25 avril 2014

C'est un mauvais garçon

Henri Deyglun, C'est un mauvais garçon, Montréal, Édouard Garand, coll. Le théâtre canadien, 1944, 35 pages.

Le mauvais garçon, c'est Francisco. Il a courtisé Huguette, la forçant même à rompre avec son fiancé, tout en continuant de courir toutes les aventures. C'est un Don Juan cynique, riche, et même sa mère le reconnaît.

Acte I : Chez Marius, un riche homme d’affaires
Marius a invité Paloma (la mère de Francisco), et Huguette dans sa maison de campagne à Rougemont. Sans qu'on l'ait invité, Francisco impose sa présence. Tous lui tombent dessus, exigent qu’ils s’excusent auprès d’Huguette. Il ne trouve rien de mieux que d'essayer de séduire la bonne.

Acte II : Chez Marius, deux mois plus tard
On découvre que Marius est l'amoureux silencieux de Paloma. Mais celle-ci aime un veuf, Ferdinand, qui veut se faire moine. On reparle de Francisco, de ses frasques amoureuses qui se multiplient. Il annonce qu'il viendra les visiter, bon gré mal gré. Huguette le reçoit et lui dit qu'il n'est plus rien pour elle alors qu'il lui déclare son amour. Finalement, Francisco promet à sa mère qu'il va changer.

Acte III : Chez Marius, quatre mois plus tard
Francisco a disparu. Il se contente d'envoyer des lettres en style télégraphique à sa mère. Où est-il? Même Huguette, qui est supposée le haïr, s'en inquiète. Finalement, il vient rendre visite à sa mère, habillé en aviateur. Il est entré dans l'armée et, grâce à Ferdinand, qui l'a pris sous son aile, il a changé. Huguette lui déclare son amour. Ferdinand rentre chez les moines.

Le premier acte est assez bien mené, mais le deuxième et le troisième sont un peu lourds. Les personnages sont plus français que québécois. Léger, invraisemblable, mais bon... il fallait amuser les gens.

 

20 avril 2014

En pleine gloire

Madeleine, En pleine gloire, Montréal, la Compagnie de publication la « Patrie », 1919, 24 pages. (Madeleine est le pseudonyme de Madeleine Gleason Huguenin)

Pièce en un acte, dédiée à deux jeunes soldats canadiens, et écrite en l’honneur du général Pau lors de son passage au Canada. Elle fut jouée le 2 mars 1919 au théâtre Orpheum en présence du général.

Nous sommes à Reims en août 1918, plus précisément dans une famille française dont il ne reste qu'un grand père, un mutilé de guerre, une jeune fille et un enfant. Les autres membres de la famille ont été tués dans un bombardement. L'action est très mince, l'essentiel de la pièce tenant aux discours patriotiques que le grand père sert à ses deux jeunes protégés. Le soupçon d'action vient d'un quatrième personnage, un soldat canadien blessé que la famille a recueilli. Tout en le soignant, la jeune fille s'en est amourachée. Guéri, le soldat canadien doit rentrer au pays pour transmettre son expérience de terrain aux apprentis soldats canadiens. La jeune fille se retrouve devant le dilemme classique de la littérature patriotique : l'amour ou le devoir (partir avec son amoureux ou s’occuper de son grand-père et de son jeune frère). Finalement, elle n’aura pas à choisir puisque le jeune Canadien meurt bêtement dans un bombardement.

11 avril 2014

Billets du soir

Albert Lozeau, Billets du soir, Montréal, Le Devoir, 1911, 125 pages.

Lozeau était déjà un poète connu lorsqu’il commence à collaborer au Devoir qu'Henri Bourassa vient de fonder (1er numéro : janvier 1910). Ses billets sont davantage des réflexions poétiques (et même des poèmes en prose) que de courts essais sociologiques ou philosophiques. Il ne faut pas y chercher de grandes idées, des perspectives éclairantes sur la société de l’époque, mais plutôt des ambiances, des états d’esprit, des rêveries poétiques. 

