22 mars 2013

Dilettante


Claude Robillard, Dilettante, Montréal, Albert Lévesque, 180 pages, 1931 (coll. « Les romans de la jeune génération ») (Illustration : cinq bois originaux de Jean-Paul Audet)

En 1931, Albert Lévesque va publier trois romans dans la collection  « Les romans de la jeune génération » : Dans les ombres d'Éva Sénécal, La chair décevante de Jovette Bernier et Dilettante de Claude Robillard. Rappelons que cette collection devait « modifier l’orientation de nos œuvres romanesques » en mettant de côté le roman régionaliste au profit du roman psychologique.

Jérôme est un étudiant en droit qui a publié quelques poèmes, suffisamment bons pour retenir l’attention de l’écrivain populaire et impitoyable critique Renaud Baudry. Jérôme est amoureux d’Andrée, une jeune fille « saine ». Il en parle avec un tel idéalisme à Baudry que celui-ci, de concert avec son amie Claire (un autre couple Valmont-Merteuil), décide de mettre à l’épreuve la solidité inébranlable du couple amoureux. Il fait la cour à Andrée, et la jeune fille naïve ne voit pas son jeu et finit par se compromettre (bien qu’il ne se passe rien entre eux). En même temps, Claire essaie de séduire Jérôme, avec beaucoup moins de succès. Mais ce marivaudage est suffisant pour briser le couple. Trop orgueilleux l’un et l’autre pour faire le premier pas qui leur permettrait de renouer, ils souffrent chacun de leur côté. Un ami, Jacques, les invite séparément à participer à un voyage de skis dans le nord de Montréal. Assis ensemble à l’arrière de l’auto, ils sont bien obligés de se parler. Au moment où ils se jettent dans les bras l’un de l’autre, leur auto entre en collision avec un camion et Andrée y laisse sa vie.

Claude Robillard nous livre un roman sentimental très moralisateur, tout compte fait. Il y a bien deux personnages dévoyés de nature à scandaliser les lecteurs de l’époque, mais le lecteur contemporain n’y croient pas vraiment tellement tout cela est « gros ». Disons-le, ce roman est moins audacieux et inférieur à ceux de Sénécal et Bernier.

Extrait
—Vous me disiez tantôt que rien n'est vrai, ni l'amour, ni l'honneur, ni l'amitié ... Eh bien! moi, je crois à tout cela: à l'amour sincère, à l'amitié fidèle, à l'honneur sans tache! Ce serait par trop ennuyeux que de ne pas y croire. Oui, assister à la vie en spectateur, se ficher de tout, s'endurcir le coeur au point de ne souffrir de rien, je conçois qu'une telle mentalité réduise considérablement la part des déceptions et des désillusions; mais elle limite aussi les instants de bonheur. Et puis, on doit finir par avoir en horreur sa propre sécheresse. Je ne me sens pas capable d'un tel égoïsme! J'aime Andrée, et je crois à son amour. Je ne me torture pas à songer que peut-être elle ne me sera pas toujours fidèle, j'en suis sûr, de cela aussi, comme de ma fidélité à moi. Vous direz que je suis bien naïf ... Maman vient de mourir, Monsieur Beaudry... Je suis sûr qu'après vingt-cinq années de mariage, elle aimait mon père autant que le jour de leurs fiançailles; et si vous voyiez comme papa a vieilli depuis ces deux ans, vous ne douteriez pas de la solidité de son amour, à lui aussi. Le père et la mère d'Andrée forment un ménage aussi uni. Ces exemples sont bien rares? Quand même ils n'existeraient même pas, ces exemples d'amour véritable, j'aimerais mieux croire qu'Andrée et moi nous allons être le premier que de ne pas imaginer son amour aussi fort que le mien parce que bien d'autres ont semblé immortels et se sont effondrés. Je crois à la beauté de la religion catholique. Je considère que s'il est peut-être humiliant pour la raison humaine d'admettre quelques vérités qu'elle ne comprend pas, il est encore bien moins digne d'elle de ne pas les admettre à cause de quelques objections sorties du cerveau rapetissé de l'homme, et auxquelles elle n'a pas su répondre. Je crois encore à l'amitié. J'ai un ami pour qui je ferais tout au monde. Je ne pense pas que lui m'aime autant, mais ça prouve que l'amitié ne veut pas nécessairement la réciprocité. Cela ne l'empêche pas d'être, au moins d'un côté, bien réelle. Jacques aussi, d'ailleurs, a un ami qui l'aime moins. Pas de la façon dont il voudrait, en tous cas. Moi, je l'ad ... je l'aime beaucoup, Jacques! Après l'amour et l'amitié, je crois à l'idéal, à la droiture, à la beauté... (p. 58-60)


