiste, dont Paul-Émile Borduas, Claude Gauvreau et Jean-Paul Riopelle, questionne les valeurs traditionnelles et rejette l'immobilisme de la société québécoise. La participation de Borduas au manifeste lui coûtera son emploi à l'École du meuble.

Le «Refus global» comprend neuf textes et plusieurs illustrations signés par Paul-Émile Borduas, Claude Gauvreau , Jean-Paul Riopelle, Bruno Cormier, Françoise Sullivan, Fernand Leduc, Pierre Gauvreau, Claude Gauvreau , Jean-Paul Mousseau, Marcelle Ferron, Madeleine Arbour, Thérèse Leduc, Maurice Perron, Françoise Riopelle, Muriel Guilbault et Louise Renaud. Le manifeste du «Refus global» est l'aboutissement de réflexions, d'échanges et de projets qui ont tenu les automatistes en haleine pendant plusieurs années. Sa parution a l'effet d'un coup de foudre au Québec. Appel à la créativité, au dépassement, ce document se veut aussi une dénonciation de la situation actuelle, notamment du pouvoir de l'Église « Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l'écart de l'évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l'histoire quand l'ignorance complète est impraticable.» Ce passage, et bien d'autres, expliquent le fait que, de façon presque unanime, journaux, revues et hommes d'Église rejetteront le texte.» Bilan du siècle


























4 juin 2014

Mea culpa

Jeannine Lavallée, Mea culpa, Montréal, Éditions Rénovation, 1935, 177 p.

Quel drôle de livre! En fait, on dirait deux livres en un. Le tout commence par ce qui pourrait être les pages d’un journal intime. Plusieurs articles se succèdent, séparés dans le temps. On voit l’auteure en jeune fille, en amoureuse endeuillée par la mort d’un fiancé, en étudiante à la Sorbonne et en touriste dans quelques-unes des capitales européennes. Elle nous raconte ses découvertes, ses amitiés, ses rencontres, ses impressions sur la vie française. Le tout se termine par un émouvant retour au Québec. Cette partie du livre, fort bien écrite, se lit d’une traite.

La seconde partie commence quelque temps après son retour au Canada. À Paris, elle avait tissé des liens avec des « nobles français » sympathiques au Québec. Ensemble, ils avaient fondé un cercle, Horizons français, un organisme voué à faire connaitre l’art canadien-français en France mais aussi à rendre intelligible l’art français au Québec par des conférences, des concerts, etc. Jeanne Lavallée se chargea d’organiser un concert Chopin-Musset. Il semble que le concert reçut une critique favorable, mais fut un échec financier. On en tint Lavallée responsable. Aussi toute la deuxième partie du livre cite, sans taire les noms (Athanase David, le maire de Trois-Rivières), ceux qui se sont acharnés contre elle. Elle présente même un certain nombre de lettres qui témoignent de son action et qui ont pour objet de la réhabiliter auprès du public. En fait, c’est la raison qui l’a emmenée à publier ce livre, comme elle le dit dans l’ « Avertissement de l’auteur » : « Pourquoi une question d’ordre matériel me vaudrait-elle l’opprobre de mes compatriotes. // J’ai écrit ce livre pour m’acquitter d’une dette d’honneur. »

Bref, on aurait pu lire un « petit livre » fort intéressant, si elle avait laissé de côté ses rancœurs et qu’elle avait développé ce sujet en or qu’elle tenait : les aventures et mésaventures d’une jeune Canadienne française, fille de paysan, dans le Paris bouillonnant des années 20. Ce n’était quand même pas banal!

Extrait
L'avenue des Champs-Elysées est toute blanche: aristocrate de longue lignée. Les lustres de cristal qui miroitent au milieu de la verdure et des fleurs, sont autant de bijoux de famille qui la parent dignement.
Paris est une ville merveilleuse ! On visite ses monuments avec passion. L'histoire nous accroche à tout instant.
Chaque époque a laissé là des traces si profondes, qu'une année entière suffirait à peine pour nous pénétrer de tous ces témoignages du passé.
Cette ville, antique et moderne à la fois, possède une intensité de vie qui triomphe du temps. Les merveilles du passé offrent des bases solides, favorables à la création des œuvres de demain. C'est un élan perpétuel vers l'avenir. Dans cette vieille cité naissent les idées les plus modernes. La pensée s'élance tel un feu d'artifice pour retomber ensuite sur l'humanité toute entière.
J'aime Paris, son ambiance et son atmosphère. J'aime cette colline Sainte-Geneviève : carrefour, où l'on rencontre tous les intellectuels du globe qui viennent là, raviver le flambeau qui est en eux.
J'aime les Parisiens, leur esprit, leur gaieté, leur courtoisie raffinée s'alliant à cette noblesse du cœur qui les caractérisent. Pour les comprendre, les admirer et les aimer, il faut vivre leur vie familiale.
Paris nous prend ! Son âme descend en nous et cette communion spirituelle s'empare à jamais de notre être.
Toute la vie,  nous sentirons que nous sommes passés là comme le pèlerin qui, visitant la Mecque revient rasséréné et confiant dans l'avenir.
J'aime Paris qui travaille : son exultation qui fait naître l'artiste et donne un idéal à ceux qui n'espèrent plus.

Paris dépasse la Nation, car nulle part il n'est possible de découvrir une plus extraordinaire puissance d'évocation, de création et d'expression, qu'à ce rendez-vous de l'univers. (p. 43-44)