Il semble que Lozeau ne fut pas ce reclus qui se contente d'observer le monde de sa fenêtre, au mieux de son balcon, qu'on nous dépeint dans nos anciens manuels scolaires. On dit que sa chambre fut pendant une certaine période un lieu de rassemblement, lui qui ne pouvait explorer le monde que par des moyens livresques ou journalistiques.

Tous les critiques qui se sont penchés sur son oeuvre ont souligné l’importance qu’il accorde à la nature, lui le confiné, et ces Billets du soir ne font pas exception. La nature, il peut toujours l’observer de sa fenêtre et déjà, ce n’est pas peu : « Le jour est clair comme un regard de joie. L’espace semble un amas de lumière frissonnante sous le ciel vertigineux. La neige d’un toit carré luit, pareille à quelque épaisse nappe fraîchement lessivée, que saupoudre une farine d’argent. Couverte de verglas, à la suite d’une pluie indécise et fine, la rue a l’air d’une rivière arrêtée pour jusqu’au dégel d’avril. / Midi sonne dans les rayons. / L’heure éclatante bourdonne comme une guêpe affairée. Par le transparent chemin des vitres, la splendeur du dehors entre dans la chambre aux rideaux écartés. »  La nature vient aussi à lui à travers la sensibilité de ses amis. « Voici l’automne, je vais aller rêver sous les arbres, m’a soupiré mon ami ; la montagne est proche et les après-midi sont belles en septembre. J’aime la chute nuancée des feuilles ; ainsi que Verlaine, je préfère la nuance à la couleur. » Ce procédé qui consiste à utiliser un témoin, il va l’utiliser beaucoup dans le recueil.

Albert Lozeau - BAnQ
On ne peut pas dire qu'il est coupé de la réalité même si ses textes ne sont pas en prise direct sur le monde extérieur. Son principal engagement va aux artistes, et plus précisément aux poètes. Parmi les billets, on retrouve un certain nombre de poèmes, dont le thème n’est autre que la poésie elle-même : « Voici des vers sur une feuille / Écrits au moment où ils sont nés, / Enclos libres et spontanés, / Et presque sans je le veuille. » Il ne se contente pas d’essayer d’expliquer le processus poétique; il n’hésite pas à prendre la défense de sa confrérie, souvent avec une ironie mordante : « Depuis que je n’écris plus en vers, je gagne beaucoup d’argent, me disait mon ami ; les marchands de n’importe quoi m’achètent ma prose et me la paient bien, car je vante pompeusement leur marchandise. » Et encore, sur ton tout aussi amusé : « Quant à moi, m’a déclaré mon ami, j’ai adopté, non sans efforts, le style obèse des grosses légumes qui pondent dans les gazettes. Épurer sa syntaxe ne rapporte pas plus que soigner sa conscience. J’ai remarqué que les gens à phrases bedonnantes sont presque tous arrivés. Le verbe en impose toujours, fût-il en baudruche, s’il est énorme. » Bien entendu, cette prise de position constitue une critique de son époque, de la société d’épiciers dont parlait Crémazie : « Dans cinq mille ans, – ou le nombre que tu voudras, – devines-tu ce que l’on trouvera sous l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la ville de Montréal ? quand toute cette laideur se sera écroulée, tout ce bruit éteint... Des tuyaux d’égout, des poutres de fer, des clés de voûtes, des pierres angulaires et des ossements humains qui auraient bien pu appartenir à des bêtes brutes. Tout cela confondu dans la mort comme tout cela fut mêlé dans la vie. » Ces paroles aussi, il les a mises dans la bouche d’un ami venu en visite chez lui. Simple procédé?

Les billets de Lozeau sont intemporels, si bien qu’ils résistent au temps et se lisent encore avec plaisir. L’écriture est souvent très belle et mérite le détour pour elle-même. Si vous avez un peu de temps, allez lire « Derrière les vitres blanches » pour la poésie qui s'en dégage, ou « Ces savants! » pour l’humour ravageur. Lozeau va publier deux autres recueils de billets (en 1912 et 1918).