12 mars 2013

Ceux du Chemin-Taché


Adrien Thério, Ceux du Chemin-Taché, Montréal, Éditions de l’Homme, 1963, 164 pages.

Thério raconte la petite histoire des habitants du Chemin-Taché, une route construite au XIXe siècle pour peupler les terres situées derrière les seigneuries qui bordaient le fleuve. Cette route devait relier le comté de Bellechasse à celui de Matépédia (voir ce site). Thério, pour sa part, est né à Saint-Modeste, une paroisse derrière Rivière-du-Loup. On peut donc supposer que c’est à un tronçon assez délimité du Chemin-Taché qu’il fait référence dans ses écrits.

Les premiers contes parlent du temps des commencements. Le milieu est hostile et le peuplement est erratique. La terre est pauvre et le climat n’est guère propice à l’agriculture. Plusieurs apprentis colons se découragent au bout de 6 mois. Dans les récits suivants, Thério nous présente une galerie de personnages, des petites gens, leurs rêves, leurs ambitions, mais surtout leurs mesquineries, pour ne pas dire leurs bêtises. Bien que personne ne soit admirable, Thério les met en scène sans méchanceté, avec une certaine tendresse même. 

Les histoires sont inégales, mais quelques-unes valent vraiment le détour, particulièrement celles du début du recueil. « La Femme qui faisait dire des messes » me semble la meilleure.

L'Enchantement 
Le peuplement s’est opéré difficilement sur le Chemin-Taché. Les colons sitôt arrivés ne pensent qu’à repartir. Les choses changent quand  Laurencin arrive. Tous les soirs, il fait chanter son violon et surtout il compose un air qui épouse si bien l’âme des habitants qu’il les réconcilie avec leur pays.

L'Étrange « Moune »
Moune est un homme instruit. Il est venu s'installer avec sa femme. Il perd l'esprit et disparaît pendant 2 ans. À son retour, le nouveau mari de sa femme doit céder sa place.

Les Billots
José Parent découvre que Conrad-à-Nizime bûche sur sa terre. Trop timide pour aller se plaindre, c’est finalement sa femme qui finit par se battre avec la voisine.

Le Voleur de poules
Pendant des années, Alexis Lechasseur vole les lièvres de Pierre Laroche. Sévérine, la femme de Pierre, a bien essayé de confondre le voleur, ce qui ne l'empêche pas d'accepter sa demande en mariage quand elle devient veuve. 

Élise
Éphrem et Élise s'aiment beaucoup. Trop, disent les voisins. Quand celle-ci perd la raison, Éphrem doit renoncer à l'épouser. Trois ans plus tard, il épouse sa jeune sœur.

La Femme qui faisait dire des messes
La fougueuse Colomba a épousé le pâle Victorin. Son mari l'ennuie et elle fait dire des messes pour que sa mort vienne l’en délivrer. Elle est exaucée. Elle épouse le fier Antonio. Il la bat, elle recommence à faire dire des messes. Elle finit par regretter Victorin.

Le Trou du Raidillon 
Avelin un vieux garçon a épousé sur le tard Amandine. Celle-ci n'aime pas l'endroit où ils habitent et fait tout pour le forcer à déménager.

Aurélien, Maximilien et la vache 
Une vache est en train de s'empiffrer dans le champ de grain vert. Aurélien, le fils, par paresse, refuse de la remettre dans son clos. La vache va en mourir.

Au fond d'une tasse de thé
Venant, l’hurluberlu du village,  mise sur le derby irlandais et gagne!

Pour la Fête-Dieu 
Angelina et Imelda ont commencé par se chicaner pour un prétendant. Mariées, elles se sont mises à compétitionner à savoir qui aurait les plus belles « toilettes » pour parader à l’église le dimanche.

La Femme aux armoires
Clothilde et Obéline sont voisines. Quand Clothilde fait une amélioration à sa maison, Obeline essaie de faire la même en plus grand. Obéline en vient à dépasser toute mesure. Elle perd la face et doit quitter le village.

Le Rêve d'Anthime 
La femme d’Anthime ne cesse s'engraisser. Anthime achète une assurance pour qu'il puisse au moins profiter de son décès. Mais sa femme, toujours plus corpulente, se porte toujours aussi bien.

Madame Philias et le premier vendredi du mois
Eudora est très pieuse. Elle a forcé son mari à faire une neuvaine. Or le neuvième jour, l'auto refuse de démarrer. Eudora  y voit un coup bas de la part du bon dieu et cesse toute pratique religieuse

Le coup de sabot
Deux cultivateurs voisins se font des procès pour des questions de clôture.

L'Arrosoir
Sous prétexte que son voisin ne lui a pas rendu l'arrosoir qu'il lui a emprunté, Boniface a dévié le ruisseau qui coulait sur sa terre et privé d'eau ses animaux. Une série de catastrophes vont découler de son geste tant et si bien que Boniface perdra sa terre. Tout ça pour un vieil arrosoir.

Sur l’œuvre de Thério

Adrien Thério sur Laurentiana
Ceux du Chemin-Taché

10 mars 2013

Le Rebelle


Régis de Trobriand, Le Rebelle , Montréal, Réédition Québec, 1968, 39 pages. (Fac-similé de la 1re édition  en livre : Québec, N. Aubin et W. H. Rowen, 1842) (Publié d'abord dans Le Courrier des États-Unis, en décembre 1841)

L'action se déroule pendant la Rébellion de 1837-1838. Laurent de Hautegarde est un patriote. Il est amoureux d’Alice MacDaniel, la fille d'un Irlandais loyaliste. Le père d’Alice refuse que sa fille épouse Laurent. Leur union devient encore plus improbable lorsque Laurent et un patriote du nom de Durand participent à une escarmouche contre les Anglais dans laquelle le frère d’Alice est tué. Lorsque celle-ci l’apprend, elle s’effondre sur le parquet et sombre dans le coma. 

Laurent va participer à la bataille de Saint-Charles (lire l’extrait) et réussir à s’enfuir au dernier moment. Il assistera, incognito, à la pendaison des patriotes. Il essaiera de retrouver Alice sans savoir qu’elle est morte le jour même. La fin n’est pas très claire : on comprend qu’il serait mort, lui aussi, après avoir ouvert la tombe de son amoureuse pendant la veillée funéraire.

Du point de vue historique, l'action débute le 23 octobre 1837 à Saint-Charles, et se termine par l’exécution de quelques Patriotes au printemps de 1838 (?). Les événements marquants de la Rébellion s’enchaînent sans qu’on y assiste vraiment. Le mieux décrit, c’est la bataille de Saint-Charles (lire l’extrait). Par moments, on se croirait dans un livre d’histoire, surtout au début quand Trobriand nous résume à gros traits les événements qui ont mené à la Rébellion. Heureusement, le récit n’a que 39 pages.

Du point de vue littéraire, c’est très faible. L’intrigue et les personnages sont à peine esquissés. Plus encore, on a droit à une histoire secondaire (qui concerne Durand), encore plus embrouillée que la première.

L’édition n’est pas très heureuse, non plus. On a peine à lire certaines pages tant leur reproduction est mauvaise.