Lire la première série des Billets du soir

5 avril 2014

Sourires et Grimaces

Lisette, Sourires et Grimaces, Québec, l'Imprimerie de  l'Événement, 1923, 123 p. (pseudonyme d’Aline Moffat-Fortier)

Aline Fortier a animé de 1935 à 1963 une émission à CHRC (Québec). Elle a rédigé des billets dans L'Événement pendant de nombreuses années. Elle a aussi écrit des sketches radiophoniques et une comédie de boulevard, « Les Cousins riches ». (D’après Laurent Mailhot dans le DOLQ), D’après mes recherches, elle serait née en 1892.

Ses « Billets » semblent s’adresser aux femmes, si je me fie à l’introduction : «Lisette» n'est pas méchante, c'est là son moindre défaut. / Quand je vous parle des femmes, qu'il soit question de votre voisine, et quand je parle des hommes, supposez que je connais votre mari... Alors j'aurai toujours raison. / Qu'y a-t-il de plus léger qu'une plume?... La poussière... De plus léger que la poussière... ? Une femme! / Donc, la femme, plume en main, est trop légère pour être maligne...! »

Il est toujours hasardeux de dénicher le fil conducteur d’un ensemble de textes produits au fil des jours et selon l’inspiration du moment. Si je me plie à l’exercice, je dirais que ce sont les relations humaines qui sont au cœur des préoccupations de Lisette. La plupart des textes tournent autour des relations mari-épouse, mère-enfant et femme-femme. L’autre veine importante, ce sont les portraits (le plus souvent de femmes) : y défilent les coquettes, les bavards, les curieux, les commères, les snobs, les moqueurs, les capricieuses, les mélancoliques, les fumeuses…

 Lisette est une femme conservatrice, gardienne des valeurs de son époque. Il ne faut pas s’attendre à un propos décapant. Trop lisses, pleins de gros bons sens, moralisateurs et sentencieux, plusieurs de ces billets nous semblent un peu inutiles. Peut-être que ses propos sur la femme, sur le féminisme, sont tout compte fait ce qui peut encore intéresser le lecteur contemporain. Lisette veut bien que la femme se fasse respecter, mais à l’intérieur du cadre traditionnel, c’est-à-dire en tant qu’épouse et mère. Curieux quand même pour une femme qui avait une vie professionnelle.

Extrait

POUR RENDRE UN MARI HEUREUX
Est-ce. bien difficile pour une femme de rendre son mari heureux? Car, sûrement, il doit y avoir des maris heureux, bien que tous aient l'habitude de se plaindre de leurs femmes, tout en les adorant.
La vie conjugale étant, pour certaines petites femmes, un heureux hasard, permettra à ces dernières de s'écrier: «Oh ! mais c'est bien facile pour une femme de rendre son mari heureux !»
Mais, les pauvres infortunées, pour qui la vie à deux ressemble à un enfer, prétendront : «C'est tout à fait impossible, la vie avec un homme...»
Plus sublimes encore, les vieilles filles s'écrieront: «Ah ! si les femmes avaient le tour de prendre leurs maris, tout irait mieux dans l'intérieur...» C'est sans doute leur grande expérience qui les fait jaser !
Nous savons toutes que l'homme, pour être heureux en ménage, doit sonner la grosse cloche; qu'il lui faut une femme ayant une grande soumission à la volonté de son cher maître, une grande renonciation... à elle-même et beaucoup de bonne humeur.
Voir en double ses qualités — pas à elle mais à lui — afin de toujours avoir, sur les lèvres, la louange, accompagnée du plus beau sourire. Renseignée dans l'art culinaire, avant tout autre renseignement. Toujours servir la mie et garder la croûte. Parler peu et l'écouter beaucoup.

Voilà une recette qui ne demande pas de glaçage et qui devrait être bonne à suivre... J'oubliais: le tout chauffé dans un four modéré et les mesures laissées à la discrétion de chacune des intéressées.  (p. 92)