Extrait
II finissait à peine ces mots que les troupes ébranlées s'élancèrent au pas de charge sur les retranchements. En un instant toute cette partie de la ligne fut enveloppée d'une épaisse fumée au milieu de laquelle comme une ceinture d'éclairs brillaient les explosions d'armes à feu ; les détonations se succédaient avec une rapidité pareille au pétillement de la grêle sur les toits. Les clameurs des combattants augmentaient le bruyant tumulte de cette scène que les cris et les imprécations des blessés, la chute des morts commençaient à revêtir d'une teinte funèbre. Bientôt les coups de feu devinrent moins nourris ; une bouffée de vent en emportant la fumée leva  le rideau qui recouvrait la scène de carnage, en dérobait les détails et le spectacle d'un retranchement enlevé à la baïonnette s'offrit dans sa magnifique horreur. Aux grandes clameurs, au tonnerre des explosions avait succédé un silence bien plus effrayant. La mort moissonnait à larges fauchées parmi les hommes pressés comme des épis. Autour des chefs, sur quelques points, les cadavres couvraient le sol rougi de sang et jonché d'armes brisées ; les uns tombaient renversés au pied des retranchements qu'ils escaladaient; les autres parvenus au sommet rejetaient dans l'intérieur les ennemis atteints par le fer, — car le feu avait cessé, et les hommes luttant corps à corps n'avaient ni le temps ni la possibilité de recharger leurs armes. On s'égorgeait donc à l'arme blanche, mais sans bruit, mais sans enivrement, et sur des cadavres couchés près des canons muets. — Cette scène terrible fut heureusement de peu de durée. Les insurgés privés des armes nécessaires à ce genre de combat furent culbutés par les Anglais mieux pourvus et plus nombreux. Le dernier qui resta à son poste dans la déroute générale fut Laurent de Hautegarde. Entouré par l'ennemi, il faisait tête à tous avec une intrépidité qui tenait du délire, frappant sans se lasser et sans daigner faire le moindre effort pour protéger sa vie autrement qu'en combattant avec rage. (p. 30)

Lire Le Rebelle

8 mars 2013

La Veillée de Noël


Duguay, Camille, La Veillée de Noël, Beauceville, L'éclaireur, 1926 68 pages.

Jacques et Marie sont des cultivateurs qui ont perdu leurs deux fils, l’un à la guerre, l’autre lors de la grippe espagnole. Ils n’ont qu’une fille, Marthe, qui enseigne à La Sarre en Abitibi. C’est la veille de Noël et elle vient passer le temps des Fêtes avec ses parents. Elle a deux prétendants : Henri Boisvert, dit Henry Greenwood, travaille dans les manufactures aux États-Unis; Jean est le fils du cultivateur voisin. Son père voudrait qu’elle poursuive la tradition familiale et qu’elle épouse Jean; sa mère préférerait qu’elle choisisse Henry (ils prononcent « Hennéré »). Tout le monde se moque de ce Greenwood, un Canadien français à moitié anglicisé, sauf la mère qui voit en lui un « monsieur ».

Marthe reçoit pendant la messe de minuit une illumination qui lui fait voir en Jean son futur époux. Pendant la même soirée, ils conviennent de se  marier à l’été. Ceci fait le bonheur du père qui craignait que sa terre, dans sa famille depuis toujours, soit cédée à des étrangers.

C’est du théâtre on ne peut plus élémentaire. La pièce compte deux actes : la soirée de Noël et le Réveillon. Entre les deux a lieu la messe de minuit. Des chansons et un tableau sont censés la représenter. Le propos n’a pour but que de servir la thèse agriculturiste de l’auteur. Beaucoup de « veilleux » assistent au réveillon, dont le maître chantre, l’organiste et le postier. Les répliques sont longues et l’intrigue principale est noyée dans les préparatifs et les réjouissances du Réveillon. L’action est souvent suspendue pour laisser place à des chansons et à des danses traditionnelles.

Extrait de la préface
« Nous irons plus loin, puisque le théâtre doit être avant tout éducationnel, et nous donnerons une leçon d'actualité en faisant revivre les plus belles traditions qui ont été les poétiques fleurons de notre race, naissante, et les compagnes nécessaires à sa vitalité dans l’épanouissement de ce jeune peuple, dont nous nous réclamons avec fierté, le peuple canadien-français, fier de son passé glorieux, de sa mentalité gauloise, de son affirmation comme nation, de ses espérances et de sa foi en l'avenir. »